Notre anthologie de la correspondance épistolaire vient saluer les hommes et les femmes que l'époque, le coeur ou les idées ont placés devant la feuille blanche où leurs mots solitaires, chemin faisant, ont tenté d'oublier la distance en confiant indignations, inquiétudes sourdes, molles mélancolies, visions du monde ou de l'art. Des lettres de Sénèque ou de Mme de Sévigné l'inconsolable à celles de Vincent à Théo, la route est longue ; le temps prend son temps, de relais en relais, de diligences qui ne font pas diligence, de courriers romains en postillons et chevaux frais avalant les kilomètres à la fougue du désir palpitant de ligne en ligne sur de chères missives. Ainsi nous offrons au lecteur un éventail coloré de lettres, pour qu'il hume le parfum restitué d'un monde déchu, à l'heure où l'attente de la sonnerie du téléphone et la consultation rapide du répondeur ont remplacé ce rituel de la lenteur, où la main venait effleurer le papier imprégné des senteurs de la belle épistolière pour étreindre, voluptueusement, les mots abandonnés...
En 1958, commentant le premier roman d'un jeune écrivain, Aragon écrivait dans Les Lettres françaises : «Je n'ai jamais rien demandé à ce que je lis que le vertige : merci à qui me fait me perdre, et il suffit d'une phrase, d'une de ces phrases où la tête part, où c'est une histoire qui vous prend. Aucune règle, ne préside à ce chancellement pour quoi je donnerais tout l'or du monde.» Il y a beaucoup de choses qu'on ne peut pas demander à l'oeuvre d'Aragon. Il y en a beaucoup qu'on ne peut accepter d'elle qu'avec la plus haute prudence. Mais, quant au vertige, il n'est que peu d'écrivains qui aient su le susciter avec tant d'excès et de virtuosité. Il y a, pour parler comme Aragon, un «perdre-pied» propre à cette oeuvre et qui lui confère son mouvement frénétique, l'arrache sans cesse à ce qu'elle est, la sauve en somme d'elle-même.
Le 1er avril 1962, un dimanche. À dix-sept heures, le speaker de l'INR annonce : « Michel de Ghelderode est décédé. » C'était il y a cinquante ans... Aujourd'hui, le dramaturge de génie qui a offert à la Belgique des pièces telles que Barabbas et La Balade du Grand Macabre est au purgatoire, quasi oublié. Pourquoi et qui était-il vraiment, l'homme au prénom d'archange ?
Pour le redécouvrir, Josyane Vandy est partie à la recherche de celle qui a vécu dans son ombre. Jeanne, sa femme. Un prénom de guerrière, une existence de vigie. Sans elle, dira-t-il, je n'aurais rien écrit...
À travers Jeanne, ce récit a pris corps. Elle est le sésame vers une histoire de couple à la petite musique singulière. Un couple entre gloire et tragédie.
« Comment débusquer celui qui se cache derrière ses phrases, derrière ses traces et qui fait des siennes ? Comment l'attraper tant soit peu et lui régler son compte ? Qui est-il, que cherche-t-il ? Comment le démasquer à travers ce ' vaste collage autobiographique', comme disait l'éditeur de Comme des baies de genévrier de Walt Whitman ? Voilà ce que je me propose de faire aujourd'hui. En confrontant ce portrait à l'image qui m'en était rendue, celle que la doxa a imprimée dans ses bouches d'ombre multiples. Le portrait officiel, les images qui filent, le démon de l'ouï-dire comme disait Rabelais : traître (surtout traître), voyou, pédé, faussaire, provocateur, langue de vipère, pornographe, pestiféré, etc. La constellation du crime. Qu'on pourrait résumer sous les deux figures du voyou et du voyeur. »
La disparition du digamma du sein de l’alphabet de la langue grecque ne fut probablement pas ce qu’un de mes personnages imagine, la cause de l’inadéquation ultérieure de la chose et de l’intellect dans les sociétés du monde occidental. Mais il se peut qu’elle ait retenu l’attention de l’adolescent qu’il était quand il apprit qu’elle avait eu lieu parce qu’elle fait penser à d’autres disparitions. Par exemple, dans les réseaux des significations conceptuelles, celle du savoir de la finitude. Une sorte de mauvais pli qui paraît alors entre l’existence et sa vêture verbale, une bosse sous la parole qui n’en finit pas de se déplacer sans se résorber dans des mots qui en seront à jamais fiction, en dépit des efforts – mais du fait des rêves – de ce que notre temps a dénommé l’écriture, cette attestation, tout de même, de notre besoin de poésie. Y. B.
Je crois fermement que si la culture européenne a du mal à se connaître elle-même, cela est dû à l'ignorance du roman européen en général, et du roman anglais en particulier.
