Les êtres qui se reproduisent, les êtres reproduits, sont des êtres distincts entre eux, séparés par un abîme, une fascinante discontinuité. Mais, individus mourant isolément dans une aventure inintelligible, nous gardons la nostalgie de la continuité perdue. L'activité sexuelle de reproduction, dont l'érotisme est une des formes humaines, nous la fait retrouver ; au moment où les cellules reproductrices s'unissent, une continuité s'établit entre elles pour former un nouvel être à partir de leur mort.
C'est aussi par la mort, la mort violente, que cet effort de libération s'est manifesté dès l'origine des activités de l'homme. Mais le désir de meurtre met en cause toute l'organisation de communautés fondées sur le travail et la raison. D'où la naissance d'interdits, à quoi s'oppose, ou plutôt s'ajoute, en un dépassement nécessaire, leur propre transgression. Guerre et chasse rejoignent ici l'inceste ou l'orgie sacrée...
Lors de la parution de La Part maudite, en 1949, Georges Bataille révélait qu'il travaillait depuis dix-huit ans à l'élaboration de cette représentation du monde, dont, seize ans auparavant. «La notion de dépense» - publiée dans la revue La Critique sociale - constituait une première approche.
Pour Georges Bataille, La Part maudite abordait, «en dehors des disciplines particulières, un problème [...] à la clé de tous ceux que pose chaque discipline envisageant le mouvement de l'énergie sur la terre - de la physique du globe à l'économie politique, à travers la sociologie, l'histoire et la biologie [...]. Même ce qui peut être dit de l'art, de la littérature, de la poésie est en rapport au premier chef avec le mouvement [...] de l'énergie excédante, traduit dans l'effervescence de la vie».
Le sens le plus intime de cette entreprise est donné par le fait que cette ébullition du monde, voué à l'«abandon», à l'«écoulement» et à l'«orage», est conçue à l'image de celle qui n'a cessé d'animer la vie de l'auteur. Aussi La Part maudite occupe-t-elle une place centrale dans l'oeuvre de Georges Bataille.
Éditeur de Malcolm Lowry, Witold Gombrowicz, Leonardo Sciascia, Georges Perec, et tant d'autres, fondateur des Lettres Nouvelles et de La Quinzaine littéraire, critique et écrivain, Maurice Nadeau est un des acteurs essentiels de la vie artistique et littéraire de ce siècle, dont il est aussi le témoin privilégié.
Il revisite dans ces mémoires un itinéraire hors du commun, fait de rencontres et de sa passion, déterminante, pour «l'écrit» auquel il voue depuis l'enfance un respect qui lui interdit tout compromis. Redouté parmi les jurys et les cercles littéraires pour sa franchise, Nadeau défend la littérature, la vraie, mais aussi ses plus fervents acteurs. D'Adrienne Monnier, dont il fréquentait assidument la librairie lorsqu'il avait vingt ans, à son ami Henry Miller en passant par les surréalistes André Breton et Benjamin Péret, ou encore Raymond Queneau, avec lequel il revendique une ressemblance physique et spirituelle aussi troublante que drôle, ces chroniques racontent, avec ironie et tendresse, le fabuleux parcours d'un passeur de génie qui déclare, en toute modestie : «Henri Michaux, qui m'avez, un jour, étrillé, Witold, qui m'avez si cordialement haï, je vous remercie. Pour vous, j'ai existé. Même si ce n'était que par vous.»
«À monsieur Jacques Bainville, à la Raison anticipatrice dont les événements suivent après coup l'ordre infaillible, effroyable et gracieux» : cet envoi de Marcel Proust, dans l'exemplaire de Sodome et Gomorrhe qu'il lui offre, en 1922, dit assez les qualités de l'historien que Les Conséquences politiques de la paix, en particulier, ont élevé sur le pavois. Spécialiste de la «question allemande», lancinante au lendemain de la Grande Guerre, historien monarchiste proche de Charles Maurras et de Léon Daudet, Jacques Bainville (1879-1936) passe en effet pour «très calé sur les questions de politique extérieure» et à cet égard, ajoute un rapport de la Sûreté générale, il «fait le Parlement».
Esprit universel et travailleur insatiable, Bainville collabore à nombre de journaux quotidiens, hebdomadaires et mensuels, de L'Action française à La Revue universelle, en passant par Le Capital, Le Petit Parisien, L'Éclair de Montpellier, Le Mercure de France ou La Nation belge. Dans leurs colonnes, il s'attache à soumettre l'événement à une étude complète, méthodique et sereine qui seule peut permettre de démêler l'essentiel et de prévoir les mouvements de l'histoire. Son intelligence, sa culture, ses analyses s'imposent.
