«Le cours de ta vie en un discours» : ainsi Baltasar Gracián (1601-1658) définit-il dans sa note «Au lecteur» son roman, «l'incomparable Criticon» selon Schopenhauer.
Allégorie du voyage de la vie en quatre saisons, ce premier roman européen d'apprentissage, dont nous donnons ici la substantifique moëlle, présente «deux pèlerins de la vie» parcourant l'Europe à la recherche de la Félicité, à travers le monde des apparences, systématiquement énoncé, dénoncé et renvoyé dans «La grotte du Néant». Gracián pulvérise les fausses valeurs, si actuelles, de l'image, de l'ambition, du pouvoir, du lucre, en une philosophie au marteau qui brise sans pitié les idoles clinquantes et les faux-semblants. Il leur oppose l'éducation et la culture qui, de l'homme brut, font une Personne consommée, exalte l'Art, qui est «sans doute le premier emploi de l'homme dans le paradis». Rosse, féroce, la satire s'inscrit dans une veine fantastique, et s'écrit avec une verve fantasque qui fait du Criticon un chef-d'oeuvre de liberté langagière, de bonheur dans le mot et dans le jeu.
'Ce pastiche, à peine forcé, des manuels de philosophie invite plutôt au rire qu'à la réflexion. Il tend cependant à illustrer le fait que la transmission du savoir, par le biais des ouvrages à vocation pédagogique, se confond bien souvent avec la transmission de l'imbécillité.'
Ce Précis de philosophie moderne, publié en 1969 par R. Laffont sous le pseudonyme de Roboald Marcas, suscite d'emblée la perplexité du lecteur qui ne peut manquer de se demander s'il a affaire au livre d'un fou, d'un idiot ou d'un filou. Il s'agit en fait d'un pastiche des manuels de philosophie, dans lequel l'auteur s'inspire librement des sottises qu'il y a trouvées.
Estimant que cette anthologie du stupide n'avait rien perdu de son actualité, les Presses Universitaires de France ont décidé d'en proposer une nouvelle publication.
Passer du concept à l'objet. Voilà ce à quoi s'emploie, avec une obstinée rigueur, la démarche phénoménologique en général, celle de Schütz en particulier. C'est bien ce à quoi il convient d'être attentif quand on sait comment la sociologie est la cible, de nos jours, de nombreuses critiques. Toutes, d'ailleurs, ne sont pas infondées. Car, outre les lassantes et puériles querelles qui la déchirent, il faut bien reconnaître qu'elle a une fâcheuse tendance à être en retard d'une guerre concernant ce que Durkheim appelait les caractères essentiels de la vie sociale. Nombreux étant ceux qui en son sein continuent avec lassitude, ennui ou cynisme, à développer des thématiques éculées n'intéressant plus personne si ce n'est eux-mêmes.
Il y a donc un défi, et quelques moyens de le relever. Le chercheur et le quotidien est du nombre et toute l'oeuvre d'Alfred Schütz pourrait être comprise comme une réponse à la lumineuse remarque de Max Weber: comment être à 'la hauteur du quotidien' ? L'intérêt d'à présent, la thématique du quotidien, c'est bien cela qu'on va lire tout au long de ces pages, et c'est cela qui peut redonner à la sociologie une nouvelle dynamique. Non pas comme un nouvel objet à étudier, encore moins comme un nouveau système à appliquer, mais bien comme une mise en perspective, une assomption de ce qui se donne à voir.
En sa considération de la question de Dieu, Aristote 'était tout à fait impartial' ; et il est le dernier métaphysicien européen de première importance pour qui on puisse dire cela' ; on ne saurait même, à cet égard, 'aller bien au-delà d'Aristote'. Ces remarques de Whitehead revêtent une pertinence accrue aujourd'hui, où l'accès de la raison humaine à Dieu est mis en doute de manière diverse et renouvelée.
La réflexion étonnante sur Dieu, 'Pensée de la Pensée' et 'Souverain Bien', qu'élabore Aristote manifeste, de surcroît, une rigueur et une profondeur qui appellent la plus grande attention critique, par-delà les préconceptions. On verra qu'au coeur de l'enquête se découvre l'intelligence sous des jours différents et complémentaires que font clairement ressortir ces six conférences.
