Frantz Fanon, né à la Martinique en 1925, mort à Washington en 1961, psychiatre et militant anticolonialiste, a laissé une oeuvre qui, un demi-siècle plus tard, conserve une étonnante actualité et connaît un rayonnement croissant dans le monde entier. Médecin-chef à l'hôpital psychiatrique de Blida (Algérie) à partir de 1953, il est confronté aux effets de la situation de «déshumanisation systématisée» dont sont victimes les «indigènes». Cela le conduit très vite à rejoindre le combat du Front de libération nationale qui a engagé en novembre 1954 la «guerre de libération» de l'Algérie. Deux ans plus tard, il démissionne de son poste et rejoint le FLN à Tunis, où il collabore au journal El Moudjahid, avant d'être emporté, le 6 décembre 1961, par une leucémie à l'âge de trente-six ans.
Sa trajectoire fulgurante est marquée par la publication de trois livres majeurs : Peau noire, masques blancs (Seuil, 1952), L'An V de la révolution algérienne (Maspero, 1959), Les Damnés de la terre (Maspero, 1961). Et en 1964, François Maspero publie un recueil de certains de ses textes politiques, sous le titre Pour la révolution africaine. Ce sont ces quatre ouvrages que réunit ce volume, complété par une préface de l'historien Achille Mbembe et une introduction de la philosophe Magali Bessone.
«Le style en philosophie est tendu vers ces trois pôles, le concept ou de nouvelles manières de penser, le percept ou de nouvelles manières de voir et d'entendre, l'affect ou de nouvelles manières d'éprouver. C'est la trinité philosophique, la philosophie comme opéra : il faut les trois pour faire le mouvement.»
On aura reconnu ici le souffle haletant, la voix sèche et blanche de Deleuze. Mais pourquoi les styles de Deleuze ? Si le style comme problème de multiplicité ne saurait se plier chez Deleuze à de simples exercices rhétoriques, et s'il recoupe, à hauteur de dignité équivalente, les plans intensifs de la philosophie, de l'histoire de la philosophie et de l'art, cela suffirait-il à justifier que soit ouvert le chantier d'une stylistique deleuzienne ? Bien qu'elle soit complexe, la question mérite d'être engagée.
En s'accordant aux multiplicités transversales de l'écriture et des opérations réflexives qui lui sont liées, le présent recueil pose le problème du style chez Deleuze suivant trois découpes connexes : entre philosophie et histoire de la philosophie, logique et esthétique, clinique et politique. Les études ici réunies ont en commun de référer chaque fois la stylistique deleuzienne à un concept ou un cas d'analyse précis, susceptibles d'en cerner les présupposés théoriques et le mode de fonctionnement. La multiplication des perspectives devrait ainsi permettre de dégager quelques jalons de ce qui s'offre comme un style de pensée spécifique : un effet nommé Deleuze.
Qu’est-ce que la dette publique ? D’où vient l’inflation ? Le profit est-il source de progrès ? Le chômage est-il un mal nécessaire ? L’État nuit-il à l’investissement ? Mystérieuse et confuse, l’économie est trop souvent mise hors de la portée du citoyen ordinaire, qui n’en paie pas moins les frais de ses crises. Seuls les experts semblent autorisés à répondre à des questions dont dépend pourtant l’avenir de tous. Le Petit cours d’autodéfense en économie de Jim Stanford arrive à point nommé pour rompre ce déséquilibre. Par l’analyse critique de situations concrètes, auxquelles s’ajoutent des synthèses éclairées par des schémas récapitulatifs, ce livre démystifie avec soin les rouages du capitalisme, montrant que tous peuvent le comprendre. L’ouvrage est illustré par Charb, dessinateur satirique et directeur du journal Charlie Hebdo, et préfacé par Éric Pineault, professeur de sociologie économique à l’uqam. « Stanford fait partie d’une espèce rare : celle des professeurs qui marquent votre vie. À la fois pragmatique et idéaliste, son livre a le pouvoir de changer le monde. » – Naomi Klein
La crise mondiale du capitalisme porte à redécouvrir Marx. Il serait pourtant vain d'y chercher une doctrine prête à l'emploi moyennant une simple actualisation. Ce livre se propose - la chose est plus ambitieuse qu'elle ne le paraît - d'apprendre quelque chose de cet ensemble de questions et de réponses, afin non pas d'y trouver l'assurance d'un avenir meilleur, mais de penser notre présente situation historique et sociale et d'en concevoir une issue possible.
