Conscience et roman, vol. 2. La conscience à mi-voix

Conscience et roman, vol. 2. La conscience à mi-voix
Chrétien Jean-Louis
Ed. Minuit

Renouvelant profondément la présentation de la conscience, Gustave Flaubert et Henry James ont ouvert au roman des régions jusqu'alors inconnues, et donné à ce genre au XXe siècle la mesure de sa tâche et de son exigence. Le jugement moral sur les personnages s'atténue ou se suspend, au bénéfice d'une description aussi fine qu'ambiguë. Et cette descente dans les abîmes intérieurs délaisse désormais la trop nette articulation du monologue intérieur (étudié dans La Conscience au grand jour) pour une approche plus subtile, notamment grâce au style indirect libre, dans une parole à mi-voix.

Comment les mouvements et les glissements de la conscience en viennent-ils à prendre une force dramatique plus intense que les événements même du monde ? Pourquoi son « intime aventure » occupe-t-elle à présent le centre ? En quoi ce qui faillit seulement avoir lieu peut-il avoir autant d'effet que ce qui se produisit ? Par quels modes du style le secret peut-il être suggéré comme tel, avec tout le non-dit qu'il suscite ? Pourquoi la vie quotidienne se fait-elle ce qu'il y a de plus lourd d'un sens inépuisable ? Et quel jour neuf se lève-t-il alors sur notre relation aux choses et aux lieux, comme sur les rapports de force qui ordonnent nos multiples liens avec les autres consciences, noeuds de notre identité ? Comment montrer avec rigueur le règne en nous du faux, de l'illusion, du clair-obscur ?

Ce volume présente les conclusions du diptyque sur la vision que le roman des deux derniers siècles a prise de l'humaine conscience dans toutes les nuances de sa fragilité.

Sous le signe de Baudelaire

Sous le signe de Baudelaire
Bonnefoy Yves
Ed. Gallimard

Tout à la fois un hommage à Baudelaire, un dialogue avec lui et une lecture de son oeuvre, ce rassemblement chronologique de quinze essais d'Yves Bonnefoy sur Baudelaire s'échelonne sur plus de cinquante années, au cours desquelles Baudelaire n'a cessé de l'accompagner.

À Baudelaire il doit, écrit-il, « d'avoir pu garder foi en la poésie ». Car « aucun, sauf Rimbaud », ne montre aussi fortement que l'espérance « peut survivre aux pires embûches de la conscience de soi. Aucun pour descendre avec tant de modestie exigeante des hauteurs intimidantes de l'intuition poétique, où pourtant il ne cesse de revenir, vers la condition ordinaire », « aucun », enfin, « pour encourager plus efficacement ceux qui croient en la poésie à ne pas décider trop tôt qu'ils sont indignes de son attente ».

Ainsi, « les grands poètes sont ceux qui nous aident » « à nous diriger vers nous-mêmes ». Et « c'est même cette recherche de soi qu'ils attendent de nous, avec l'offre que nous partagions leurs soucis, leurs espoirs, leurs illusions, et le désir de nous guider, tant soit peu, vers là où nous découvrirons qu'il nous faut aller. Le voeu de la poésie, c'est de rénover l'être au monde, ce qui demande d'entrée de jeu l'alliance du poète et de ceux qui les lisent sérieusement ».

Poésie de la pensée

Poésie de la pensée
Steiner George
Ed. Gallimard

Les praticiens l'ont toujours su. Dans toute philosophie, concédait Sartre, il y a « une prose littéraire cachée ». Ce qu'on a moins élucidé, c'est la pression formatrice incessante des formes du discours, du style, sur les programmes philosophiques et métaphysiques. À quels égards une proposition philosophique, même dans la nudité de la logique de Frege, est-elle une rhétorique ? Peut-on dissocier un système cognitif ou épistémologique de ses conventions stylistiques, des genres d'expression qui prévalent ou sont contestés à l'époque ou dans le milieu qui sont les siens ? Dans quelle mesure les métaphysiques de Descartes, Spinoza ou Leibniz sont-elles conditionnées par les éléments constituants et l'autorité sous-jacente d'une latinité partiellement artificielle au sein de l'Europe moderne ? Quand tels Nietzsche et Heidegger, le philosophe entreprend d'assembler une langue nouvelle, son idiolecte propre à son dessein est lui-même saturé par le contexte oratoire, familier ou esthétique.