Apprécié, reconnu tant par ses pairs que par le grand public, Bainville est aussi romancier - auteur notamment d'Une histoire d'amour -, conteur - La Tasse de Saxe, Jaco et Lori - et voyageur - Les Sept Portes de Thèbes, Tyrrhenus, Quatre Mois en Russie. Ces aspects très largement méconnus de sa personnalité sont ici restitués, grâce à de nombreux textes restés inédits ou jamais réédités, et tous contribuent à redonner à l'analyste, à l'économiste, au chroniqueur, au traducteur, à l'historien, à l'écrivain, dont François Mauriac a pu dire qu'«aucun [...] n'a eu dans sa génération un rôle aussi défini que le sien», sa place en son siècle : assurément l'une des toutes premières.
En 1610, en guise d'étrenne., l'astronome Kepler offre à son protecteur Wackenfels la description poétique d'un flocon de neige : parce que sa structure hexagonale est l'une des figures élémentaires de la matière, le flocon révèle celle de l'univers. Du microcosme au macrocosme, cet éloge paradoxal de Kepler est à la fois un genre littéraire à la mode maniériste du temps, et l'un des accès à la compréhension du monde.
Entre le tournant copernicien négocié par Kepler et Galilée (la Terre tourne autour du Soleil) et la rupture opérée par Newton (le inonde est régi par des lois universelles), la vision directe et les premiers télescopes ne suffisent pas à l'exploration des lointains. L'inaccessibilité de ces nouveaux objets de la connaissance suppose des techniques d'écriture pour décrire l'invisible et dire l'inconnu des mondes cosmologiques.
La fiction joue donc un rôle central : en dépassant les limitations du réel observable, elle permet de substituer une nouvelle image mentale du cosmos à l'ancienne, elle forge un point de vue inédit d'où décrire l'univers ; elle fournit à la science les textes les plus efficaces dans la transformation des représentations du cosmos.
Cette part oubliée ou méconnue, Frédérique Aït-Touati la retrouve, en s'intéressant justement au XVIIe siècle, siècle du commencement moderne, de la mathématisation du monde, de la magie géométrique, des arts de voler, des voyages lunaires et de l'exploration des merveilles de la nature. Par là, elle donne matière à penser et à rêver sur une autre façon de concevoir la science.
Une bibliothèque, c’est le lieu intime de la maison, beaucoup plus que les toilettes ou que la cave à vin. La bibliothèque révèle toutes vos passions, vos curiosités, parfois même les voyages que vous avez faits, les peintres que vous aimez, les premiers poèmes que vous avez lus. C’est aussi la pièce qui fait directement écho à un bâtiment public qui a une fonction en tous points semblables : la plonge dans des livres.
Miroir de la personnalité, et de la ville, la bibliothèque parle pour vous. Alors, quelle stratégie de rangement adopter ? Quelles conditions pour prêter un de vos livres favoris ? Comment bluffer grâce à sa bibliothèque ? C’est à ces impératifs que cet ouvrage vous propose de vous consacrer, le temps d’une nuit d’insomnie et de passion pour les livres.
« Militant trotskyste en 1933, Maurice Nadeau entre aussi la même année en journalisme, puis en littérature. D'un grand journal (Combat) à des hebdomadaires (France Observateur, L'Express), d'une revue à l'autre, d'un éditeur à l'autre, le militant de la littérature est le lecteur, le critique, le découvreur et parfois l'éditeur de quelques-uns des plus grands écrivains de la seconde moitié du XXe siècle, dont il est souvent devenu l'ami. Ainsi David Rousset, Henry Miller, Malcolm Lowry, Gombrowicz, Maurice Blanchot, Samuel Beckett, Henri Michaux, Roland Barthes, Michel Houellebecq... Maurice Nadeau est toujours aujourd'hui l'artisan et le concepteur de La Quinzaine littéraire et des éditions Maurice Nadeau. Pas de jour sans lecture d'un livre, d'un manuscrit, sans désir de partager, de communiquer, de vivre en littérature.
On découvre dans ses entretiens avec Jacques Sojcher l'histoire de cette passion généreuse, avec en toile de fond la grande histoire d'un siècle de littérature. »
STRUCTURE DE L'OUVRAGE
Jacques Sojcher, l'orgueil de l'effacement Maurice Nadeau, Une vie en littérature (1992-2011). Conversations avec Jacques Sojcher
Maurice Nadeau, Sartre et l'idiot de la famille (articles parus dans La Quinzaine Littéraire n° 119 juin 1971 et n° 121 juillet 1971.
