C'est sous un angle inhabituel que ce livre interroge l'Université : il ne s'agit pas de doctes recommandations sur ce qu'elle devrait être pour surmonter ses difficultés actuelles, mais d'une lecture croisée de discours tenus par des penseurs, les uns universitaires et les autres pas.
Certains sont des philosophes - Kant, Hegel, Heidegger - qui ont entrepris, souvent dans des discours solennels, de fixer l'essence de l'Université, d'en dégager les finalités profondes.
D'autres, qui représentent des « sciences humaines » comme la psychanalyse (Lacan) ou la sociologie (Bourdieu et Passeron), ont cherché à faire la théorie de la réalité universitaire, en portant sur elle un regard objectif et pour une grande part désenchanté.
D'autres enfin sont des écrivains (François Rabelais, Thomas Hardy, Hermann Hesse, Vladimir Nabokov) qui ont abordé l'Université par le biais de la fiction, ce qui leur a permis d'en révéler certaines dérives, perceptibles seulement d'un point de vue extérieur.
Ce livre balise les étapes d'un parcours, enclenche la dynamique d'une prise de distance, indispensable pour y voir plus clair sur la nature de cette « chose » aujourd'hui en péril qu'est l'Université.
Qu'est-ce qu'une chose ?
Abattant les dernières barrières philosophiques qui circonscrivaient le champ des choses, ce Traité considérera sur un plan d'égalité une table, un silex taillé, un quark, un gène, une personne humaine, le mot «vérité», une robe rouge, la couleur d'un tableau abstrait, un tiers de branche d'acacia, l'espèce chimpanzé, cinq secondes, un rite de passage, l'inexistence d'un fait ou un cercle carré. Voilà les choses qui sont aujourd'hui les nôtres : un tohubohu de réel, de possible, de matière, de mots et d'idées. Face à ce paysage nouveau, ce Traité ne propose ni une phénoménologie réinventée, ni une analyse du concept de «chose», ni une pensée critique de la réification. Il invite plutôt à prendre le large pour une toute autre aventure théorique. Il suggère d'explorer d'abord notre monde comme s'il était vraiment plat, en lui ôtant toute détermination, toute intensité, tout relief. Dans un second temps seulement, à l'aide de concepts forgés dans cette pauvreté ontologique radicale, il invite à retrouver la possibilité d'un univers, c'est-à-dire l'ensemble de choses non plus seules, mais les unes dans les autres. Le désert formel se transformera en encyclopédie luxuriante de nos objets contemporains, de leur ordre et de leur désordre. Ainsi verra-t-on se dessiner les grandes querelles actuelles sur le classement des objets autour de nous, des objets en nous et de nous-mêmes en tant qu'objets : par parties, par espèces, par genres ou même par âges. Comment découper les choses pour vivre parmi elles et en être une soi-même ?
Quand une nouvelle forme de lutte ou d’organisation s’invente, ça se propage à la vitesse de l’audiovisuel& », prédisait Félix Guattari en 1979.
Dans ce texte retrouvé par ses enfants après son décès, Félix Guattari analyse comment la production, la codification et la communication de signes dans le système capitalistique assujettissent les acteurs sociaux sur le plan économique et social ainsi que sur celui de la subjectivité. Cette «& dictature& » des significations et des comportements dominants conduit Félix Guattari à proposer, à la suite de ses travaux avec Gilles Deleuze, une micropolitique émancipatrice. Sa position novatrice est plus que jamais d’actualité au cœur de la crise écologique, politique, économique et sociale, que le monde traverse aujourd’hui.&
Si, depuis le début des années 2000, après des années d'occultation, la figure de Fanon fait retour dans les champs académique et militant francophones, c'est avant tout pour célébrer « l'homme d'action », le révolutionnaire, au détriment de « l'homme de pensée », du théoricien. Cette approche presque exclusivement biographique tend à faire de Fanon un dépassé et, par suite, un « dé-pensé ». Elle se révèle en outre étroitement liée à la défiance teintée de méconnaissance à l'égard de la diffusion des études postcoloniales dans les universités françaises.