L'association étroite de la musique et de la poésie est un lieu commun, toutes deux partageant les catégories du rythme, du phrasé, de la cadence, de la sonorité, de l'intonation et de la mesure. « La musique de la poésie » est exactement cela. Y aurait-il, en un sens apparenté, « une poésie, une musique de la pensée » plus profonde que celle qui s'attaque aux usages extérieurs de la langue, au style ?

Ces aspects de la « stylisation » de certains textes philosophiques, de l'engendrement de ces textes via des outils et des modes littéraires, George Steiner nous les restitue dans son souci d'« écouter plus attentivement ».

Dans les roues de Jack Kérouac. Portrait d'une Amérique nomade

Dans les roues de Jack Kérouac. Portrait d'une Amérique nomade
Christophe Cousin & Matthieu Paley
Ed. La Martinière

Christophe Cousin - écrivain-voyageur-réalisateur - et Matthieu Paley - photographe - sont repartis sur les traces et dans les roues de Jack Kerouac, pour une traversée d'Est en Ouest, de New York à San Francisco, avec Sur la route entre les mains et l'Amérique sous le plancher de leur voiture.

Afin de rendre hommage comme il se devait aux héros assoiffés de liberté de la beat generation, ils se sont laissé guider par le bitume et leurs désirs de rencontres en laissant résonner les mots de Jack Kerouac sur les paysages du présent. L'appareil photo par la fenêtre, la plume réservée à l'urgence de l'instant, et surtout leur rêve en bandoulière d'atteindre la Côte ouest à toute blinde, ils ont accompagné les vagabonds du rail, les moissonneurs des Grandes Plaines, les cow-boys itinérants du Nevada, les bergers navajos, les utopistes et autres furieux de la vie. Au compteur, plus de 8 000 kilomètres d'aventures au coeur de l'Amérique nomade d'aujourd'hui.

Jarry en ymages

Jarry en ymages
Collège de Pataphysique
Ed. Le Promeneur

Alfred Jarry a partie liée avec les images, et même avec les ymages puisqu'il fonda la revue L'Ymagier avec Remy de Gourmont. Les trois cents illustrations ici commentées montrent ses oeuvres personnelles : peintures, bois gravés, lithographies, dessins, compositions typographiques, manuscrits, correspondance, ainsi que de nombreux documents relatifs à ses livres, à son personnage, à sa vie, au monde littéraire et artistique qui fut le sien et que lui-même fit basculer du symbolisme fin-de-siècle à l'« esprit nouveau ».

Ces documents sont présentés selon un plan polyédrique, par thèmes : trente-neuf petits essais visuels sur Ubu et le Décervelage, sur l'Alcohol et la Phynance, sur les Marionnettes et les Têtes de Turc, ect. L'article Pataphysique est absent parce que, bien entendu, la pataphysique est partout.

Certains de ces documents sont inédits : ainsi la Mère Ubu, marionnette créée par Bonnard pour le théâtre des Pantins, ou ce fragment manuscrit qui remonte aux origines d'Ubu et montre comment opéraient les potaches du lycée de Rennes ; ou inconnus, comme ce dessin de Charly qui enchanta Jarry, « Vous faites là un joli trio tous les deux ! ».

Autant que possible, les oeuvres de Jarry ont été reproduites en couleurs en dans leur mise en page réelle lorsqu'elles apparaissent dans ses livres. De même les oeuvres des peintres qui peuplent ses écrits : Gauguin, Rousseau, Filiger, Bonnard, Toulouse-Lautrec, ou les images d'Épinal, ou les multiples documents. L'ouvrage a été réalisé à partir des archives du Collège de Pataphysique et de recherches ou de prises de vues effectuées spécialement.

Le Collège de Pataphysique, « société de recherches savantes et inutiles » fondée en 1948, a réuni et réunit des esprits aussi singuliers que Raymond Queneau, Marcel Duchamp, Boris Vian, Ionesco, Arrabal ou Jean-Christophe Averty, mais aussi des érudits hors norme qui, entre autres, ont fondé les études jarryques.

