La nuit du monde

La nuit du monde
Roegiers Patrick
Ed. Seuil/Fiction & Cie

Marcel Proust et James Joyce se sont vraiment rencontrés le 18 mai 1922, au Ritz, dans mon roman. L'amour de la nuit, la solitude, l'état déplorable de leur santé, l'insularité de leur personnalité, l'ampleur de l'oeuvre, la folie de la langue, mais aussi les phobies (les rats pour l'un, les chiens pour l'autre), l'amour des chansonnettes (ils adorent « Viens Poupoule »), tout les rapproche. Marcel vient de terminer La Recherche, James de publier Ulysse. Un coup de foudre en amitié unit ces deux génies qui se tutoient.

Dans la seconde partie, Proust décède. À son enterrement, au Père-Lachaise, se presse le gotha de la littérature. Homère, Shakespeare, Molière, Diderot, Kafka, Calvino, Barthes... La disparition d'un écrivain contient celle de tous les autres. Et Proust en personne assiste à sa mise en terre. La fiction l'emporte sur le Temps. Les grands écrivains ne meurent jamais.

Entrée des fantômes

Entrée des fantômes
Schuhl Jean-Jacques
Ed. Gallimard/L'infini

Je dînais seul un soir d'hiver dans un banal restaurant chinois presque désert lorsque le cinéaste Raul Ruiz, que je connais depuis longtemps mais que je croise très rarement, est venu à ma table et a prononcé ces mots : « Je te propose de jouer le rôle du chirurgien dans Les Mains d'Orlac ! »

J'ai été intrigué puis fasciné que l'on puisse me proposer, à moi, d'être cette créature du Mal. Mais n'étais-je pas justement en train d'écrire un roman fantastique noir au climat trouble et mystérieux ?

Au bout d'une nuit farfelue durant laquelle se bousculaient divagations et souvenirs dans ma tête fatiguée, des fantômes assez spéciaux sont venus à ma rencontre dans la ville enneigée. Et avec eux ma Chance.

Des vêpres noires

Des vêpres noires
Koltès François
Ed. Galaade

«Personne ne peut savoir ce qui étreint le coeur du voyageur. Personne ne peut savoir ce qui mourait dans le coeur de la reine. Jo est parti vers l'est à l'aube noire, après que l'hyène s'est tue avant le chant des coqs.» - François Koltès

N'Na est partie un soir, bien qu'on ne parte pas un soir quand la nuit est tombée et qu'on a de la route à faire. Jo ne la retient pas. Elle ne le regarde pas.

Sous le soleil ardent de l'Afrique, tout se vend et tout s'achète, sauf le bonheur. Jo a tout quitté pour cette Afrique dont il ne sait s'il l'aime ou la déteste. Il y fait des rencontres, il y perd sa fortune, bientôt il n'a plus rien que sa peau.

Avec Des vêpres noires, c'est la grande scène du désir, de la démence et de la colère que nous dévoile François Koltès. C'est aussi un face-à-face ultime entre le désespoir de la survie et une foi inébranlable en l'avenir.

Lettres du plat pays

Lettres du plat pays
Kristien Hemmerechts & Jean-Luc Outers
Ed. La Différence

Lieve Jean-Luc - Chère Kristien : deux écrivains belges, Kristien Hemmerechts et Jean-Luc Outers, s'écrivent chacun dans leur langue. Ils essayent de définir ce qui les sépare et ce qui les unit, l'un en français, l'autre en néerlandais. Ils échangent leurs points de vue sur la politique belge - cette hydre indéchiffrable -, sur les événements du monde (crise bancaire, élection d'Obama, guerre de Gaza), donnent leur sentiment sur l'actualité culturelle (la mort d'Hugo Claus, l'attribution du prix Nobel à Le Clézio), évoquent les villes et les paysages qui les ont marqués (Anvers et Bruxelles, les canaux, les terrils, les usines désaffectées, les étendues de sable et de pins...) et leur pays - si petit, vu d'Inde, du Mexique ou du Chili.

