«Ce livre, quelques-uns des entretiens que j'ai eus avec divers interlocuteurs en ces vingt dernières années. D'une part ceux qui portèrent sur la création artistique - architecture ou peinture - ou des peintres et des poètes ; et d'autre part ceux où j'ai eu à parler de mon propre travail ou de ma vie. Viendront plus tard des réflexions de nature plus générale bien que constamment sur la poésie. Pourquoi ce rassemblement ? Parce que l'imprévu des questions avive et même sert le désir de comprendre de celui qui cherche à répondre, en un 'écrit parlé' qu'il veut aussi précis que possible. Et parce que ce désir va peut-être trouver dans les hypothèses et digressions alors permises des voies qui en valent d'autres vers la sorte de vérité dont cet auteur est capable. Se répétant, se contredisant, mais de ce fait même prenant conscience de soi, dans un champ où c'est le cheminement qui peut être jugé aussi véridique que les positions rejointes.» Yves Bonnefoy
Le très grand poète flamand Emile Verhaeren écrivit ses poèmes en français. Exclusivement. Le pourrait-il ? Le voudrait-il encore ? Son tombeau et son musée sont à Saint-Amand en Flandre, son village natal au bord de l'Escaut. Imaginons - c'est imaginable ! - que l'Europe décide de faire de sa bi-nationalité poétique un modèle, un symbole. Imaginons que l'opération soit conduite sous forme d'une expédition fluviale officielle au départ de Bruxelles. Qu'une 'nef des fous' inaugure un voyage commémoratif annuel jusqu'à ce bloc de marbre de noir où gît l'auguste dépouille d'Emile. Imaginons que l'histoire de l'Europe religieuse et laïque occidentale tout entière soit invoquée dans cette nouvelle croisade ! Imaginons, ah ! oui, imaginons le dessin coloré, rythmé, dansé de cette bande carnavalesque masquée ! Car nous sommes tous masqués, depuis le temps qu'on nous masque la fin. Car nous dansons tous en traduction sur l'Escaut, sur l'écho du plancher des langues. Car nous habitons un sol liquide fluctuant où nos drapeaux ne flottent qu'entre deux eaux. Qu'entre deux os.
Ce poème dialogué et théâtralisé, conçu comme un 'mock epic' fera partie de Les petits affluents de la Maye. La Maye Tome II (nouvelle version). Il est illustré de deux gouaches originales de l'auteur.
J.D.
Commencée en 1988 avec La Maye (Tome I), l'oeuvre poétique de Jacques Darras s'est construite en marge des marées, à distance consciente de la tradition centrale poétique française, au contact des grandes sommes poétiques américaines. Vingt ans et bientôt 8 tomes de poésie plus tard, en décembre 2008, poètes et universitaires français et étrangers se sont retrouvés à l'Université de Nice, à l'invitation de Béatrice Bonhomme et Patrick Quillier, pour faire les premiers relevés de ce parcours original. Oeuvre d'architecture attentive aux masses rythmiques aussi bien qu'aux détails, la Maye émerge progressivement sous la forme d'un édifice de fluidité musicale orchestré autour du chiffre 8. Polyphonique et polycentrique, irrigué par les fleuves de l'histoire comme de la géologie, conjuguant l'horloge des respirations personnelles aux grandes roues de la cosmographie, le chantier de la Maye renoue avec les héritages de la Renaissance et du Moyen-Age européens.
Le deuxième volume de la collection figures est consacré à Bernard Noël, dont on fêtera en novembre le 80e anniversaire. Poète, romancier, dramaturge, essayiste, auteur de monographies de peintres contemporains, visiteur d'ateliers d'artistes (Romans d'un regard), Bernard Noël est aussi un penseur engagé contre ce qu'il appelle la sensure (c'est-à-dire la privation de sens, la castration mentale), il dénonce la société libérale qui nous aliène dans le consensus mou de la réification marchande et dans la servitude volontaire.
Il persiste à être poète - poète de la révolution qui veut redonner sens au sens outragé et aux mots restaurés.
Politique du corps de Bernard Noël répond aux Treize questions qui ne demandent pas de réponse de Jacques Sojcher. Deux inédits et des dessins, un pas de deux avec le peintre François Rouan, une lettre à Serge Fauchereau, des textes de Mathieu Bénézet, Jean Daive, Eddy Devolder, Michel Surya, un entretien de Jacques Sojcher avec Paul Otchakovsky-Laurens. Un livre d'amitié en somme.