D'où l'importance des classiques. Parmi toutes les bonnes raisons de les lire, Calvino écrit que «les classiques sont des livres d'autant plus neufs, inattendus, inouïs, qu'on a cru les connaître par ouï-dire».
Le pari de Philippe Arnaud est de nous convaincre que «la littérature anglaise est la plus riche, la plus universelle, la plus libre, la plus souveraine, la plus merveilleuse, la plus vivante, et la plus drôle du monde».
Il a pour arguments Fielding, Sterne, Wilde, Orwell, Joyce, Woolf, et d'autres encore.
Son défi est de distraire le lecteur, en l'instruisant. Ou le contraire... car tout dans cet essai est bonheur de lecture.
À ceux qui jouent au chat et à la souris, aux chicaneurs qui sont comme chien et chat, à l'averti qui sait que chat échaudé craint l'eau froide et croit que quand le chat n'est pas là, les souris dansent, cette anthologie très féline s'adresse, toutes griffes dehors, pour leur offrir tous les aristochats, minets, mistigris, Pussy cat et chats fourrés prêts à bondir de page en page, à s'y étirer en toute langueur...
« Le chat tigré, François, était assis sur son derrière, au beau milieu de la chambre. Grave, immobile, il regardait de ses yeux ronds les deux amants. Il semblait les examiner avec soin, sans cligner les paupières, perdu dans une sorte d'extase diabolique. » Emile Zola
1920-1939 : Vian, de Ville-d'Avray à Landemer, enfance, adolescence, insouciance
«Enfant, Boris était déjà différent», répétait volontiers Ninon Vian, sa soeur cadette. C'est l'histoire de cette différence qui est restituée dans cet ouvrage.
D'où viens-tu, Boris ? À Ville-d'Avray et à Landemer, Boris Vian évolue, grandit, s'épanouit et s'émancipe dans un havre affectueux, libre et généreux. Il n'est pas comme les autres, mais il vit bien avec les autres : parents, tantes, frères et soeur, cousins et amis de la famille. Et les très proches voisins, les Menuhin et les Rostand. D'où viens-tu, Boris ? Tout commence avec l'arbre généalogique des Vian établi et annoté par Boris lui-même. La suite s'appuie sur des centaines de documents inédits et exceptionnels : des photos familiales, des correspondances, des manuscrits, des témoignages, des diplômes, des papiers officiels, des poèmes, des extraits du journal intime de Boris, etc. Et la fin semble annoncée : ce garçon-là deviendra un écrivain et un artiste aux multiples talents.
D'où viens-tu, Boris ? Il vient de son enfance, de sa jeunesse. Il ne les quittera jamais.
À la découverte des mythes fondateurs de l'Empire du Soleil levant
Il est dit au Japon qu'au Commencement était non pas un, mais deux dieux - Izanagi l'homme et Izanami la femme – car dans ce pays qui pose une histoire de cœur au départ de tout, la seule chose importante c'est d'aller à la rencontre de l'autre. Dans la Genèse japonaise, donc, le monde est le résultat d'un acte d'amour entre deux êtres qui, préalablement, tournent autour d'un poteau pour mimer la première rencontre... Après quoi, les amoureux mythiques procèdent aux multiples étreintes qui donnent naissance à ce qui existe, y compris les êtres humains, tous issus de ce désir qui a porté la première femme vers le premier homme.
Cet ouvrage recense les cent histoires d'amour les plus connues du Japon, décryptées et commentées par des artistes, des anthropologues ou des historiens. Entrez dans la danse de ces multiples désirs croisés qui reflètent, chacun, une parcelle du nihon no kokoro : 'le cœur du Japon'.
À quel moment Moscou la génitrice, porteuse du souffle créateur de la modernité, se fait-elle persécutrice, chassant l'écrivain vers le néant qui guette derrière ses façades ? À quel moment l'étroitesse des logements communautaires se révèle-t-elle un décor masquant un vide sans fond ?
Les cauchemars de Krzyzanowski que Toporov analyse en termes de pathologie de l'espace transmuent l'imaginaire fantastique en un réel psychologique et politique.
Avant même de choisir la clandestinité et le silence, Krzyzanowski se sent « retranché » de l'espace des vivants, relégué dans une négativité qui n'en finit pas de croître avant de l'engloutir définitivement.
Acteur de ce théâtre de l'absurde, qui n'est autre que l'existence elle-même, Krzyzanowski se fait médiateur de l'espace négatif et paie de sa personne cet acte littéraire désespéré, l'unique possible contre le néant à l'oeuvre.
C'est le sens de cet engagement, ainsi que les stratégies littéraires qu'il mobilise, que tente de saisir Toporov.
Vladimir Toporov (1928-2005) est une des figures majeures de la critique russe du XXe siècle. Son intérêt initial pour la reconstruction des contextes effacés l'a conduit à une approche archéologique du texte visant à en faire remonter les contenus cachés, les aspects passés inaperçus.