 

Journal, vol. 1. Ténèbres en terre froide. 1957-1964

Journal, vol. 1. Ténèbres en terre froide. 1957-1964
Juliet Charles
Ed. POL

Au tréfonds de L'être, une plaie suinte, que maintiennent à vif maintes de ces questions auxquelles il n'est jamais facile de fournir une réponse : vivre, le faut-il ? Et ce mot, vivre, comment le comprendre ? Quelles significations lui attribuer ? Et que doit-on faire de sa vie ? Quel sens lui donner - ou en recevoir ? Et s'il semble rigoureusement indispensable de se connaître, cet être que je suis, quel est-il ? Dois-je le subir dans tout ce qu'il est ? Ou bien puis-je le transformer ? Mais alors dans quel but, quelle intention ? Vais-je savoir brûler ce qui m'encombre, désenfouir mon noyau, ne garder en moi que ce qui procède de l'élémentaire, l'originel ? Et cet autrui dont je viens de vérifier à quel point il est mon semblable, vais-je savoir le rejoindre ? Et si je cède à ce désir de me connaître, comment dissoudre l'angoisse qu'il suscite ? Comment vaincre la peur de la vie ? La peur de la mort ?...

Mais quand ces questions le taraudent, l'être n'est pas à même de se les formuler. Elles ne sont tout d'abord qu'un malaise, un désarroi, une lancinante sensation d'exil, l'âpre nostalgie de ce que l'on ne saurait nommer, une infranchissable solitude. Et c'est à son insu que l'être se trouve progressivement engagé dans une aventure dont il ne soupçonne ni en quoi elle réside, ni où elle est susceptible de le mener.

Les notes rassemblées dans ce Journal sont les traces laissées par un homme embarqué dans une telle aventure, et qui, des années plus tard, devra s'avouer qu'en se scrutant la plume à la main, il n'a fait qu'obéir à un urgent besoin de se révéler à soi-même, se clarifier, s'unifier, à l'impérieuse nécessité d'accéder à la liberté, la connaissance, une ineffable lumière.

Journal, vol. 6. Lumières d'automne. 1993-1996

Journal, vol. 6. Lumières d'automne. 1993-1996
Juliet Charles
Ed. POL

Une quinzaine d'années me séparent de ce Journal qui paraît en ce mois de février 2010, mais quelle importance ? Je me reconnais d'autant mieux dans celui que j'étais à cette époque que le besoin qui me poussait à tenir un Journal ne m'a pas quitté. Ce besoin est apparu à l'adolescence quand, écrasé d'angoisse, j'ai pris conscience que le temps m'entraînait inéluctablement vers la mort. Pour éviter que tout disparaisse de ma petite existence, il fallait que je réagisse, que je garde trace de ce que je vivais, que je recueille dans des notes le meilleur de ce qui m'était donné.

Ce Journal a également rempli une autre fonction. Il m'a permis de réaliser une autoanalyse et de naître à moi-même, de déposer mes fardeaux et de devenir celui que j'avais à être.

Les années ont passé et l'automne tant attendu a fini par venir. L'automne, saison du déclin, mais aussi saison des récoltes, de l'abondance, de la maturité. En ces mois de l'année, la lumière qui certains jours inonde les champs n'est plus celle de l'été. De même, sous l'effet du temps écoulé, la lumière interne s'est modifiée. Enfin stable, apaisée, elle est désormais plus claire et plus vive.

L'assassinat d'Yvon Toussaint

L'assassinat d'Yvon Toussaint
Toussaint Yvon
Ed. Fayard

Au départ, un fait réel. Un sénateur haïtien, par ailleurs médecin, est abattu à Port-au-Prince d'une balle dans la tête. Il s'appelle Yvon Toussaint.

