Scrupules morbides, remords délirants, angoisses absurdes, rituels compulsifs...Comment les hommes ont-ils soigné les souffrances, voire les folies que la 'conscience morale', suprême valeur del'individu occidental, a suscité en nous, dès son triomphe au XVIIe siècle? Le premier volume de cette étude, qui en comprendra deux, les scrupules du Grand Siècle, Kierkegaard, Esquirol et Janet scandent un parcours qui aboutit à la psychiatrisationde l'obsédé. Une foule inquiète s'y bouscule: Les superstitieux d'Athène et de Rome, les premiers moines en Egypte, une religieuse possédée et son génial confesseur, des enfants qui insultent Dieu, de dignes bourgeois qui étouffent leurs impulsions criminelles, des mystiques et des neurologues, un médecin bien malade, et quelques Sénégalais. Chaque fois, les conflits qui les ravagent révèlent la cruelle fabrique de notre intériorité et le prix psychique dont l'individu moderne l'aura payée.
Comment se fait-il que, dans certaines régions du monde, on considère comme des mets de choix les fourmis, les sauterelles ou les rats, alors qu'on les regarde ailleurs comme d'immondes horreurs ? [...] Les différences sont fortes et, en partie du moins, insurmontables.
Du cannibalisme au jeûne mystique, des grèves de la faim au vampirisme, de l'anorexie à l'obésité, Paolo Rossi, philosophe italien, explore la multiplicité des thèmes liés à l'alimentation dont il nous révèle l'incroyable complexité anthropologique et culturelle, qui va du plaisir le plus raffiné à une nécessité parfois dramatique, ou à une pathologique obsession.
Il nous raconte avec talent ce que le verbe manger enseigne de l'histoire de l'Humanité.
C'est devenu difficile de faire n'importe quoi.
'Cette phrase 'ensemble, relativisons nos maux', j'aurais aimé en être l’auteur (grave). Cette phrase, malheureusement, n'est pas de moi, elle est d’un homme, oh (effrayé et affecté) un homme tout simple ! Oh un homme qui n'a pas fait grand-chose ! Si ce n'est vouer sa vie à la paix (petite moue cabotine). Cet homme, c'était monsieur Gandhi (large sourire). Mais, (pause) allez-vous me dire (changeant de ton,mimant soudain l'énervement): Jean-Kevin où nous amenez-vous, nous qui avons quelques hectolitres de pétrole venus souiller notre fleuve, nous qui avons l'impression d'avoir perdu ce qui faisait le charme de ces lieux où nous aimions nous promener en famille, avec le chien et la mamie ?'
Si le lien entre désir de connaître (libido sciendi) et désir érotique (libido sentiendi) se trouve déjà suggéré dans les Écritures, il devient explicite à partir de la Renaissance et joue un rôle crucial dans la configuration de la science moderne. Il s'agit ici de conter l'histoire de cette relation entre le savant, être désirant, et la femme, image de la Nature - en suivant son évolution dans la littérature, mais aussi dans l'art et le cinéma. C'est toujours le désir qui pousse le savant à vouloir connaître, qu'il soit inventeur de machines amoureuses, eunuque de la science régnant sur un harem de Vénus anatomiques, ou homme au scalpel en quête de cobayes consentantes. Désir érotique, désir de pouvoir aussi, car la femme reste indésirée dans ce cercle du savoir.
À une époque où la Nature fait plus que jamais les frais de notre mode de vie et où le silicone injectable a la part belle, cet essai montre à l'évidence que la recherche scientifique n'a pas pour seule source le projet de connaissance rationnelle : elle a partie liée avec une histoire du désir et du sentiment.
Yan Thomas, historien du droit romain, fut le juriste le plus sensible à ce qu'il appelait les « opérations du droit », ces techniques inventées afin de mettre en rapport les personnes et les choses pour retrouver l'architecture du monde social. Ces opérations qu'il avait dégagées de l'analyse d'une grande diversité de sources, textuelles comme matérielles, sont au sens propre du terme des outils qui s'émancipent des événements qui les ont suscités et n'ont, à ce titre, rien perdu de leur actualité : à l'inverse de la temporalité des règles de droit, le temps des opérations est un temps long.
