Sibéries
Ed. Imprimerie Nationale
Date de publication : 01/10/2013
« Entre Ekaterinbourg et Novossibirsk, presque vingt et une heure de train, pour atteindre le km 3 343. Ce très long trajet paraît court, tant le 'rêve' sibérien s'y révèle enfin, terrible, magnifique, au-delà de toute mesure humaine. Défilé interminable de pins, de mélèzes, de bouleaux : la taïga, sans qu'on y voie paraître âme qui vive. Pas de routes, pas de maisons, pas d'humains. La nature pure, au milieu d'une solitude sans limites. Ce pourrait être monotone, ce ne l'est jamais. La jouissance du même, qui n'est jamais tout à fait le même, a quelque chose d'ensorcelant. On observe d'infimes variations, dans la taille et dans la couleur des arbres, dans la courbe des collines, dans le miroitement des rivières et des lacs, de même qu'en musique les modulations d'un même thème composent le tissu d'une symphonie. On n'attend, on ne cherche rien de nouveau, avec cette conséquence que tout est nouveau à chaque instant et force à garder les yeux grands ouverts. Le paysage est d'une beauté si intense qu'il crée le besoin de le regarder sans cesse. La succession indéfinie de l'identique, l'impossibilité d'isoler un détail, l'absence totale de pittoresque plongent dans un envoûtement qui se traduit par une dépossession de soi-même. Entre contemplation et hypnose, entre métaphysique et magie, la Sibérie s'offre et se dérobe, se déploie et s'éclipse, dans un double mouvement d'offrande et de mystère. » Dominique Fernandez