Un journaliste retraité, nommé lui aussi Yvon Toussaint, décide de reconstituer la vie et la mort de cet homonyme sorti du néant. Il part pour Haïti, rencontre la veuve, les enfants, les maîtresses, les amis politiques, les gardes du corps, les confrères... et peut-être les assassins d'un personnage dont la silhouette prend corps dans l'oppressant environnement d'une île maudite depuis deux siècles. «Ici, le sol est spongieux, lui dit-on. Marchez-y prudemment sous peine de faire jaillir du sang sous vos souliers !»

D'autres figures surgissent qui apportent leurs témoignages ou mystifient l'enquêteur : agents doubles et indics à toutes mains, gazouillantes prostituées et cabotin mirobolant, intellectuels de haut vol dont la rhétorique étourdit ou encore drag queen pathétique comme le malheur, sibylline comme le destin.

Mais soudain, l'enquête bifurque, la grande ombre noire du vaudou se déploie et suggère d'autres énigmes. Dans ce culte cher au sénateur et qui célèbre rituellement les jumeaux, quand ce ne sont pas les doubles, lequel des Yvon Toussaint va-t-il posséder l'autre ?

La plage d'Oran

La plage d'Oran
Richard Jacques
Ed. Albertine

La plage d’Oran est un récit poétique qui transcende son cadre historique. Il y est question, dans l’Algérie des années de guerre, d’une enfance où l’innocence n’a pas cours. Ici, la  condition de jeune être humain n’a d’enfance que le nom. Rien, ni la brutalité superbe du monde contemplé, ni les autres, adultes aux repères vacillants, petits laissés pour compte, ne peut donner de réponse, de morale à l’expérience physique de la violence et du mal. En tableaux brefs dont la prose adopte souvent une métrique classique, se déploie l’évocation de moments où l’abus tient lieu d’initiation, le cauchemar de rêve, le champ de batailles et de douleurs entraperçues de terrain de jeu. Les temps morts et l’attente ne sont pas des refuges. Peut-être le silence.
Il s’agit, pour une part, de souvenirs lointains.

Dans la cathédrale

Dans la cathédrale
Oster Christian
Ed. Minuit

Vingt ans plus tôt, je connaissais bien Élisabeth. Mais, lorsqu'elle réapparaît et qu'elle m'en apporte la preuve, je n'en retrouve aucun souvenir. Paul, lui, habite pour l'instant chez moi. Mais, lorsqu'il disparaît, il ne m'adresse plus aucun signe. Quant à Marianne, c'est moi qui ne veux plus la voir. Bref, je me retrouve seul. J'en profite pour aller m'exiler en Beauce, faire un peu le point. Et c'est là qu'apparaît Anne, dont je sais que je ne me passerai plus, mais que je n'ai pas encore rencontrée.

Arrière-fond

Arrière-fond
Guyotat Pierre
Ed. Gallimard

Suite à Formation (2007) qui n'est pas du « souvenir d'enfance » comme on l'a quelquefois écrit, mais le récit de formation d'un enfant qui pense pouvoir consacrer sa vie à la création, j'ai voulu concentrer mes forces de mémoire, d'empathie et de poésie sur la quinzième année de mon âge.

On trouvera ici, entre autres faits - Dieu Créateur, Dieu Rédempteur, Vierges, conflit au père, amitié de la mère dans les prémices de sa disparition trois ans plus tard, Cosmos, Histoire, filles, femmes, garçons, filles encore, Nature, animaux, ruines de guerre, cirque, et surtout, avec la Poésie, le sexe de femme -, l'histoire, la description, l'explication d'une pratique, la « branlée-avec-texte » qui, depuis l'esquisse de sa description en 1972 dans « Langage du corps » (in Vivre) où je la signale comme déjà révolue, a suscité et suscite toujours des interprétations erronées, des déformations, voire des racontars réducteurs, quand ce qui l'animait alors se situait bien au-dessus et bien en dessous de ce qu'on croit.

Plutôt que de reprendre le courant chronologique de Formation, j'ai procédé ici par journées souvent longues et suivies de leurs nuits, comprises entre la fin de Juin et la fin d'Août de l'année 1955.

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