Les picotements que me procuraient
les languettes de cuivre
des piles usagées
c'est eux
page après page
que je cherche à retrouver
au contact d'un verbe qui,
à lui seul,
peut court-circuiter
la différence des opposés.
Philippe Denis, Petits traités d'aphasie lyrique « alla breve », 7.
Conçu comme un livre synecdotique, ce recueil paru en 1942 et jamais traduit en français est habité par le thème de la guerre entre les nations, entre les éléments, ou entre l'être et la conscience.
En 2008 une société de bibliophiles italiens décida de publier avec des illustrations de Gérard Titus-Carmel un récit, Deux Scènes, que je venais d’achever. Mais quand on en fut à la maquette du livre, il apparut que quatre ou cinq pages de plus seraient souhaitables, pour mieux équilibrer la suite des gravures, et je dis : c’est tout simple, je vais écrire une note pour expliquer pourquoi ce récit se situe « à Turin peut-être où à Gênes ». Gênes étant, par une belle coïncidence, la ville des dirigeants de cette collection, parmi lesquels mon traducteur, un ami, Beppe Manzitti.
J’entrepris donc cette note. Mais elle eut vite non pas cinq pages mais cinquante. En effet, dès que j’eus commencé de lire ce que j’avais écrit les yeux en somme fermés, il me fallut constater que cette histoire de deux balcons en vis-à-vis dans la cour d’un palais génois, avec deux drames pour s’y jouer simultanément, à peine différents l’un de l’autre, traversait et retraversait sans cesse ni fin les moments et les lieux, et les pensées, de ma vie depuis la première enfance, et que s’expliquaient ainsi des poèmes qui m’étaient restés des énigmes ; cependant que s’éclairait mon vœu peut-être le plus profond. Puis-je parler d’un début d’auto-analyse ? Mais tout autant aussi je me suis senti obligé de m’interroger sur certains aspects de la recherche freudienne, avec en esprit un désir d’être qui compterait plus que celui d’avoir. Y. B.
Dirigé et présenté par Alain Mabanckou, ce volume réunit des poètes majeurs de l'Afrique francophone. Poètes engagés, militants de la Négritude, ils chantent le traumatisme de l'esclavage et de la traite, les souffrances de la colonisation, les illusions et désillusions de l'Indépendance de leur pays : Sénégal, Madagascar, Côte d'Ivoire, Congo. Ils se font aussi les chantres des «valeurs nègres» : la solidarité et la fraternité de leur peuple. Six voix incontournables de la poésie africaine du XXe siècle : Léopold Sédar Senghor, Birago Diop, Jacques Rabemananjara, Bernard B. Dadié, Tchicaya U Tam'Si et Jean-Baptiste Tati Loutard.
Depuis Bocaux, bonbonnes, carafes et bouteilles (comme), livre déjà accompagné de photographies de Bernard Abadie, j'avais le désir de poursuivre ma rêverie/réflexion (continuée d'ailleurs avec d'autres photographes comme Jacques Clauzel et Lorand Gaspar) sur les rapports possibles entre le poème et la photographie.
J'avais aussi le désir de revenir sur le motif du « linge », modulé ici en « tissus ». Bernard m'ayant montré une série de photos, l'ensemble Tissus mis par terre et dans le vent fut le produit de cette nouvelle rencontre.
Le fait que les photos de Bernard Abadie ont été prises en divers pays m'a conduit à promener mes poèmes en France et ailleurs. Le sujet de ces photos faisait signe à la fois du fond de l'enfance et du fond de voyages vécus : un long tissu de vie aussi insaisissable que l'insaisissable soie d'une eau qui paraît dans les dernières photos. Le poème s'est aussi demandé si le photographe ne l'avait pas par avance photographié plutôt que lui n'aurait écrit les photos. Que fait le poème devant le tissu du monde, devant des photos qui ont vu ce monde ?