Le présent ouvrage a été réalisé sous la conduite de Thieri Foulc, actuel Provéditeur-Éditeur Général du Collège, avec la contribution de Paul Gayot qui exerça les mêmes responsabilités durant plusieurs décennies, de Patrick Besnier, Régent, auteur d'une biographie d'Alfred Jarry (Fayard), et de Julien Schuh, rédacteur en chef de L'Étoile-Absinthe, revue de la Société des amis d'Alfred Jarry.

Casanova, l'homme qui aimait vraiment les femmes

Casanova, l'homme qui aimait vraiment les femmes
Flem Lydia
Ed. Points

Entre Casanova et nous, il y a deux siècles de malentendu. On le croyait un Don Juan de salon, il est l'ami des femmes et l'un des plus grands écrivains du XVIIIe siècle.

Le Vénitien se jette dans l'existence sans rien vouloir en retour, sinon la plus scandaleuse des récompenses : le plaisir. Pour les femmes, Casanova est un homme disponible. Généreux, il ne connaît la volupté que lorsqu'ele est partagée.

À la fin de son exercice, exilé dans un château de Bohême, cet amoureux de la langue française écrit treize heures par jour l'Histoire de ma vie. Pour Casanova, le vrai bonheur est dans la mémoire du temps retrouvé.

Lydia Flem célèbre l'insolent héritage de Giacomo Casanova : au-delà du plaisir, il y a encore du bonheur.

Albert Camus contre la peine de mort

Albert Camus contre la peine de mort
Camus Albert
Ed. Gallimard

« Donner à lire, pour la première fois, l'ensemble des textes à travers lesquels Albert Camus s'éleva contre la peine de mort met en lumière un pan méconnu de la pensée intime et de l'activisme du Prix Nobel 1957. Si Camus a publié cette année-là ses « Réflexions sur la guillotine », cet essai s'accompagne en effet d'une constellation d'écrits qui, tout au long de sa vie d'écrivain, interrogent, analysent et dénoncent l'illégitimité du couperet.

Documents inédits, lettres envoyées à titre privé dont certaines restaient à ce jour indisponibles - en partie ou dans leur intégralité -, extraits de carnets, d'allocutions, d'écrits fictionnels (romans et théâtre) et journalistiques se répondent ici pour révéler, dans sa complexité et sa profondeur, la préoccupation d'une vie : « sauver les corps ».

Ces textes d'invention et d'intervention retracent une conviction abolitionniste ébranlée à la Libération, mais qui n'en traverse pas moins résolument, avec intégrité et parfois douleur, les plus sombres événements du XXe siècle : la dictature franquiste, la Seconde Guerre mondiale, la guerre civile grecque, les répressions perpétrées en Europe de l'Est ou encore la guerre d'Algérie. »

L'ouvrage s'achève sur un essai d'Ève Morisi étudiant le motif de la peine capitale dans les romans d'Albert Camus (L'Étranger, La Peste, Le Premier Homme) et « l'éthique résistante » qu'ils esquissent.

Correspondance. 1919-1968

Correspondance. 1919-1968
Gaston Gallimard & Jean Paulhan
Ed. Gallimard

Gaston Gallimard et Jean Paulhan sont des personnages que nous connaissons bien, mais des personnes que nous méconnaissons. Ce couple célèbre de l'édition a fait couler tellement d'encre que leur masque nous est plus familier que leur visage. Par chance, les deux hommes nous ont laissé une correspondance de la plus belle eau, qui court sur près de cinquante années. Gaston Gallimard a ôté son nœud papillon, Paulhan sa veste grise : nous découvrons, avec ces deux hommes en bras de chemise, les dessous de la NRF. Rien de plus vivant ni de plus déconcertant parfois que cet échange fait de pièces et de morceaux : on y trouve à la fois des billets griffonnés et des lettres ouvragées, des années blanches et des années noires, des déclarations d'amitié et d'impôts. Paulhan et Gallimard travaillaient ensemble et se voyaient facilement  ; leurs lettres sont le plus souvent familières, sans façon. Et souvent sans suite puisqu'elles appellent ou prolongent une conversation, à la faveur d'une maladie, d'un voyage ou d'un dimanche.
Cette correspondance à bâtons rompus, où Claude Gallimard va prendre peu à peu sa part, fut avant tout professionnelle. Mais c'est une bien curieuse profession, qui serait plutôt de l'ordre de la profession de foi. Paulhan estimait en effet que sa « vie véritable » avait commencé le jour où Gaston Gallimard était venu, avec Jacques Rivière, lui proposer d'entrer à La NRF. Gallimard invoquera aussi l'ami disparu pour sceller leur alliance : « Depuis la mort de Jacques Rivière, la NRF, la maison, c'est vous et moi. »

