Histoire d'un bonheur

Histoire d'un bonheur
Damas Geneviève
Ed. Arléa

Quel est le secret d’Anita Beauthier ? Sa vie de grande bourgeoise lyonnaise, réglée comme un métronome où rien n’est laissé au hasard, comme en témoigne son agenda rempli de choses à faire, tenir une maison, s’occuper de deux grands enfants, faire du shopping, voir ses amies, participer à un club de lecture, va peu à peu se déconstruire sous nos yeux. Il aura suffi d’une confidence de son fils, qui lui apprend qu’il aime un garçon, pour que son univers s’écroule. Vulnérable- on comprend qu’elle souffre de troubles bi-polaires- elle décide de se libérer de la camisole chimique qui, depuis longtemps, lui permet de renvoyer aux autres l’image d’une femme heureuse. Très vite, livrée à elle-même, elle ne contrôle plus rien et l’immense solitude dans laquelle elle se trouve la submerge d’un seul coup. Mais la confusion qui s’installe alors dans sa vie apporte avec elle une vraie lucidité. Que vaut l’apparente sécurité d’une famille lorsque les vraies blessures se font jour et que le hasard place sur votre chemin des inconnus qui, dans leur étrangeté, finissent par prendre une place plus importante vos proches ?

Rien ne prédestinait Anita Beauthier à rencontrer Nourredine, élève en décrochage dans un collège de la ville et à lier avec lui une relation faite de tendresse et de protection. Rien ne laissait penser non plus que Simon, beau-frère d’Anita et homme solitaire et taciturne rencontrerait Nathalie, la voisine d’Anita, abandonnée et trahie par son mari.

Histoire d’un bonheur est l’histoire de toutes ces rencontres improbables mais porteuses de vraies questions comme, qu’est ce que le bonheur ? Comment se libérer des conventions d’une vie toute tracée pour découvrir, peut-être, son propre chemin.

Geneviève Damas, dans ce roman choral, où chacun des personnages prend la parole et donne sa version de l’histoire, nous donne à lire une réflexion roborative, sur la vraie recherche de soi. C’est aussi un livre extrêmement drôle- on rit beaucoup- où elle s’attaque avec humour à tous les apriori et les clichés de notre société.

Ame qui vive

Ame qui vive
Bizot Véronique
Ed. Actes Sud

Dans une campagne isolée et vaguement montagneuse, quatre hommes se rendent visite ; et s’ils ne se disent pas grand-chose, ils s’entendent et la circulation de l’inattendu les emmène en voyage.
Raconté par un tout jeune homme mutique, Âme qui vive plonge le lecteur dans le vertige paradoxal d’un silence habité, loquace et palpitant, animé d’une drôlerie funambule.
Comme toujours chez Véronique Bizot, ce qui se joue entre ces trois maisons vides et ces quatre hommes seuls échappe au saisissable : la tragédie est source de perplexité, la place de l’Étoile est exotique, les tropiques menaçants et la famille un pur mystère. Rien ne se passe comme prévu et tout peut arriver.
Radical et buté, le silence qui règne sur ce ballet de solitudes solidaires est chaleureux et le roman distille une surprenante douceur, désertant les environs du désespoir pour, aux confins de l’improbable, faire jaillir une lumière orageuse mais enveloppante : la possibilité d’un avenir.

En numérique chez Tropismes : Ame qui vive

Cent vingt et un jours

Cent vingt et un jours
Audin Michèle
Ed. Gallimard

Dans ce livre, il y a des hommes et des guerres. Il y a aussi des femmes, qui essaient de ne pas subir. Il y a une recherche, des documents d'archives, des lettres, des photographies, des journaux intimes, des nombres, des témoignages, et les notes de l'historien qui mène cette recherche.

Il y a la grande histoire et l'histoire intime, l'amour, la guerre, les crimes, l'enfer, la mort. Il y a des Allemands, des étudiants, un fou, une « gueule cassée », des historiens, une infirmière, une jeune fille déterminée, des mathématiciens, des médecins. Il y a le XXe siècle, de l'Afrique coloniale au Paris de 1945 en passant par les champs de bataille de la Grande Guerre, un asile psychiatrique, Strasbourg en 1939 et Clermont-Ferrand, Paris occupé et une petite ville d'Allemagne.

Il y a la littérature, puisque l'historien décide, finalement, d'écrire un roman. Celui-ci ?