Écrit par un collectif d'activistes et universitaires californiens après l'entrée en guerre des États-Unis en Irak, ce livre propose un puissant décryptage de la conjoncture politique actuelle envisagée à travers le prisme des catégories retravaillées de «capital» et de «spectacle». Une nouvelle phase d'accumulation primitive, dont la violence n'a rien à envier aux colonisations ou aux guerres de religion, se combine en effet depuis le 11 septembre 2001 à un contrôle des apparences de plus en plus sophistiqué par les appareils d'État. Lorsque, dans les années 1990, le «consensus de Washington» a volé en éclats sous la pression de mouvements de luttes renaissants, le néolibéralisme est passé en mode militaire et les grandes puissances ont dû prendre l'habitude de contenir les passions démocratiques par le biais d'une politique spectaculaire renouvelée. Du point de vue de l'hégémonie, c'est la guerre qui est la norme et la paix une pathologie. C'est aussi dans ce cadre, à la fois belliciste et surexposé, qu'il faut réinterpréter les pratiques et les mises en scène de l'islam révolutionnaire. L'ambition de ce livre est enfin de dessiner des repères pour les luttes des décennies qui viennent. Une critique non réactionnaire, non nostalgique, non apocalyptique de la modernité, et un scepticisme radical envers tout avant-gardisme historique, qu'il vienne des démocraties comme des révoltés de toutes sortes : telles sont les tâches théoriques et politiques présentes face à la désorientation stratégique d'États qui produisent des citoyennetés faibles tout en dépendant plus que jamais d'une opinion surmobilisée.
Ce livre examine les prétentions du nouveau paradigme de la psychologie à se proposer comme modèle d'avenir pour les disciplines cliniques, et par là, venir à bout de la psychanalyse. Quel est ce changement de paradigme ? C'est le cognitivo-comportementalisme. D'où vient-il ? Des États-Unis. Jusqu'aux années soixante, la psychologie comportementale avait joui d'un certain prestige. Elle s'est trouvée disqualifiée par l'objection du linguiste Noam Chomsky : aucun apprentissage ne pourrait jamais rendre compte de la compétence linguistique. Celle-ci devait être innée. La psychologie comportementale mit trente ans à se revêtir d'habits neufs. Les avancées de la biologie, de la neurologie, et de la nébuleuse qui en a résulté sous le nom de neurosciences le lui ont permis.
Sous le nom de cognitivisme comportemental, une nouvelle réduction de l'expérience humaine à l'apprentissage a fait retour.
À partir de la psychanalyse d'orientation lacanienne, ce livre soutient une thèse opposée. L'inconscient ne relève d'aucun apprentissage. Il est ce qui manque ou excède tout apprentissage possible. L'inconscient est un mode de la pensée délivrée de l'apprentissage comme de la conscience. C'est son scandale et sa particularité.
À une époque où disparaît la philosophie, l'urgence se fait sentir d'en explorer les limites, non pour la ressusciter, mais pour comprendre ce qui a été possible sans elle et avant elle. Plutôt que de s'épuiser à reconstituer un corpus à jamais fragmentaire, à jamais dépendant du dernier papyrus découvert, on choisit dans cet ouvrage d'explorer, dans une langue parlée avant l'avènement des philosophes, la récurrence de certains mots que nous traduisons aujourd'hui par «infini», «limite», «un», «multiple». En examinant ces termes en amont de la philosophie, en les replongeant dans le terreau de la langue parlée par les «poètes», on découvre qu'ils prennent sens dans un ensemble d'images qui structure la réflexion et l'expérience des anciens Grecs et constitue ce qu'on peut appeler un schématisme. Or, le schème qui opère dans tous les domaines, de l'art du charpentier à celui de l'aède, de la physiologie à la cosmologie est celui de l'harmonie.
En traquant le schème de l'harmonie à travers la philologie, l'histoire des sciences et des techniques comme la musique, la physiologie ou l'astronomie, l'ouvrage retrace le cheminement souvent non linéaire qui conduit du schème homérique de l'harmonie, à ses modifications chez les auteurs tels qu'Héraclite, Empédocle, Parménide, Zénon, ou les Pythagoriciens. Abordé dans la perspective d'une anthropologie de la technique, chacun des auteurs examinés illustre une manière de fabriquer une balle qui concrétise sa démarche. On découvre ainsi que dans le premier schème de l'harmonie matérialisée par le cercle rabouté et la sphère, le mot «infini» désigne la circularité parfaite, alors que quelques siècles plus tard le même mot sert à désigner l'Intervalle des relatifs quand harmoniser revient à unifier.