Tout petit j'ai cru qu'on avait cousu les lèvres de mon père avec un fil de fer invisible. Le même que celui des clôtures sans barbelé. Ma mère au contraire parlait beaucoup. Elle avait peur de son ombre et m'obligeait à ouvrir et fermer les placards pour vérifier qu'ils étaient vides. Elle craignait que sa parole un jour sorte des armoires et la dévore.
Suite du long poème initié en 1980, centré sur la colline de Juliau. Ce volume marque la fin du Cycle jaune dans une évocation de l'acte d'écrire et de la lecture.
Les minces trésors des jours perdus, les infimes richesses de son enfance solitaire bouleversent plus que jamais le vieux cœur du poète qui n’a pas renoncé à la surprise ni à la joie, bien qu’une ombre passe sur son front qui semble toujours plus accablante. Alors il les serre dans le reliquaire fragile de ses chansons boiteuses, par souci d’apaisement peut-être et pour encore donner des gages «au rêve absolu».
En 2004, Keith Waldrop publie un livre au titre étrange pour un lecteur français : The Real Subject: Queries and Conjectures of Jacob de Lafon. Le vrai sujet : interrogations et conjectures de Jacob de Lafon est une séquence de poèmes en prose, méditations poétiques, drôles, absurdes, mais aussi tristes et mélancoliques du «héros» Jacob de Lafon à qui Keith Waldrop a prêté vie et que la traduction française a dû anoblir.
Fils de R. Mutt (signature apposée par Marcel Duchamp sur son célèbre urinoir), le Jacob de Lafon est une sorte de pied nickelé américain, n'oubliant jamais l'origine modeste et prosaïque de son nom ; mais c'est un pied nickelé rêveur qui se perd en «conjectures et interrogations», à la recherche (illusoire) du «vrai sujet» qu'il ne trouvera d'ailleurs pas, le livre se terminant sur une phrase inachevée et le mot «surprise». Le vrai sujet est une quête qui, consciente de sa propre absurdité, la met en scène dans de nombreux passages très drôles. Et pourtant «profonds» aussi, si l'on décide d'y voir les nombreux échos à la littérature, philosophie et aux Écritures qui ponctuent les textes.
Bréviaire de l'apprenti philosophe de waters, Le vrai sujet présente au lecteur les pensées d'un personnage qui refait le monde et, pendant qu'il y est, le langage - alors même que son patronyme devrait l'inviter à une prudente modestie. Notre héros est un funambule qui avance en vacillant sans cesse entre grotesque et beauté, humour et gravité, rire et larmes. Olivier Brossard
Quatrième livre, mais premier à être traduit en français, de cette auteure américaine née en 1963, Si toi aussi tu m'abandonnes relève d'un genre inventé et développé aux Etats-Unis : la «documentary poetry». Mais Claudia Rankine se l'est approprié pour créer un texte d'une grande originalité.
A la fois autobiographie et chronique des années Bush, elle y sonde ce qui ronge et, à proprement parler, infecte la vie aux Etats-Unis : la télévision, la publicité - notamment celle pour les médicaments - et une justice en général à deux vitesses selon la qualité et la couleur des suspects. Mais parce que tout ce qui l'affecte l'isole, elle ressent aussi la solitude comme une conséquence de sa sensibilité.
Claudia Rankine est virulente mais profondément humaine ; elle porte un regard acéré, à la fois critique et drôle, mais sans cynisme, sur cette Amérique surconsommatrice d'images et de pharmacopées. Elle traverse drames nationaux et dépressions familiales avec une lucidité engagée et un humour radical qui rendent sa poésie neuve et attachante.
Conçue comme une introduction à l'humour sombre et désespéré, cette compilation réunit une trentaine d'auteurs majeurs du dérisoire et du sarcasme. Le dénominateur commun de ces textes est leur forme courte : haïku, aphorisme, notule, pièce en un acte, roman en neuf lettres, chronique, histoire brève, page de carnet, nouvelle en trois lignes, autobiographie expresse, compte-rendu de poche, etc.
Lire aussi l'article du Matricule des Anges référencé sur lelibraire.com