L'euphorie des places de marché

L'euphorie des places de marché
Carlier Christophe
Ed. Serge Safran

C'est un malheur très répandu : on passe sa vie au travail. On cohabite, on s'évite, on s'épie, on se désire... Norbert, directeur commercial solitaire et ambitieux, Agathe, secrétaire paresseuse mais débrouillarde, Ludivine, stagiaire énigmatique et tourmentée, sont voués à faire bureau commun. Leur vie ronronne, sur fond de crise économique. Un jour, survient un client américain qui suscite toutes les convoitises. Et voilà que les places financières du monde entier semblent s'enflammer.

Christophe Carlier, drôle et féroce, brosse une comédie virevoltante. Des êtres ordinaires sont soudain bousculés par un vent de folie, attisé par le grand bavardage médiatique. Un conte urbain où les aléas du coeur épousent le rythme erratique des places financières !

Sous la tonnelle

Sous la tonnelle
Yared Hyam
Ed. Sabine Wespieser

Pour garder vive la mémoire de sa grand-mère tout juste disparue, la narratrice se réfugie dans son boudoir, où se sont entassés au fil des ans lettres, dessins et carnets. Elle y retrouve la fantaisie, la liberté et la générosité de la vieille dame qui, pendant toute la guerre du Liban, a refusé, malgré les objurgations de sa famille, de quitter sa maison et son jardin, situés sur la ligne de démarcation entre Beyrouth Est et Beyrouth Ouest. Veuve à trente-et-un ans, cette encore jeune femme d'origine arménienne avait décidé de consacrer sa vie aux autres, après avoir juré fidélité à son défunt mari. Pour sa petite-fille, en instance de divorce, déchirée entre sa quête de liberté et son besoin d'amour, elle était un point d'ancrage et un modèle inatteignable.

Au fil du roman apparaît pourtant, derrière la figure idéalisée, une femme plus complexe et plus mystérieuse aussi. S'arrachant à son isolement, la narratrice finit par rejoindre dans le salon les visiteurs venus présenter leurs condoléances, ceux qu'elle appelle les « corbeaux ». Elle y croise un inconnu, dépité d'être arrivé trop tard pour remettre à l'occupante des lieux l'épais dossier qu'il lui destinait.

Pendant une longue conversation sous la tonnelle, la narratrice médusée va découvrir tout un pan caché de l'existence de sa lumineuse grand-mère. Car le visiteur que nul n'attendait n'est autre que le fils d'un homme épris d'absolu et d'archéologie, Youssef, que rencontra la jeune veuve lors d'une croisière en 1947.

Construisant son deuxième roman comme une invocation à cette grand-mère disparue, tissant la trame de son intrigue dans celle des déchirements de l'Histoire, Hyam Yared dresse là un très beau portrait de femme, hanté par ses propres obsessions sur la passion, le désir et la violence.

L'armoire des ombres

L'armoire des ombres
Yared Hyam
Ed. Sabine Wespieser

Beyrouth au moment des manifestations de 2005. Une comédienne se présente à un casting. L'accueil est étrange : dès son arrivée, l'ouvreuse lui demande de laisser son ombre au vestiaire. Le metteur en scène veut que l'actrice soit dépouillée de tout pour mieux s'emparer du rôle. Comme elle a un farouche besoin de gagner sa vie - le loyer que lui réclame sa propriétaire et l'éducation de son fils - elle accepte le bout d'essai.

Quand elle revient au théâtre après avoir décroché le rôle, le metteur en scène s'est envolé, et il n'y a pas de scénario. Pour tout décor une armoire, dans laquelle elle découvre... des ombres soigneusement pliées.

Devant un public de plus en plus nombreux, elle déploie les ombres, improvisant à partir de chacune d'elles : elle est Greta la prostituée, Mona la réprouvée... tout en se révoltant contre sa mère, une femme désespérément conventionnelle.

Alors qu'elle finit par se fondre jusqu'au vertige dans ses multiples identités, la comédienne dresse le tableau saisissant d'une société libanaise où les individus n'ont pas de place, et moins encore les femmes. Personne ne parvient à exercer son libre-arbitre, si fortes sont les pressions : même les manifestants exigent des passants une adhésion aveugle à leur cause...

Poète, Hyam Yared écrit un premier roman singulier qui capte à merveille le surréel et l'étrangeté du quotidien tout en livrant une vision du monde subversive et violente. Car son livre interroge avec clairvoyance une société cadenassée par le poids de l'histoire et des traditions, où toute tentative d'émancipation se paie au prix fort.