Lettres inédites d'auteurs à Maurice Nadeau
(Georges Perec, Samuel Beckett, Simone de Beauvoir, Edmond Jabès, Raymond Queneau...)
Album photos de Maurice Nadeau en compagnie d'artistes et d'écrivains (Fred Deux, René de Obaldia, Marie Etienne, Louis Guilloux, Annie Lebrun, Henri Miller, Anne Sarraute, Leonardo Sciascia, Trotsky Andréa Zanzotto)Textes de Serge Gilbert Lascault, Gilles Nadeau, Bernard Noël, Pierre Pachet, Eugène Simion, Christine Spianti...
De l'enfance à la vieillesse, d'une guerre à l'autre, dans sa réflexion sur le langage et la littérature ou sur la morale politique, dans son commerce avec les écrivains, dans ses responsabilités éditoriales, dans son exercice de la critique, dans ses engagements et ses dégagements, dans ses amours enfin, Jean Paulhan refusa de s'en tenir aux évidences acquises. Sous chaque apparence, sous la moindre certitude, autour de chaque mot, de la moindre idée, il creusa des tranchées, des trous, des galeries, des abîmes. Et comme cela ne suffisait pas, il se mit lui-même en jeu, en danger - celui de devenir fou -, tenant simultanément ou successivement les différents rôles : l'écrivain et le critique, l'auteur et l'éditeur, le maître et l'élève, le terroriste et le rhétoriqueur, le sujet et l'objet, le mot et l'idée, le parlant et le parlé, en somme le marteau et l'enclume, la plaie et le couteau.
Jean Paulhan n'a pas simplifié ma vie. Cette vie, il ne l'a pas non plus exactement éclairée. Mais, incontestablement, il l'a rendue, secrètement, cocasse, imprévisible, sensible, poreuse, faillible, risible et dramatique : intéressante dans des proportions considérables, presque extravagantes.
Jack London, tête brûlée éprise de liberté, a, en quarante années d'une existence intense, semé sur sa route de nombreux romans, nouvelles ou essais comme autant de témoignages de sa soif de vivre. Marin en Sibérie et au Japon, blanchisseur, pilleur d'huîtres, chasseur de phoques, vagabond, chercheur d'or, militant socialiste, correspondant de guerre ou agriculteur... l'auteur de L'Appel sauvage, de Martin Eden, du Peuple d'en bas, de John Barleycorn ou du Talon de fer aura bel et bien vécu plus de cent vies.
Curieusement, on ignore souvent que cet aventurier des mers et des mots était également un photographe de génie qui, par l'image, a reflété son temps. Et de quelle manière ! Avec douze mille clichés, le petit gars des rues de San Francisco a porté sur le monde le regard des grands humanistes. Toujours en empathie avec ses sujets - miséreux de l'East End londonien, soldats du conflit russo-japonais, lépreux de l'île de Molokaï - Jack London a fait part de ses émotions sans jamais se départir d'une sensibilité éloignée des images d'Épinal attendues.
Grâce au travail de Jeanne Campbell Reesman, de Sara S. Hodson et de Philip Adam qui ont sélectionné les deux cents photos les plus marquantes de ce grand reporter s'il en est, un hommage est enfin rendu au Jack London photographe, tant chacune de ses prises de vue déborde d'humanité, de tendresse et de beauté.
Nous vivons une des très rares mutations de l'écrit. Rares (la tablette, le rouleau, le codex, l'imprimerie), mais chaque fois irréversibles et globales.
Ce que change Internet, ce n'est pas le rapport au livre, c'est le rapport au monde. Le numérique affecte la façon dont on écrit aussi bien que celle dont on lit, nos bibliothèques comme la trace que nous laissons parmi les autres. Il ne s'agit pas ici de prédire. Prendre le temps, au contraire, de considérer l'histoire récente de notre propre rapport à ces machines, comment nous nous en servons, ce qu'elles ouvrent de possibles. Prendre le temps de revenir à quelques oeuvres décisives, celles de Balzac ou de Rabelais en font partie, qui sont elles-mêmes l'empreinte d'une de ces transitions. Alors peut-être accepterons-nous de voir que s'offrent pour nos fables, nos récits, nos lettres, nos carnets privés, nos images aussi, d'autres vecteurs, une autre mémoire et de nouveaux modes de transmission. Nous sommes déjà après le livre.