Penseur aussi prolifique qu'inclassable, Yan Thomas privilégiait la concision et la densité de l'article : ce recueil présente certains de ses textes majeurs, écrits entre 1986 et 2006. L'ouvrage est d'abord consacré au fait d'instituer : la cité et la nature, l'une et l'autre instituées par le droit, mettent en lumière la capacité à réinventer le réel par des artifices. Yan Thomas montre comment le droit sépare la sphère des activités vouées à l'échange, au commerce, de celle où certains espaces et certains biens sont inaliénables. Ensuite, par la mise en scène de ces limites et d'exceptions, il parvient à dégager les règles de l'ordinaire et à ordonner les réponses et les fictions juridiques qui régissent les sociétés. Yan Thomas élabore ainsi un projet intellectuel où le droit est conçu comme un instrument pour penser autre chose que le droit.
Que sont devenus les ouvriers ? Objet de toutes les attentions depuis la révolution industrielle jusqu'aux années 1980, les travailleurs d'usine n'intéressent plus grand monde après l'échec du projet communiste et l'effondrement de leurs bastions industriels. Brisée dans son unité, démoralisée, désormais dépourvue de repères politiques, méprisée par ses enfants, la classe ouvrière vit un véritable drame - à l'écart des médias. Les ouvriers continuent pourtant d'opposer avec un succès relatif certaines de leurs traditions de résistance à la dynamique qui les détruit.
Cette remarquable enquête, sensible et documentée, fait toute sa place à la parole ouvrière pour rendre hommage à ces hommes et à ces femmes dont la dignité est aussi imposante que celle dont firent preuve leurs parents à l'heure des victoires. Treize ans après sa première édition, alors que le monde ouvrier n'en finit plus de subir l'impact dévastateur de ce capitalisme financiarisé dans le cadre duquel une petite minorité de puissants actionnaires dicte sa loi aux managers et aux peuples, cet ouvrage n'a rien perdu de son actualité. Il permet de comprendre la réalité ouvrière d'aujourd'hui et peut servir de garde-fou contre la dénégation plus ou moins subtile de son existence dans l'espace public.
Nous vivons aujourd'hui une véritable contre-révolution. Depuis les années 1980, les plus riches n'ont en effet cessé d'accroître leur part des revenus et des patrimoines, inversant la précédente tendance séculaire à la réduction des écarts de richesse.
Les facteurs économiques et sociaux qui ont engendré cette situation sont bien connus. Mais la panne de l'idée d'égalité a aussi joué un rôle majeur en conduisant insidieusement à délégitimer l'impôt et les actions de redistribution. Du même coup, la dénonciation d'inégalités ressenties comme inacceptables voisine avec une forme de résignation et un sentiment d'impuissance. Il n'y a donc rien de plus urgent que de refonder l'idée d'égalité pour sortir des impasses du temps présent.
L'ouvrage contribue à cette entreprise d'une double façon. En retraçant l'histoire des deux siècles de débats et de luttes sur le sujet, il apporte d'abord un éclairage inédit sur la situation actuelle. Il élabore ensuite une philosophie de l'égalité comme relation sociale qui permet d'aller au-delà des théories de la justice qui, de John Rawls à Amartya Sen, ont jusqu'à présent dominé la réflexion contemporaine. Il montre que la reconstruction d'une société fondée sur les principes de singularité, de réciprocité et de communalité est la condition d'une solidarité plus active.
Tome I. L'Eurasie
Au commencement, Emmanuel Todd eut la volonté de montrer que la diversité des structures familiales traditionnelles explique les trajectoires de modernisation : la famille nucléaire absolue anglaise fut le substrat de l'individualisme et du libéralisme politique ; la famille nucléaire égalitaire du Bassin parisien légitimait l'idée a priori d'une équivalence des hommes et des peuples ; la famille souche fut en Allemagne et au Japon le socle d'idéologies ethnocentriques ; la carte du communisme, enfin, recouvrait celle de la famille communautaire. Mais comment expliquer cette fragmentation de l'espèce humaine, sinon en remontant à une unicité première, si elle avait jamais existé ?
Au terme d'une enquête menée depuis plus de vingt ans, impliquant l'examen des organisations familiales de centaines de groupes humains préindustriels dans les diverses régions de l'Eurasie (la Chine, le Japon, l'Inde, l'Asie du Sud-Est, l'Europe, le Moyen-Orient en remontant jusqu'à la Mésopotamie et à l'Égypte ancienne), et grâce à une anthropologie diffusionniste et non plus structuraliste, Emmanuel Todd identifie une forme originelle, commune à toute l'humanité : la famille nucléaire, prise dans un réseau de parenté indifférencié, traitant les hommes et les femmes comme équivalents.