Tous les grands textes de Marx cherchent à articuler deux perspectives très différentes. La première est la logique du capital comme système achevé - à la fois le mouvement inéluctable par lequel le capital se développe en une totalité qui se subordonne tous les éléments de la société, et le jeu des lois immanentes de la production qui le conduit à accoucher nécessairement d'un nouveau mode de production. La seconde est la logique stratégique de l'affrontement : la guerre des classes, sourde ou ouverte, transforme les conditions de la lutte, modèle les subjectivités des acteurs et, pour finir, dégage les dominés de l'assujettissement, leur traçant la voie de l'émancipation. Loin de donner à la doctrine une cohérence inentamable, le « communisme » est le moyen terme imaginaire chargé de résoudre cette tension entre les deux perspectives disparates qui écartèlent de l'intérieur la pensée de Marx.
Mettre en évidence cette disjonction indépassable - entre le jeu de l'action révolutionnaire dans l'histoire ou l'implacable automate qui brise toute résistance et se soumet chaque individu - nous aide à poser la question qui est aujourd'hui la nôtre : comment nous libérer du capitalisme, de cette forme historique qui est devenue « monde », sans être condamnés à le subir encore longtemps, au prix de ravages de tous ordres dont nous ne faisons aujourd'hui qu'entrevoir l'ampleur ?
Des luttes populaires à la crise mondiale, notre modèle politique est chahuté sans qu'une alternative apparaisse clairement. Dans ces temps incertains, comment ne pas sombrer dans la panique ou l'indifférence, comment maintenir la réflexion critique ?
Six philosophes d'une même génération, celle de la crise justement, font ici l'inventaire des idées qui peuvent aider à résister, à transformer le présent. Notions classiques mais revisitées à l'aune de notre actualité ou notions surgies ces dernières années Outre-Atlantique, parfois attendues et parfois étonnantes, elles permettent de recenser les usages déjà en cours et, aiguillons de notre capacité de révolte et de notre participation à la démocratie, d'inventer de nouvelles pratiques politiques.
« Si nous voulons affirmer la jeunesse du monde, il nous faut trouver d'autres récits, rassembler patiemment d'autres fictions pour notre temps, ne plus se laisser tellement gouverner par les mots valises, les mots pouvoirs, qui restent à disposition des gouvernants pour asseoir des autorités, distribuer des réseaux hiérarchiques, construire un monde où tout est déjà joué. »
Fabienne Brugère et Guillaume le Blanc
L'arbitraire, selon le Robert, est « une autorité qui s'exerce selon le bon vouloir d'une personne ou d'un groupe ». Ce livre s'en prend à cette autorité et à ce bon vouloir sur les terrains où ils s'exercent aujourd'hui avec le plus de dégâts, aux dépens des plus vulnérables : la prison et la police, la garde à vue et l'antiterrorisme, la justice des enfants et l'utilisation policière de la psychiatrie... Magistrats, avocats, juristes, historiens ou psychiatres, les auteurs ne se contentent pas d'un énième état des lieux : tous terminent par des propositions, dont certaines pourraient être mises en application du jour au lendemain et d'autres - comme l'élimination du racisme d'État ou la liberté totale de circuler à travers les frontières - imposeront de grands bouleversements. Peu importe qu'on crie à l'utopie, à l'irréalisable : il n'est pas question ici de faire consensus mais bien plutôt de provoquer le débat sur ce que nous subissons, en silence le plus souvent.
Gramsci en France : une série de contresens. Non, Gramsci n'est pas le « classique » qu'ont instrumentalisé les héritiers italiens et français du marxisme de caserne. Il n'est pas non plus, sur le bord opposé, une pure icône du postmodernisme, limité au rôle de père des subaltern et autres cultural studies. On ne peut pas le réduire aux concepts « gramsciens » toujours cités, toujours les mêmes - hégémonie, intellectuel organique, bloc historique, etc. Il faut dire que Gramsci, si prestigieux qu'il soit, reste difficile à classer, et pas si facile à comprendre : les Cahiers de prison ne sont pas un livre, ce sont des notes rédigées dans les pires conditions, et il est remarquable que cet ensemble qui s'étale sur plus de cinq ans ait tant de cohérence dans sa circularité.