« À partir du moment où l'on vit constamment dans les mêmes lieux, il est difficile de ne pas être influencé dans une certaine mesure par l'endroit auquel on est attaché par des liens, disons géographiques, mais aussi par des liens sentimentaux, par des liens de tendresse ou de colère, par des liens d'accord ou de désaccord, peu importe...
Je pense qu'il est difficile d'écrire ou de vivre dans un lieu, sans voir ce lieu, sans le connaître, et c'est pour cela que je peux dire qu'il y a, entre la ville de Liège et mon travail d'écriture une sorte d'osmose perpétuelle... » J.I.
Première revue marocaine consacrée à la poésie internationale
Faire vivre ensemble et amoureusement des textes d'hommes et de femmes venant de divers horizons et partageant le même rapport à la réalité, à la langue et au village-monde. Edito.
Les filles de quartier
se jettent des nuages la sangle à la main.
Leur sourire ne s'ouvre pas.
Ce serait comme un hymen recousu
par la générosité des violeurs
Linda Maria Baros (Roumanie)
Rends-toi, petite île
Laisse tomber tes réfugiés, tes chères chétives
Accepte l'ordre
Arrache ton persil
Et accueille les cavaliers bindés.
Volker Braun (Allemagne)
Le rêve arabe s'endort
Le muezzin efface
La nuit
Tandis que fume le dernier
Cercle du soleil.
Michel Bulteau (France)
Chaque jour on ne peut éviter le coup de feu du temps,
Ce tireur embusqué !
Shu Cai (Chine)
Allez radoter ailleurs, rimes d'un centime,
trembler ailleurs pour douze lecteurs
et un critique ronfleur
Hugo Claus (Belgique)
Un enfant court bravement derrière son enfance
Rêvant du monde venu se déposer entre ses mains
Et du ciel comme plumage à ses ailes.
Ouafaa Lamrani (Maroc)
J'entends les oiseaux aux pieds peints psalmodier les airs
du ravissement, les murs ouvrant larges leurs fissures, enmmagasinant
les reflets du miroir.
Mohamed Loakira (Maroc)
Les Croates me tapent sur les nerfs
Ce n'est pas étonnant : je les fréquente
Depuis trente-huit ans déjà.
Boris Maruna (Croatie)
Au lieu de lèvres féminines,
ils laissent
l'étoile à cinq branches imprimer
sur nos fronts moites
son rouge où a coagulé le sang des héros.
Senadin Musabegovic (Bosnie-Herzégovine)
Je n'ai rien d'autre à espérer :
un crépuscule d'hiver
et un corbeau amoureux de moi.
Grânaz Moussavi (Iran)
- Te souviens-tu de la copiste ? Celle qui renversa de l'encre
sur ta robe ?
- Non.
Mercedes Roffé (Argentine)
'C'était au Maroc à la campagne...'
Mustafa Stitou (Pays-Bas)
Aveugles, les imbéciles refusent
De se couper la barbe,
Ceux qui me pointent du doigt.
Serge Patrice Thibodeau (Canada)
Le matin du 24 septembre 1966
j'ai écrit une lettre à un ami proche
sur le péché originel
sur le crime parfait et la méthode d'extermination du savoir.
Gozô Yoshimasu (Japon)
Présentation de l'éditeur
« Mais si, écoutez bien
C'est le bruit de ses bottes
Le despote
Qui s'enfuit
Qui part
En hâte
Qui traîne ses pas lourdement
Vers l'endroit où
Il s'endormira
Dans un cadavre vide »
« dans l'île avec le vent et sa caresse aveugle
dans l'île ton châle rouge et les mains nues du vent
et tu fermes les yeux et du entends le fleuve son grondement sourd
le fleuve moiré d'argent »
«Mon cheval à roulettes noir et blanc pommelé galope encore sur la terrasse de l'enfance et les frêles bateaux de papier dansent vers le bassin de l'Esplanade par les étroits canaux de la fontaine canyons géants du Colorado [...]
seul j'ai vieilli mais demeure l'enfant comme la mer soupire sur le sable du temps»