La mer noire. En ce jour d'anniversaire, la première pensée de Tamouna est pour Tamaz. Cet homme, qu'elle a rencontré l'été de ses quinze ans à Batoumi et qu'au fil des années elle n'a cessé d'attendre, s'est annoncé à la fête qui se prépare.
Dans un demi-sommeil, la vieille dame se souvient de leurs amours timides et éblouies, très vite interrompues par le départ précipité de la famille, contrainte de fuir devant les bolcheviques. Tout aussi brutalement que de ses grands-parents et de son univers, la jeune fille a été coupée de son amour de jeunesse. Sa vie peu à peu s'est construite à Paris, parmi la communauté des exilés géorgiens. Quand Tamaz finit par reparaître, alors que les frontières du pays natal sont hermétiquement closes, leurs vies se sont dessinées autrement...
La longue journée pendant laquelle se déroule le roman est comme une métaphore de la vie de Tamouna : entourée des siens, de cette famille géorgienne qui a su garder vivaces les traditions et perpétuer un bonheur de vivre qui aurait dû être immuable, elle laisse libre cours à ses souvenirs. Dans une narration habilement tissée, l'image de la doyenne qu'elle est devenue se superpose à celle de la jeune fille exilée. Et c'est toute la force de ce roman que de peindre avec une remarquable élégance et sans le moindre pathos le portrait d'une femme toujours habitée par la joie et le désir malgré les deuils et les déchirements de l'histoire.
La Grande Sauvagerie, c'est le nom que les coureurs de bois du Canada français ont donné à ce qui s'est appelé, en d'autres temps et d'autres lieux, The Wild : l'espace inviolé, le blanc sur la carte. L'expression s'est perdue et ne parle plus guère à personne.
La Grande Sauvagerie, c'est aussi un lieu-dit, un rocher qui domine un coin de la campagne limousine. Les guides touristiques le signalent à l'attention pour sa lanterne des morts, une simple tour de granit, sans grâce.
Les habitants du pays ont oublié depuis longtemps qu'un feu y brûlait jadis, qui guidait les voyageurs dans la nuit.
Thérèse Gandalonie a grandi à Saint-Léonard, à l'ombre de la lanterne des morts. Puis elle s'en est allée. Elle a traversé l'océan. Elle a découvert, dans les bibliothèques américaines, le Journal inédit de Jean-François, peintre d'ex-voto établi à Montréal, cousin à la mode de Bretagne du Grand Rameau. Elle a compris en le lisant que les deux Grandes Sauvageries renvoyaient l'une à l'autre.
Quand elle s'en retournera, elle saura désormais apercevoir, infusée dans le paysage, une histoire oubliée de tous.
Elle la déchiffre pour nous. C'est sa voix que nous entendons, une voix rocailleuse traversée par le vol des lucioles.
Lazor Hilaire est un homme singulier qui siège aux prud'hommes pour garder un oeil sur le sens de la vie tout en fredonnant une mélodie secrète, en cultivant une profonde tendance à la contemplation, un penchant pour l'évitement, pour l'autrement qui de plus en plus l'éloignent des autres.
Ainsi, lorsqu'il s'éprend d'une avocate dont le charme et l'élégance s'avèrent tout aussi particuliers, quand l'amour les entraîne dans la spirale du désir, les choses tournent d'une étrange manière. Car Lazor ne veut plus réduire le plaisir à sa triviale finitude, son exigence le porte ailleurs... Pendant ce temps le monde s'impatiente. La ville se couvre de déchets, le président de la République quitte la Terre pour une tournée interplanétaire, et dans la nuit étoilée les parents de Lazor se promènent, le chat Rémi fait un dernier voyage, les inconnus s'élancent et rebondissent sur des trampolines géants.
Autre chose, autrement, ailleurs...
Un imaginaire poétique pour aborder le machisme de nos cultures, pour observer, sous couvert d'un monde secret, le théâtre urbain, politique et social de ce début de siècle en France.
Après Chanson pour bestioles (prix Lilas 2008 et prix Découverte prince de Monaco 2008), ce livre est le second roman de Cécile Reyboz. Elle vit et travaille à Paris, écrit par ailleurs pour le théâtre.
Convoqué par sa vieille amie Diane, Maxime Odradek interrompt son exil américain pour un hommage à leur ancien professeur de philosophie. Et avec Diane, c'est tout Valmondois, domaine du Val-d'Oise et de sa décadente jeunesse, qui s'engouffre dans ces quelques jours parisiens. Parti à la recherche du temps perdu, Maxime l'agnostique, sévèrement menacé par l'horizon de la cinquantaine, est soudain plongé dans le présent que ses propres bifurcations lui ont épargné. Parmi tous ses vieux-jeunes amis effrayants d'auto-satisfaction, et nez à nez avec son grand amour mort, le voilà confronté de plein fouet à la possibilité d'un avenir. Saura-t-il voir et saisir les secondes chances que le destin met sur sa route ?
Drôle et mélancolique, virtuose et grinçant, Le Sérieux des nuages pourrait bien être le désopilant roman du tragique exil intérieur auquel nul n'échappe. Denis Baldwin-Beneich a l'insolence d'en faire un divertimento d'une férocité et d'une élégance rares.
L'amour, tout le monde en parle, presque tout le monde le fait, et nul n'est à l'abri de ses extravagances.
Au départ, un homme au passage duquel personne ne se retourne dans la rue, un être pâle, exagérément discret et qui paraît, pour tout dire, parfaitement insignifiant. Mais contre toute attente, cet homme se révèle être l'incarnation du prince charmant : épris d'amour, attentionné, courtois, bref, il est l'homme que l'héroïne, car il y en a une, attendait. Tous leurs voeux ne seront pas exaucés pour autant.