Les joueuses

Les joueuses
Billetdoux Augustin
Ed. Rivages

Deux jeunes femmes nouent, dès leur première rencontre en classe de théâtre, une amitié aussi forte qu'ambiguë. L'une, Zoé, la narratrice est comme sous l'emprise de l'autre, Lou, qui mène la danse. Unies par leur passion commune pour la scène, elles vivotent dans l'attente d'un rôle à leur mesure. L' époque n'est pas à la hauteur de leurs rêves. Elles se sentent bientôt à l'étroit sous les toits de Paris. Lorsqu'elles rencontrent un homme qui semble être la promesse d'un amour différent, les voilà parties pour le Brésil. S'ouvre alors pour elles la porte d'un imaginaire où les mystères du sacré et de la chair sont indémêlables.

Dans ce roman contemporain aux allures de fable initiatique, Augustin Billetdoux nous livre, avec un humour corrosif, le portrait d'une jeunesse fougueuse qui refuse le carcan d'un monde sans onirisme.

En numérique chez Tropismes : Les joueuses

Mali, ô Mali

Mali, ô Mali
Orsenna Erik
Ed. Stock

Voulez-vous les dernières nouvelles du Mali ?

Madame Bâ Marguerite se propose de vous y emmener.

Cette dame, qui n'est pas humble de nature, se prend pour une Grande Royale, une Jeanne d'Arc africaine. Elle veut libérer son pays des djihadistes et c'est son petit-fils, ex-footballeur devenu griot, qui raconte sa campagne mi-glorieuse, mi-désespérée.

Sur les pas de ce duo, vous rencontrerez les femmes échappées de justesse aux horreurs de la charia. Vous découvrirez l'économie très puissante et très illégale dont vit grassement le Sahara. Vous ferez connaissance avec des petits capitaines, soldats d'opérettes, terrorisés par les combats. Vous tomberez sous le charme de leurs épouses prédatrices, frénétiques de la Visa Premier. Vous remonterez le fleuve Niger en évitant toutes sortes de périls. Vous verrez comment et pourquoi bandits et djihadistes s'entendent comme larrons en foire. Vous saluerez des musiciens et des tisserands, inlassables créateurs des liens qui fabriquent un pays. Vous atteindrez juste à temps Tombouctou pour assister à l'arrivée des Français... Surtout, vous plongerez dans la réalité du Mali, sa vaillance, sa noblesse.

Mali, ô Mali !
Comment ne pas comprendre que ta fragilité est la nôtre ?

La traversée des plaisirs

La traversée des plaisirs
Roegiers Patrick
Ed. Grasset

«Depuis trente ans que je vis en France, il était temps de dire ce que je dois à la littérature française. La première partie de La traversée des plaisirs, intitulée 'Le corps des mots', est un voyage ludique dans ma bibliothèque. Portrait inattendu de neuf grands auteurs (Perec, Beckett, Céline, Dubillard, Leiris, Barthes, Michaux, Robbe-Grillet, Claude Simon), 'Le corps des écrivains' compose la seconde partie de cette escapade littéraire qui n'est pas un essai critique, mais un exercice d'admiration et une profession de foi dans les livres et l'écriture.»

L'homme peut-être. Et autres illusions

L'homme peut-être. Et autres illusions
Richard Jacques
Ed. Zellige

La musique est le fil qui relie entre elles ces trente variations sur le thème de l'illusion et de l'absence. Avec ironie, anxiété ou compassion, chaque nouvelle interroge notre éternel besoin d'évidence et les facettes miroitantes de ce que nous appelons la réalité. Usant d'un style volontiers elliptique, poétique, l'auteur construit un contrepoint qui mêle la fragilité de l'instant à celle de gens et de lieux d'autant plus incertains qu'ils sont familiers.

Ce qui frappe, dans cette trentaine de nouvelles courtes en demi-teinte, mais dont la demi-teinte est un piège, c'est la surprise qui nous attend à tout moment. L'auteur nous plonge dans un univers visuel et sonore qui est un mélange de rigueur et de fantaisie. Il situe certes ses récits dans une Belgique familière, mais dont il montre le côté insolite par un art de la variation très bien manié. Dans ce grand jeu sur la réalité et la représentation, il nous laisse sur plus d'interrogations que de réponses.  Pierre Mertens

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