Persévérer dans l'être. Correspondance 1961-1963

Persévérer dans l'être. Correspondance 1961-1963
Yourcenar Marguerite
Ed. Gallimard

(D'Hadrien à Zénon, III)

1961-1963, Marguerite Yourcenar approche de la soixantaine. Pour beaucoup, un âge d'interrogations, de conscience aiguë de l'âge qui vient. Rien de ce genre chez elle. Au contraire. Elle affirme une belle solidité dans l'accueil des années à venir. Le temps qui vient sonne même comme prometteur pour elle. De fait, sa vie se poursuit pareille à ce qu'elle a été depuis qu'elle a mouillé l'ancre à Bar Harbor, caractérisée par le même élan, la même force créatrice. Dans cette existence qu'elle a voulue toute consacrée à la pensée et à l'écriture, la pérennité révèle un approfondissement de l'expérience. « Vous êtes si bien faite pour ' persévérer dans l'être' », écrit-elle à Natalie Berney. Mais lectrices et lecteurs savent que ce mot de Spinoza peut aussi s'appliquer à Yourcenar elle-même. En effet, c'est en persévérant dans son être que Yourcenar, au long des jours, a réussi à tisser entre eux les fils de réflexions émanant de ses différentes recherches et études.

Tout un condensé de sa vie créatrice, de sa pensée, de son expérience littéraire, de son éthique, de ses réflexions sur le mal - la cruauté en l'homme - et sur l'Histoire, se profile et nous fait entrevoir l'écrivain dans sa maison de Bar Harbor, mais aussi en voyage parfois, entourée de livres, ceux qu'elle écrit et ceux qu'elle lit, puisant à mille champs du savoir, sachant ce qu'elle cherche, non ce qu'elle va découvrir, retenant ce qu'elle veut, le transformant. Elle aussi alchimiste du verbe ! Toute une expérience intellectuelle et littéraire, une expérience de vie, qu'elle communique - en répondant à des appels de lecteurs, certains eux-mêmes écrivains en herbe, en écrivant à des amis ou à d'autres qui ne le sont pas -, soucieuse toujours d'un échange intellectuel permanent avec autrui.

Lettres à André Breton. 1918-1931

Lettres à André Breton. 1918-1931
Aragon Louis
Ed. Galliamard

Ces quelque cent soixante-dix lettres sont la chronique d'une amitié passionnée puis violemment rompue, en même temps qu'elles jalonnent un moment essentiel de la modernité du XXe siècle. Un premier ensemble réunit les lettres de 1918-1919, écrites du front, puis d'Alsace et de Sarre après l'armistice : médecin-auxiliaire jeté en première ligne, Aragon a vécu de près la tuerie mondiale, naufrage d'une civilisation d'où naît la révolte Dada. Ensuite affleure l'histoire agitée du groupe surréaliste, en particulier son entrée dans l'action politique en 1925. Enfin le «Congrès de Kharkov» de 1930 va sceller l'adhésion d'Aragon au communisme, et provoquer à terme sa rupture avec Breton.

Tant de noms au fil des pages témoignent d'une amitié née sous le signe de la littérature, et bientôt de sa critique radicale : Rimbaud puis Lautréamont, intercesseurs essentiels ; Gide et Valéry, tôt délaissés ; Apollinaire (sous un jour inattendu), Reverdy, «l'ange offensé» ; Soupault, le premier compagnon, puis Eluard, Desnos... ; et les alliés incommodes Tzara, Picabia...

Précieuses enfin sont les lettres où Aragon commente son esthétique, l'écriture du poème qu'il vient d'achever - ou analyse subtilement celui qu'il a reçu de Breton ; et celles où affleure déjà ce débat majeur entre eux, le roman.

Incisives, jamais apprêtées, ces lettres attestent la vérité de l'instant : à leur regard, on ne pourra plus écrire la vie d'Aragon ni lire son oeuvre tout à fait de la même façon.

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