Il est vrai que, si les études postcoloniales et les études fanoniennes anglophones ont eu l'indéniable mérite de réhabiliter Fanon en tant qu'intellectuel et penseur de tout premier ordre, il est légitime de leur reprocher d'avoir également opéré une certaine décontextualisation tendant à gommer la singularité de l'intervention théorique et politique du psychiatre martiniquais.
Si nous désirons aujourd'hui faire de Fanon notre contemporain, il est donc nécessaire d'aller au-delà du conflit des interprétations qui oppose les figures exclusives du « Fanon anticolonial » (historique) et du « Fanon postcolonial », au-delà de cet écartèlement entre un passé et un futur qui privent Fanon de tout présent. Il faut s'attacher à comprendre le moment fanonien en tant que moment transitionnel, il faut déceler dans ses écrits le commencement d'un certain postcolonialisme au sein de l'anticolonialisme, d'un postcolonialisme de guerre qui révèle, par contraste, les difficultés de la critique postcoloniale actuelle à théoriser la violence et à penser ensemble, dans la lignée de Fanon, guerre et décolonisation des savoirs. Tel est l'enjeu de ce portrait théorique en situation.
«Les Belles Paroles : ainsi les Indiens Guarani nomment-ils les mots qui leur servent à s'adresser à leurs dieux. Beau langage, grand parler, agréable à l'oreille des divins qui l'estiment digne d'eux. Rigueur de sa beauté dans la bouche des chamanes inspirés qui les prononcent [...], ces né'en poran, ces belles paroles, elles retentissent encore au plus secret de la forêt qui, de tout temps, abrita ceux qui, se nommant eux-mêmes Ava (les Hommes), s'affirment de cette manière dépositaires absolus de l'humain. Hommes véritables donc et, démesure d'un orgueil héroïque, élus des dieux, marqués du sceau du divin, eux qui se disent également les Jeguakava, les Adornés...»
Trois types de textes sont réunis dans cette anthologie commentée : des mythes où se raconte une histoire des dieux, du monde et des hommes ; les Belles Paroles, au sens propre, beaucoup plus ésotériques : textes où la cosmogenèse fait l'objet d'une spéculation religieuse ; des commentaires, enfin, très libres, où un nouveau pas est franchi : celui de la conceptualisation métaphysique.
On a regroupé ces textes dans une succession idéale : «temps de l'éternité», «lieu du malheur», «ce que disent les derniers».
Nous avons établi dans notre Introduction à une phénoménologie de la vie que, loin de s'ajouter à la vie que nous partageons avec les autres vivants, la subjectivité devait au contraire être comprise privativement, comme la négation d'une vie qui la déborde toujours et la rapporte à la profondeur du monde : nous avons nommé désir la trace en nous et l'épreuve de cette profusion. Cependant, cette négation ne devient véritablement pensable qu'à la condition de montrer qu'elle n'est pas tant le fait de l'homme que celui de la vie même, qu'elle s'enracine dans une auto-limitation de la vie. Ainsi, la vie recule en nous parce qu'elle est elle-même caractérisée par une lacune fondamentale, dont nous montrerons qu'elle renvoie en dernière instance à l'archi-événement d'une scission et d'une dérive par rapport à cette vie plus originaire encore - vie qui n'est encore la vie d'aucun vivant - qu'est la Vie de la manifestation.
« On m'a posé... On me pose sans arrêt la question sur le livre que j'emporterais sur une île déserte ; un lieu commun du journalisme.
