Dans la catégorie « attention, chefs-d'oeuvre ! », les écrivains de la bande des Papous de France Culture, joueurs et imaginatifs, ont choisi 36 histoires romanesques qu'ils nous racontent comme elles arrivent dans leur mémoire vagabonde, joliment troussées.
Hugo aujourd'hui ? C'est Totor dans le 9.3 ! À Anna Karénine on a envie de dire : faites l'amour, pas la gare ! Avec Flaubert, souvent bobos varient, pour Duras, autant en emporte le nuocmâm... Quant au loup de Perrault, il compte pour du beurre. Les héros sont ici apprivoisés, parfois moqués, toujours choyés. Eva Almassy, Patrice Caumon, Odile Conseil, Lucas Fournier, Gérard Mordillat, Ricardo Mosner, Dominique Muller, Françoise Treussard et Jacques Vallet s'en sont donné à coeur joie.
Voici 36 Facéties* joyeuses, comme autant de pirouettes avec la littérature, brillamment illustrées par Ricardo Mosner.
Car rien n'est plus important que de rire en lisant. Ou l'inverse.
* imaginées pour Des Papous dans la tête, émission « culte » de France Culture.
Comme l'indique son titre, ce petit livre met un point final à la suite bardadraque qui l'a précédé, selon une fonction d'«examen» auto-critique et dans un après-coup plus ou moins tardif, que la tradition classique assignait comme définitive et forclusive. La sagesse populaire, qui craint à juste titre les suppléments inutiles et les promesses en l'air, dit en pareil cas : «N'épiloguons pas», ou parfois, et plus bizarrement : «N'anticipons pas». Je vais donc épiloguer un peu, mais pas trop, dans un autre désordre à bâtons rompus et sous le signe paradoxal de la convergence des temps, sans éviter quelques détours à fins de repentirs ambigus, d'aggravations provocantes ou de diversions hasardeuses, et non sans anticiper parfois, mais pas de beaucoup, on verra bien quoi. G. G.
À suivre la théorie des univers parallèles, que prennent de plus en plus au sérieux les physiciens, je ne suis pas seulement en train d’écrire ce livre, mais aussi de diriger un orchestre symphonique, de mener une enquête à Scotland Yard et de faire l’amour avec une star de cinéma.
Il est étonnant qu’une théorie aussi stimulante, illustrée par un grand nombre d’écrivains – comme Dostoïevski, Nabokov ou les sœurs Brontë – et qui permet de résoudre de multiples énigmes de la vie quotidienne, n’ait pas davantage retenu l’attention des chercheurs en sciences humaines. Ce livre entend combler cette lacune.
Né au-dessus d'une échoppe de bonnetier, à Londres, William Blake (1757-1827) affirmait que, pour retrouver la joie que nous portons en nous, « il suffit de nettoyer les fenêtres de la perception ». Après avoir vu Dieu à huit ans, puis un arbre « rempli d'anges », il dessina, peignit, grava, écrivit de longs poèmes prophétiques.
Anticlérical, antimonarchiste, pacifiste, révolté par la misère et l'injustice sociale, il voulut changer l'homme et le monde. À l'argent-roi, il opposa l'esprit, c'est-à-dire la poésie et l'art. Rejeté par son époque, condamné à la solitude et à la pauvreté, il n'en continua pas moins de poursuivre son chemin jusqu'à sa mort.
Dans cet essai biographique passionné et passionnant, Christine Jordis, prix Femina pour De petits enfers variés et prix Médicis pour Gens de la Tamise, fait de l'auteur du Mariage du Ciel et de l'Enfer notre contemporain.
Il aura vécu intensément. Enfance heureuse, adolescence agitée, marié trop jeune, père à tout juste dix-neuf ans, il a connu la précarité, les galères et les frustrations, l'alcool et la descente aux enfers. On aurait déjà pu en faire un roman. Puis il est mort une première fois, ou presque, à quarante ans - exit « Mister Whiskey » auteur contrarié et mari impossible -, pour renaître et mener une nouvelle vie. Une vie vouée à tirer les leçons du passé, à s'élever, à aimer « tout ce qui le grandit ». À devenir Carver, un des plus grands écrivains américains.
Lorsque Rodolphe Barry évoque Raymond Carver, nous entendons sa voix feutrée, nous sentons sa présence sobre et puissante. C'est une descente au fond du coeur de Ray.
Un 1983, Primo Levi s'entretient avec deux historiens, Anna Bravo et Federico Cereja, et revient sur son expérience des camps. Il se penche notamment sur la zone grise, cette bande aux contours mal définis « qui sépare et relie à la fois les deux camps des maîtres et des esclaves » et dont la classe hybride des prisonniers fonctionnaires est « l'ossature et l'élément le plus inquiétant ». Il s'agit de témoigner de cas précis pour comprendre et de comprendre pour mieux juger. Primo Levi le fait avec son style net et précis dont l'équivoque est à jamais bannie.
Précédé d'une importance préface de Carlo Ginzburg, et d'une note de Federico Cereja, l'entretien de Primo Levi est suivi d'une postface d'Anna Bravo : ces textes forment un ensemble incomparable pour aborder une des questions les plus délicates de l'historiographie des camps.
