«'Papa m'a demandé de l'aider à en finir.' Je me répète cette phrase, elle sonne bizarrement. Qu'est-ce qui ne colle pas ? 'Papa' et 'en finir' ?»
Avec Tout s'est bien passé, Emmanuèle Bernheim nous livre le récit haletant et bouleversant de son impensable aventure.
Ce que je crois, c'est que nous appartenons tous à Pædophilia. En règle générale Pædophilia donne la vie, le lait, la confiance, et les mots. Mais il arrive que Pædophilia fasse tout le contraire, qu'elle se retourne contre la vie, semant la terreur, le silence et la mort. Si Pædophilia fait le bien le plus précieux aux grands et aux petits, elle fait parfois le plus grand mal. C'est un incroyable mystère. Et tellement éprouvant pour la conscience qu'on ne sait presque rien en dire. Ce n'est pas faute d'éprouver Pædophilia. Tout le monde y passe. C'est le plus répandu, le moins contesté, le plus poignant des sentiments. Mais c'est en même temps le moins interrogé, le moins réfléchi.
C'est en 1956, à Cambridge, que Sylvia Plath fait la connaissance du jeune Ted Hughes, poète prometteur, homme d'une force et d'une séduction puissantes. Très vite, les deux écrivains entament une vie conjugale où vont se mêler création, passion, voyages, enfantements. Mais l'ardente Sylvia semble peu à peu reprise par sa part nocturne, alors que le 'braconnier' Ted dévore la vie et apprivoise le monde sauvage qu'il affectionne et porte en lui. Bientôt ses amours avec la poétesse Assia Wevill vont sonner le glas d'un des couples les plus séduisants de la littérature et, aux yeux de bien des commentateurs, l'histoire s'achève avec le suicide de l'infortunée Sylvia.
Attentive à la rémanence des faits et des comportements, Claude Pujade-Renaud porte sur ce triangle amoureux un tout autre regard. Réinventant les voix multiples des témoins - parents et amis, médecins, proches ou simples voisins -, elle nous invite à traverser les apparences, à découvrir les déchirements si mimétiques des deux jeunes femmes, à déchiffrer la fascination réciproque et morbide qu'elles entretiennent, partageant à Londres ou à Court Green la tumultueuse existence du poète.
L'ombre portée des oeuvres, mais aussi les séquelles de leur propre histoire familiale - deuils, exils, Holocauste, dont elles portent les stigmates -, donnent aux destins en miroir des 'femmes du braconnier' un relief aux strates nombreuses, dont Claude Pujade-Renaud excelle à lire et révéler la géologie intime.
- Eugène s'est fait cloner. Voilà.
- Pardon ?
Ils n'avaient pas l'air surpris, juste ahuris. Ils demandèrent seulement à Cécile de répéter. Elle répéta. Georges s'excusa : il ne comprenait toujours pas. Jocelyne dit : «Moi non plus.»
- Cloner ! insista Cécile. Clo-ner ! C'est pourtant simple. On lui a taillé un petit bout de viande dans le postérieur et, avec, on est en train de lui fabriquer un bébé. Une sorte de double. Un autre Eugène mais en plus jeune. Nettement plus jeune d'ailleurs puisqu'il n'est pas encore né. Ça s'appelle du clonage. Ça vient de sortir.
La mer noire. En ce jour d'anniversaire, la première pensée de Tamouna est pour Tamaz. Cet homme, qu'elle a rencontré l'été de ses quinze ans à Batoumi et qu'au fil des années elle n'a cessé d'attendre, s'est annoncé à la fête qui se prépare.
Dans un demi-sommeil, la vieille dame se souvient de leurs amours timides et éblouies, très vite interrompues par le départ précipité de la famille, contrainte de fuir devant les bolcheviques. Tout aussi brutalement que de ses grands-parents et de son univers, la jeune fille a été coupée de son amour de jeunesse. Sa vie peu à peu s'est construite à Paris, parmi la communauté des exilés géorgiens. Quand Tamaz finit par reparaître, alors que les frontières du pays natal sont hermétiquement closes, leurs vies se sont dessinées autrement...
La longue journée pendant laquelle se déroule le roman est comme une métaphore de la vie de Tamouna : entourée des siens, de cette famille géorgienne qui a su garder vivaces les traditions et perpétuer un bonheur de vivre qui aurait dû être immuable, elle laisse libre cours à ses souvenirs. Dans une narration habilement tissée, l'image de la doyenne qu'elle est devenue se superpose à celle de la jeune fille exilée. Et c'est toute la force de ce roman que de peindre avec une remarquable élégance et sans le moindre pathos le portrait d'une femme toujours habitée par la joie et le désir malgré les deuils et les déchirements de l'histoire.
La Grande Sauvagerie, c'est le nom que les coureurs de bois du Canada français ont donné à ce qui s'est appelé, en d'autres temps et d'autres lieux, The Wild : l'espace inviolé, le blanc sur la carte. L'expression s'est perdue et ne parle plus guère à personne.
La Grande Sauvagerie, c'est aussi un lieu-dit, un rocher qui domine un coin de la campagne limousine. Les guides touristiques le signalent à l'attention pour sa lanterne des morts, une simple tour de granit, sans grâce.
Les habitants du pays ont oublié depuis longtemps qu'un feu y brûlait jadis, qui guidait les voyageurs dans la nuit.