Le jeu subtil de l'écrivain confirmée qu'est Anne Weber, ainsi que sa légèreté pour relater des choses graves, transforment cette chronique d'un amour explosif en une oeuvre romanesque raffinée et profonde. Et si la vengeance était un plat qui se mange en riant ?
Tous mes voeux est un conte cruel plein de surprises, d'esprit et de lumière.
Trois soeurs – Fanny, Susannah, et Diotime qu’un tragique événement a rendue aveugle – fréquentent à Paris l’Ecole des beaux-arts. Ce qu’elles aiment par-dessus tout, c’est peindre – mais la peinture, de nos jours, est jugée obsolète. Alors les voici qui s’évadent. Par jeu, elles se choisissent d’autres professeurs : Alexander Cozens, inventeur d’une célèbre méthode d’apprentissage de la peinture paysagère par taches ; et son fils, John Robert Cozens, peintre lui aussi, avec qui elles s’improvisent des amours dignes du XVIIIe siècle anglais et de la tradition du Grand Tour. Voyageant par l’esprit, elles conjuguent érotisme, création et liberté, suivant l’exemple de leur tante George, qui régulièrement navigue entre l’Europe et l’Australie.
Dans un permanent et très fluide aller-retour entre les lieux et les époques, Emmelene Landon compose un roman-paysage dont se redessine sans cesse l’horizon narratif. Car le réel et l’imaginaire échangent ici leurs propriétés, suggérant d’autres chemins d’écriture, d’autres désirs de beauté : une manière atypique d’insuffler aux Temps modernes un puissant courant de vie intérieure.
Née en Australie en 1963, Emmelene Landon a fait l’Ecole des beaux-arts de Paris. Auteur de trois films, elle a réalisé un tour du monde sur des cargos. Ecrivain, elle est aussi peintre et productrice de radio. Elle a publié trois livres : Le Tour du monde en porte-conteneurs (Gallimard, 2003), Susanne (Léo Scheer, 2006) et Le Voyage à Vladivostok (Léo Scheer, 2007).
Marcel Proust et James Joyce se sont vraiment rencontrés le 18 mai 1922, au Ritz, dans mon roman. L'amour de la nuit, la solitude, l'état déplorable de leur santé, l'insularité de leur personnalité, l'ampleur de l'oeuvre, la folie de la langue, mais aussi les phobies (les rats pour l'un, les chiens pour l'autre), l'amour des chansonnettes (ils adorent « Viens Poupoule »), tout les rapproche. Marcel vient de terminer La Recherche, James de publier Ulysse. Un coup de foudre en amitié unit ces deux génies qui se tutoient.
Dans la seconde partie, Proust décède. À son enterrement, au Père-Lachaise, se presse le gotha de la littérature. Homère, Shakespeare, Molière, Diderot, Kafka, Calvino, Barthes... La disparition d'un écrivain contient celle de tous les autres. Et Proust en personne assiste à sa mise en terre. La fiction l'emporte sur le Temps. Les grands écrivains ne meurent jamais.
Je dînais seul un soir d'hiver dans un banal restaurant chinois presque désert lorsque le cinéaste Raul Ruiz, que je connais depuis longtemps mais que je croise très rarement, est venu à ma table et a prononcé ces mots : « Je te propose de jouer le rôle du chirurgien dans Les Mains d'Orlac ! »
J'ai été intrigué puis fasciné que l'on puisse me proposer, à moi, d'être cette créature du Mal. Mais n'étais-je pas justement en train d'écrire un roman fantastique noir au climat trouble et mystérieux ?
Au bout d'une nuit farfelue durant laquelle se bousculaient divagations et souvenirs dans ma tête fatiguée, des fantômes assez spéciaux sont venus à ma rencontre dans la ville enneigée. Et avec eux ma Chance.
«Personne ne peut savoir ce qui étreint le coeur du voyageur. Personne ne peut savoir ce qui mourait dans le coeur de la reine. Jo est parti vers l'est à l'aube noire, après que l'hyène s'est tue avant le chant des coqs.» - François Koltès
N'Na est partie un soir, bien qu'on ne parte pas un soir quand la nuit est tombée et qu'on a de la route à faire. Jo ne la retient pas. Elle ne le regarde pas.
Sous le soleil ardent de l'Afrique, tout se vend et tout s'achète, sauf le bonheur. Jo a tout quitté pour cette Afrique dont il ne sait s'il l'aime ou la déteste. Il y fait des rencontres, il y perd sa fortune, bientôt il n'a plus rien que sa peau.
Avec Des vêpres noires, c'est la grande scène du désir, de la démence et de la colère que nous dévoile François Koltès. C'est aussi un face-à-face ultime entre le désespoir de la survie et une foi inébranlable en l'avenir.
Lieve Jean-Luc - Chère Kristien : deux écrivains belges, Kristien Hemmerechts et Jean-Luc Outers, s'écrivent chacun dans leur langue. Ils essayent de définir ce qui les sépare et ce qui les unit, l'un en français, l'autre en néerlandais. Ils échangent leurs points de vue sur la politique belge - cette hydre indéchiffrable -, sur les événements du monde (crise bancaire, élection d'Obama, guerre de Gaza), donnent leur sentiment sur l'actualité culturelle (la mort d'Hugo Claus, l'attribution du prix Nobel à Le Clézio), évoquent les villes et les paysages qui les ont marqués (Anvers et Bruxelles, les canaux, les terrils, les usines désaffectées, les étendues de sable et de pins...) et leur pays - si petit, vu d'Inde, du Mexique ou du Chili.