Ils offrent aussi un véritable viatique pour les femmes et les hommes que ne rebute pas la complexité du mal.
Notre temps a bien besoin du témoignage de l'irréconciliation avec ce qui est dont Bataille a décliné les visages. Sa «politique de l'impossible» prend le parti de la subversion dans un contexte qui n'est certes plus le nôtre, mais elle reste à mes yeux un programme susceptible d'affronter les prétentions contemporaines à enfermer la totalité des possibles dans une prétendue mondialisation.
S'il est une leçon à retenir de son «humanisme déchiré», c'est bien celle qui déclare vain d'étouffer l'angoisse associée au fait d'être un homme. Ni «la politique du possible» rivée aux impératifs de la mondialisation, ni les sciences et les techniques enclines à faire advenir le posthumain, ne sauraient l'ignorer encore longtemps.
«Surgissez bois de pins ! Surgissez dans la parole !»
Appelant choses et mots à venir paraître au jour de l'existence, c'est entre ces choses et ces mots, dans les mots eux-mêmes que se cherche la poésie de Francis Ponge qui, du Parti-pris des choses à La Rage de l'expression, aura tenté le plus extrême : oser dire.
Le plus extrême, car extrême est toute parole qui, prenant son inspiration de l'appel muet des choses, veut les dire, veut, leur répondant, co-naître avec elles au monde. Mais comment dire la chose sans faire d'elle un objet mort ? Comment se rapporter à la langue sans en figer le lexique en un système pré-construit de significations qui n'ouvre rien du monde qu'il entend décrire ? Dire le galet sans pétrifier le discours, ou dire du pré la verte vérité requiert alors un jeu. Non celui, suffisant, qui idolâtre le texte ; mais celui qui, tendu, s'instaure entre choses et mots et suscite l'origine même de la parole, soit pour nous qui parlons, de notre être-au-monde.
C'est ainsi à une analyse précise de l'ob-jeu ravivant la verbo-motricité première de l'homme et les appels du monde muet que cette étude nous convie. Avec la poésie de Francis Ponge, par elle, c'est alors l'origine même de la parole qui vient à se dire, cette puissante origine nocturne qui, nommant, ouvre le jour, le jeu du monde.
Ce que parler veut dire nous l'apprenons des poètes. Parce qu'ils sont partagés entre les choses et les mots comme nous. Mais eux le savent et certains le disent en propres termes.
Leur parole, alors, a la violence de ce qui, divisé d'avec soi, a à devenir réel. Telle l'écriture de Francis Ponge.
Il fallait en tenter l'approche en souvenir de l'ami, en faveur de l'esprit.
H. M.
En 1929, André Gide accueille sur l'orbite très exclusive de ses intimes un jeune homme de vingt-six ans à qui il prête « tous les charmes de l'enfer ». Il a été un proche de Jean Cocteau, il fume de l'opium : « Ecrivez. » Pierre Herbart est devenu l'auteur d'une oeuvre secrète, mais qui est un mot de passe pour les amoureux de la littérature. De La Ligne de force, sur la colonisation française en Indochine, on a pu dire que c'est « plus fort que L'Espoir de Malraux ». Avec L'Âge d'or, il a écrit le grand livre sur l'homosexualité qu'on aurait précisément pu attendre de Gide. Styliste merveilleux, homme en retrait, par une élégance désintéressée et bien rare, il doit être placé parmi les écrivains français majeurs du XXe siècle.
Fils d'une famille bourgeoise déclassée, un temps communiste, préparant le célèbre voyage en URSS de Gide, résistant héroïque (il a libéré la ville de Rennes sous le nom qu'on lui avait donné malgré lui de « général Le Vigan »), homme de presse avec Albert Camus, il n'a jamais tiré aucun avantage social ou politique d'actes qui auraient valu des ministères ou des fauteuils académiques à plus d'un. Herbart ou : le talent et la grâce.
Cette première biographie s'appuie sur de nombreux témoignages et documents inédits.
« Mon grand-père, modeste vigneron de Champagne, tenait le journal des vents et des températures, de la fleur de la vigne, des maladies et des vendanges. Je décidai de faire comme lui et comme ma mère (qui notait aussi chaque centime dépensé sur son agenda). Je n'avais jamais ouvert mes cahiers. Je les ai lus comme s'ils étaient d'un autre. Il m'a semblé y retrouver un peu de l'eau de la vie, quelques gouttes, recueillies dans la paume de la main, au jour le jour, avant le filtrage. Eau vive : amitiés, désamitiés, engagements, voyages, hauts, bas, solitudes, indignations, rencontres, nouveaux départs, lectures, regrets, libertés et bonheurs. » Daniel Rondeau
Dans ces cahiers, on croise des responsables politiques (Chirac, Mitterrand, Balladur, Védrine, Kouchner, Villepin, Sarkozy), des écrivains, des marins et des boat people, beaucoup d'amis français et étrangers, des archéologues et des boxeurs. Mais ce qui frappe à la lecture, ce qui restera longtemps, c'est le regard d'un homme passionné par la littérature et la France, qui arrive à nous faire entrevoir l'histoire en marche.