Empruntant à la linguistique le principe du conservatisme des zones périphériques, il montre alors que l'Europe, aux marges de l'Ancien Monde, est sur le plan familial un conservatoire de formes archaïques, assez proches de la forme originelle. Ayant échappé à des évolutions familiales paralysantes pour le développement technologique et économique, l'Europe a été, paradoxalement et durant une brève période, « en tête » de la course au développement, bien que l'Occident n'ait inventé ni l'agriculture, ni la ville, ni le commerce, ni l'élevage, ni l'écriture, ni l'arithmétique.
Qu’est-ce qu’une métaphore ? Venu du grec ancien, le terme désigne le transfert purement mental d’un mot, ou d’une expression, de son sens premier, ou propre, à un sens second, ou figuré. Ces glissements de sens ressemblent à de vraies métamorphoses : le feu de cheminée se change le moment venu en feu de la passion, ou en feu de la conversation, ou en feu de l’éloquence, aussi naturellement que la baguette de la fée change à minuit le carrosse de Cendrillon en citrouille. La feuille d’arbre se change en feuille de papier, et la feuille de papier en page de journal imprimé. De ce pouvoir métamorphique du transport métaphorique, le langage reçoit son côté joueur, poétique et même sorcier.
Les poètes et les grands écrivains s’en jouent avec art ; mais tout un chacun, dans son usage quotidien et quasi machinal, soit en parlant, soit en lisant, a affaire abondamment à cette propriété du langage, le plus souvent sans même s’en rendre compte. Notre langue, poète à notre place, a mémorisé, accumulé et augmenté au cours des siècles son propre trésor de métaphores, par transmission orale le plus souvent.
Ce livre veut donner une idée aussi complète que possible de la présence si ancienne de cette figure dans la langue française. L’auteur a choisi de ranger ces très nombreuses fleurs par lieux (le corps, la ferme, le château, la chasse, la guerre, la marine, etc.), au lieu de les soumettre à un ordre alphabétique qui les aurait écrasées, invitant ainsi le lecteur à un voyage à travers une France quasi disparue, mais dont subsistent des mots qui se laissent humer comme le flacon de Baudelaire, d’où jaillit toute vive une âme qui revient.
Une enquête à propos d'enquêtes
Au tournant des xixe et xxe siècles, on observe tour à tour le développement du roman policier, dont le coeur est l'enquête, et du roman d'espionnage, qui a pour sujet le complot ; l'invention, par la psychiatrie, de la paranoïa, dont l'un des symptômes est la tendance à entreprendre des enquêtes prolongées jusqu'au délire ; la création par la sociologie de formes spécifiques de causalité - dites sociales -, pour déterminer les entités, individuelles ou collectives, auxquelles peuvent être attribués les événements qui ponctuent la vie des personnes, celle des groupes, ou encore le cours de l'histoire ; enfin, l'orientation nouvelle de la science politique qui, se saisissant de la problématique de la paranoïa, la déplace du plan psychique au plan social et prend pour objet l'explication des événements historiques par les « théories du complot ».
Dans chacun de ces cas, la réalité sociale est mise en doute. C'est à l'État-nation, tel qu'il se développe à la fin du xixe siècle, que l'on doit le projet d'organiser et d'unifier cette réalité pour une population et sur un territoire. Mais ce projet, proprement démiurgique, se heurte à une pluralité d'obstacles parmi lesquels le développement du capitalisme, qui se joue des frontières nationales, occupe une place centrale.
Ainsi, la figure du complot focalise des soupçons qui concernent l'exercice du pouvoir : où se trouve réellement le pouvoir et qui le détient, en réalité ? Les autorités étatiques, qui sont censées en assumer la charge, ou d'autres instances, agissant dans l'ombre - banquiers, anarchistes, sociétés secrètes, classe dominante, etc. ? Ainsi s'échafaudent des ontologies politiques qui tablent sur une réalité doublement distribuée : à une réalité officielle, mais de surface et sans doute illusoire, s'oppose une réalité profonde, cachée, menaçante, officieuse, mais bien plus réelle. Roman policier et roman d'espionnage, paranoïa et sociologie - inventions à peu près concomitantes - sont solidaires d'une façon nouvelle de problématiser la réalité et de travailler les contradictions qui l'habitent. Les aventures du conflit entre ces deux réalités - réalité de surface contre réalité réelle - constituent le fil directeur de l'ouvrage.