Au début j'ai répondu que j'ai répondu que j'emporterais une encyclopédie ; mais je ne sais si on me permettrait d'emporter dix ou douze volumes, je crois que non. Alors j'ai opté pour l'Histoire de la philosophie occidentale de Bertrand Russell, qui serait peut-être le livre qui me suivrait dans l'île... » Jorge Luis Borges, Ultimes dialogues avec Osvaldo Ferrari
Penseur majeur de l'économie de marché et historien du libéralisme, Karl Polanyi reste l'un des rares théoriciens capables de nous aider à comprendre la nature du libéralisme en économie et à reconnaître les limites actuelles de nos démocraties. La Subsistance de l'homme - ouvrage inachevé paru aux États-Unis en 1977, et enfin disponible en français - prolonge et complète son oeuvre magistrale, La Grande Transformation. Polanyi y formulait une critique de l'utopie libérale du XIXe siècle à l'origine du mouvement social d'autoprotection, de l'«État providence», aujourd'hui encore fortement menacé.
En prenant le parti d'analyser la subsistance de l'homme sur une très longue période historique, Polanyi offre ici une interprétation originale de la nature et des racines de l'économisme contemporain. L'économie des sociétés primitives, de la vieille Babylone, de l'Égypte ancienne et du royaume du Dahomey au XVIIIe siècle permet de repenser l'universalité et la spécificité des relations sociales et des modes d'«encastrement» de l'économie au sein de la société. Dans la Grèce antique, le commerce extérieur, les usages de la monnaie et l'émergence de marchés à l'échelle locale ou méditerranéenne sont autant d'exemples où l'échange était subordonné à la réciprocité et à la redistribution et où l'économie était étroitement liée au politique.
Derrière ce travail de recherche, exigeant et exceptionnel, se déploie l'une des grandes pensées humanistes du XXe siècle, aujourd'hui indispensable pour desserrer l'emprise que la logique libérale exerce sur notre représentation de l'économie et du monde.
La crise financière a révélé au grand jour les limites de la théorie économique : celle-ci n'a su ni prévoir les désordres à venir, ni même mettre en garde contre de possibles instabilités. Cet aveuglement est le signe d'un profond dysfonctionnement qui exige, pour être corrigé, un renouvellement radical des approches et des concepts, au premier rang desquels celui de valeur économique. La tradition économique conçoit la valeur, que ce soit celle des marchandises ou celle des titres financiers, comme une grandeur objective qui s'impose aux acteurs à la manière d'un fait naturel. Or il n'existe pas de «vraies valeurs». Dans un monde incertain comme le nôtre, plusieurs prix sont possibles car plusieurs avenirs sont possibles. Pour cette raison, l'évaluation n'a rien de neutre. Elle n'est jamais la mesure de ce qui est mais toujours l'expression d'un point de vue au service d'intérêts. Elle est l'acte par lequel la société s'engage en décidant quelles voies seront explorées et quelles autres rejetées.
C'est cette vision nouvelle de l'économie que ce livre propose à la réflexion.
Protection de l'environnement et développement économique ne sont pas en conflit. Contrairement à une proposition souvent entendue, il n'y a pas opposition mais convergence entre ces deux perspectives.
A l'instar des usines, machines et outils, les ressources naturelles constituent un capital économique. Erosion, désertification, montée des océans et autres dommages résultant du changement climatique entament ce capital naturel. Comme les machines, dont la valeur productive est entamée par l'usure, le capital naturel détérioré doit être amorti par un prélèvement sur les richesses produites. L'humanité a oublié d'amortir son capital naturel.
En acceptant un réchauffement limité à 2°C, la communauté internationale pose un diagnostic erroné. Elle s'attache à un symptôme, l'élévation des températures, et ferme les yeux sur la nature véritable du problème : un déséquilibre écologique profond qui résulte de l'absence d'amortissement du capital économique naturel entamé par l'utilisation d'énergies fossiles. Ce déséquilibre occasionne de graves préjudices aux habitants des régions affectées par les altérations du climat.
Résultat : pendant que nos gouvernements se trouvent paralysés par un faux dilemme entre amélioration de la prospérité et limitation du réchauffement, les négociations s'enlisent, les dommages écologiques s'accumulent et l'humanité s'appauvrit un peu plus chaque année.
Il est temps de revenir sur Terre et de refaire le plein... de bon sens.