Les représentations éthiques sous-jacentes aux épistémologies de l'harmonie sont ainsi mises en lumière : l'auteur montre que si chez Homère, l'harmonie, en opérant au moyen de la cheville ou de l'agrafe, a pour effet de préserver le multiple dans ses manifestations singulières, il n'en est plus de même à l'aube du Ve siècle où le multiple se voit réduit à la différence comparative, dans une harmonie de la proportion d'où il devient à jamais impossible de penser la diversité sans l'assimiler au risque de désordre.
Au fil de cette étude, le lecteur est amené à comprendre les enjeux réels de la question de l'harmonie, abordée pour la première fois comme la question des limites de la philosophie.
«Là où la folie se perd, un lieu peut faire repaire... Un repaire, oui, mais pas comme lieu d'écart, de retrait, un repaire comme lieu d'ouverture, mais aussi un lieu d'investissement sur la cité. Un repaire, donc, qui, dans le fil du mouvement de la psychothérapie institutionnelle, vise l'ouverture au possible, l'ouverture de possibles.»
Ce livre est le récit d'une expérience de communauté thérapeutique (pour adultes le plus souvent psychotiques), s'inspirant de quelques principes essentiels de la psychothérapie institutionnelle. Il vise à en défendre la pertinence et l'actualité, à contre-courant de la psychiatrie actuelle, dominée par le savoir de la biologie et des techniques comportementales et cognitivistes. Sans récuser l'apport du savoir scientifique quand il est rigoureux, ce témoignage fait valoir que toute approche de la folie est vaine si elle ne donne pas réellement, c'est-à-dire au sein même du dispositif de soins, une place à d'autres dimensions humaines telles que l'incomplétude, le temps, la parole, l'inattendu, l'angoisse, le risque, la responsabilité, certaines transgressions...
Dans l'effervescence des années 1970, de jeunes sociologues créent autour de Pierre Bourdieu une nouvelle revue : Actes de la recherche en sciences sociales.
Dans un des premiers articles de la revue, Pierre Bourdieu et Luc Boltanski s'attaquent à la question centrale de « La Production de l'idéologie dominante ».
Trente ans plus tard, Luc Boltanski ouvre à nouveau le dossier. Riche d'anecdotes personnelles, son récit nous livre la genèse de ce texte. Il débouche sur une critique radicale des formes actuelles de l'idéologie dominante. Véritable manifeste, il vise à nous rendre la réalité inacceptable.
L'engagement de Sartre dans l'Histoire est connu, ses discussions avec Che Guevara, ses déclarations incendiaires contre la colonisation, ses harangues sur un tonneau de Billancourt... Sait-on qu'en pleine euphorie militante, Sartre réservait chaque jour du temps pour le piano ? Il déchiffrait des partitions de Chopin ou Debussy. L'homme qui incarnait son siècle vivait des intensités et des rythmes secrets.
Comment la philosophie s'accorde-t-elle à cette pratique en contrebande ? Nietzsche, qui se rêvait compositeur plus que philosophe, adopta le piano comme son diapason, la table d'évaluation de ses idées, l'instrument de ses transfigurations intimes. Combattre Wagner, vaincre la lourdeur, épouser Lou, devenir méditerranéen... il joua sa vie sur le clavier, même pendant sa folie.
Décider de vivre en musique engage le corps amoureux. Barthes le comprit, à l'écart des codes dont il était devenu le théoricien. Le piano lui offrit une échappée hors des discours savants. Musicien, il découvrit une autre érotique, tantôt berceuse enfantine, tantôt pourvoyeuse de pulsions.
Le jeu musical transporte une gamme d'affects qui se prolongent dans la vie sociale et intellectuelle, de sorte que la pratique du piano ne laisse pas intact le reste des jours. Doigtés, allures, sensualités, tout se livre sur la touche.