Thérèse Gandalonie a grandi à Saint-Léonard, à l'ombre de la lanterne des morts. Puis elle s'en est allée. Elle a traversé l'océan. Elle a découvert, dans les bibliothèques américaines, le Journal inédit de Jean-François, peintre d'ex-voto établi à Montréal, cousin à la mode de Bretagne du Grand Rameau. Elle a compris en le lisant que les deux Grandes Sauvageries renvoyaient l'une à l'autre.
Quand elle s'en retournera, elle saura désormais apercevoir, infusée dans le paysage, une histoire oubliée de tous.
Elle la déchiffre pour nous. C'est sa voix que nous entendons, une voix rocailleuse traversée par le vol des lucioles.
Lazor Hilaire est un homme singulier qui siège aux prud'hommes pour garder un oeil sur le sens de la vie tout en fredonnant une mélodie secrète, en cultivant une profonde tendance à la contemplation, un penchant pour l'évitement, pour l'autrement qui de plus en plus l'éloignent des autres.
Ainsi, lorsqu'il s'éprend d'une avocate dont le charme et l'élégance s'avèrent tout aussi particuliers, quand l'amour les entraîne dans la spirale du désir, les choses tournent d'une étrange manière. Car Lazor ne veut plus réduire le plaisir à sa triviale finitude, son exigence le porte ailleurs... Pendant ce temps le monde s'impatiente. La ville se couvre de déchets, le président de la République quitte la Terre pour une tournée interplanétaire, et dans la nuit étoilée les parents de Lazor se promènent, le chat Rémi fait un dernier voyage, les inconnus s'élancent et rebondissent sur des trampolines géants.
Autre chose, autrement, ailleurs...
Un imaginaire poétique pour aborder le machisme de nos cultures, pour observer, sous couvert d'un monde secret, le théâtre urbain, politique et social de ce début de siècle en France.
Après Chanson pour bestioles (prix Lilas 2008 et prix Découverte prince de Monaco 2008), ce livre est le second roman de Cécile Reyboz. Elle vit et travaille à Paris, écrit par ailleurs pour le théâtre.
Convoqué par sa vieille amie Diane, Maxime Odradek interrompt son exil américain pour un hommage à leur ancien professeur de philosophie. Et avec Diane, c'est tout Valmondois, domaine du Val-d'Oise et de sa décadente jeunesse, qui s'engouffre dans ces quelques jours parisiens. Parti à la recherche du temps perdu, Maxime l'agnostique, sévèrement menacé par l'horizon de la cinquantaine, est soudain plongé dans le présent que ses propres bifurcations lui ont épargné. Parmi tous ses vieux-jeunes amis effrayants d'auto-satisfaction, et nez à nez avec son grand amour mort, le voilà confronté de plein fouet à la possibilité d'un avenir. Saura-t-il voir et saisir les secondes chances que le destin met sur sa route ?
Drôle et mélancolique, virtuose et grinçant, Le Sérieux des nuages pourrait bien être le désopilant roman du tragique exil intérieur auquel nul n'échappe. Denis Baldwin-Beneich a l'insolence d'en faire un divertimento d'une férocité et d'une élégance rares.
L'amour, tout le monde en parle, presque tout le monde le fait, et nul n'est à l'abri de ses extravagances.
Au départ, un homme au passage duquel personne ne se retourne dans la rue, un être pâle, exagérément discret et qui paraît, pour tout dire, parfaitement insignifiant. Mais contre toute attente, cet homme se révèle être l'incarnation du prince charmant : épris d'amour, attentionné, courtois, bref, il est l'homme que l'héroïne, car il y en a une, attendait. Tous leurs voeux ne seront pas exaucés pour autant.
Le jeu subtil de l'écrivain confirmée qu'est Anne Weber, ainsi que sa légèreté pour relater des choses graves, transforment cette chronique d'un amour explosif en une oeuvre romanesque raffinée et profonde. Et si la vengeance était un plat qui se mange en riant ?
Tous mes voeux est un conte cruel plein de surprises, d'esprit et de lumière.
Trois soeurs – Fanny, Susannah, et Diotime qu’un tragique événement a rendue aveugle – fréquentent à Paris l’Ecole des beaux-arts. Ce qu’elles aiment par-dessus tout, c’est peindre – mais la peinture, de nos jours, est jugée obsolète. Alors les voici qui s’évadent. Par jeu, elles se choisissent d’autres professeurs : Alexander Cozens, inventeur d’une célèbre méthode d’apprentissage de la peinture paysagère par taches ; et son fils, John Robert Cozens, peintre lui aussi, avec qui elles s’improvisent des amours dignes du XVIIIe siècle anglais et de la tradition du Grand Tour. Voyageant par l’esprit, elles conjuguent érotisme, création et liberté, suivant l’exemple de leur tante George, qui régulièrement navigue entre l’Europe et l’Australie.
Dans un permanent et très fluide aller-retour entre les lieux et les époques, Emmelene Landon compose un roman-paysage dont se redessine sans cesse l’horizon narratif. Car le réel et l’imaginaire échangent ici leurs propriétés, suggérant d’autres chemins d’écriture, d’autres désirs de beauté : une manière atypique d’insuffler aux Temps modernes un puissant courant de vie intérieure.
Née en Australie en 1963, Emmelene Landon a fait l’Ecole des beaux-arts de Paris. Auteur de trois films, elle a réalisé un tour du monde sur des cargos. Ecrivain, elle est aussi peintre et productrice de radio. Elle a publié trois livres : Le Tour du monde en porte-conteneurs (Gallimard, 2003), Susanne (Léo Scheer, 2006) et Le Voyage à Vladivostok (Léo Scheer, 2007).