Dans le choix et la présentation des textes, ce livre a pour but de faire comprendre l'actualité de Gramsci, son importance dans la réflexion stratégique, dans la compréhension des crises du capitalisme, dans l'adaptation du marxisme à la crise du mouvement ouvrier et aux luttes anticoloniales, antiracistes, féministes et écologiques.
On y trouvera les raisons qui font aujourd'hui de l'oeuvre de Gramsci un outil révolutionnaire essentiel, de l'Argentine à l'Allemagne en passant par l'Inde et l'Angleterre. Pour la France, il était grand temps.
Tant que l’État existe, il n’y a pas de liberté. Quand il y aura la liberté, il n’y aura plus d’État. Ces mots ne sont pas de Bakounine, ni de Malatesta, ni de Proudhon, ils sont de Lénine, réfugié en Finlande à l’été 1917 avant le déclenchement de la révolution d’Octobre. Il a utilisé son temps à l’écart de l’action pour reprendre et élargir ses notes sur la théorie de l’État, déjà énoncée dans les Thèses d’avril.
Dans L’État et la révolution, Lénine convoque les textes de Marx et d’Engels sur la Commune de Paris. II les utilise pour combattre les opportunistes de droite, les chefs de la IIe Internationale qui soutiennent la guerre en cours. Il réduit au minimum les divergences entre anarchistes et marxistes : non, le marxisme n’est pas un étatisme, il vise au contraire au dépérissement de l’État – avec une phase de transition, la dictature du prolétariat, dont la Commune parisienne est un moment paradigmatique.
Pour reprendre la formule de Marx à propos de Hegel, Lénine est aujourd’hui traité « en chien crevé ». On verra dans ce livre ce que sa pensée politique garde d’original et d’actuel.
«Le fondement de la présente publication est que la réception de Wittgenstein est encore à venir. Je ne dis pas d'ailleurs que ce soit une mauvaise chose. L'écriture de Wittgenstein n'est pas du genre qui se prête à la professionnalisation. Je ne dis pas non plus que cette absence de réception soit surprenante. Comme les grandes oeuvres modernes depuis un siècle, les Investigations philosophiques sont, au sens logique, ésotériques, autrement dit elles sont essentiellement et toujours en attente de réception. Elles ont donc les désagréments des oeuvres-cultes qui exigent, pour être reçues sincèrement, le choc de la conversion. Wittgenstein avoue lui-même que son oeuvre 'semble détruire tout ce qui est intéressant, c'est-à-dire tout ce qui est grand et important'. Mais ce qui s'exprime ici, dans l'idée de destruction, c'est en réalité un renversement de nos idées de ce qui est grand et important.»
Les ressemblances de famille s'attachent à des motifs saugrenus : la forme d'un nez, un grain de beauté, une allure décidée, mais aussi un tempérament sexuel ou une maladie héréditaire. Relier des êtres qui se ressemblent - l'enfant à ses parents, l'animal à sa race - confirme l'ordre du monde. Chacun trouve sa place dans le déroulé des filiations.
Mais parfois des formes louches dérogent aux apparentements naturels. L'imagination des femmes enceintes fut souvent alléguée pour expliquer ces bizarreries. Plus rigoureuses, les sciences du vivant s'employèrent à trouver la raison généalogique permettant de distinguer entre les semblables. Le siècle de Darwin, féru de typologies, inventa des familles d'oreilles et de crânes pour décrypter les physionomies saines ou criminelles.
La codification des types est cependant menacée par l'extension infinie des airs de famille qui suggèrent un vertige : n'importe qui peut ressembler à n'importe quoi ! Aux portraits-robots ils opposent le flou photographique des visages. Wittgenstein s'en inspira pour modifier toute la grammaire des parentés.
Lorsque ces airs sont aussi entêtants que des musiques, ils deviennent des affinités. Ce mot ancien désigne des échanges subtils entre des sujets, selon le milieu et l'occasion. Réactualisé par les sites de rencontres, il se réduit aujourd'hui à l'assortiment des mêmes goûts. Mais les affinités, au contraire, composent avec le dissemblable. Leurs voisinages magnétiques effrayèrent Kant et Goethe. Insidieuses ou fulgurantes, les affinités transportent une puissance de désaffinité.