La correspondance entre Sigmund Freud et Max Eitingon - huit cent vingt et une lettres, la plus abondante connue - est un témoignage exceptionnel des rouages de la machinerie psychanalytique de 1906 à 1939.
Max Eitingon vient vers Freud en 1906 et fait avec lui la toute première « analyse didactique ». Cet échange rend compte de l'aspect historique du mouvement psychanalytique, son fonctionnement et ses crises, mais aussi des relations, en arrière-plan, des différents acteurs de ce mouvement tels que Abraham, Ferenczi, Rank ou encore Jones, que l'on trouve ici présentés sous des angles peu habituels. Cette relation épistolaire, tout d'abord formelle, s'est progressivement transformée en relation amicale et affective. En effet, Max Eitingon parle de Freud dans ses lettres, et s'inquiète de son état de santé. Freud le tient au courant de l'évolution de son cancer, toujours avec cette distance pleine d'humour qui apparaît en permanence dans ses écrits. Il n'omet pas de lui donner ses conseils concernant la politique que doit adopter l'Association psychanalytique internationale par rapport aux scissionnaires, puis aux nazis qui étranglent la psychanalyse en Allemagne, avant son exil et sa mort le 23 septembre 1939.
On découvre un adepte admiratif qui voue sa vie à la défense des idées de Freud. Max Eitingon devient ainsi indispensable au mouvement psychanalytique et l'un de ses plus fervents défenseurs.
L'idée que nous nous faisons de la psychanalyse est souvent prise entre l'imaginaire, les effets de la vulgarisation et un certain hermétisme du discours de ceux qui l'exercent.
Que se passe-t-il dans le cabinet du psychanalyste ? Comment se pratique la psychanalyse, cette «science» déjà vieille de plus de cent ans et pourtant sans cesse réinventée, cette «méthode» que son fondateur n'hésitait pas à définir comme un «art», tout en en soulignant l'extrême rigueur ? Comment réinterroger ces gestes - l'écoute, le silence, le secret, la supposée «neutralité» de l'analyste, voire son «indifférence», et jusqu'à ses «interprétations» - pour leur restituer toute la vivacité de l'invention freudienne ? Sont-ils aussi nécessaires et pertinents de nos jours qu'ils pouvaient l'être du vivant de Freud ?
Revisiter la technique psychanalytique à l'aide d'autres formes de savoir-faire, comme celles que l'expérience artistique, musicale, théâtrale, poétique... permet de découvrir, semble l'une des voies possibles pour enrichir et renouveler le regard porté sur toutes ces choses, devenues banales, presque ternes, à force d'être présumées trop bien connues.
Pour en avoir fait lui-même l'expérience et s'être par ailleurs engagé dans une pratique analytique, Sean Wilder interroge ici ce que la psychanalyse a pu dire de l'extase mystique Freud, Lacan et Winnicott lui offrent des réponses diverses. Si chacun utilise le concept de moi, c'est en des sens très différents Freud émet une condamnation qui assimile sentiment océanique et expérience religieuse, Lacan prête une oreille plus attentive aux élaborations mystiques et à leur mode de subjectivation , Winnicott forge le concept surprenant d'orgasme du moi pour désigner des états de non-intégration proches de ce que Henn Michaux - lui aussi convoqué - nomme le domaine du calme.
Prenant un appui critique sur ces travaux, mais aussi sur sa pratique du zen, l'auteur revisite l'expérience mystique. Loin de ne concerner qu'elle, sa contribution questionne la consistance du savoir avec lequel l'analyste rend compte de sa pratique.
Les psychotropes ont installé une machine au milieu de la scène psy.
Comment travaille-t-elle ? Depuis 1952 (mise sur le marché du Largactil), les psychotropes ont d'abord réorganisé la psychiatrie lourde, héritière de la psychiatrie asilaire et de ses patients psychotiques. Puis ils ont fini par envahir et redéfinir tout le champ des troubles mentaux. Mais la machine est restée très modeste. Elle veut seulement aider. Elle a comme rouages un certain nombre de techniques et de tests comportementaux ou cellulaires, qui se pratiquent sur des rats, des souris et des chiens.
Cependant, il pourrait bien y avoir une grandeur des psychotropes que les psychanalystes n'ont pas été capables de saisir et qui les met progressivement hors jeu.
Une opinion très répandue veut que l'évolutionnisme, et plus spécialement le darwinisme, ait révolutionné la conception que l'homme a de lui-même. D'une vision anthropocentrique - souvent comparée à la vision géocentrique d'avant Copernic -, on serait passé à une vision décentrée où l'homme n'est plus qu'un animal parmi d'autres. D'un homme créé par Dieu à un homme produit par le hasard et la nécessité. Le tout se serait accompagné d'un épouvantable scandale, et la conception darwinienne ne l'aurait emporté contre l'obscurantisme qu'au prix d'une lutte acharnée.
Cette opinion, popularisée par les biologistes eux-mêmes, est largement imaginaire. En 1859, lorsque Darwin publie L'Origine des espèces, l'évolutionnisme n'est plus une nouveauté depuis longtemps ; son application à l'homme, non plus. Rien donc qui justifie le moindre scandale. En outre, la thèse de Darwin diffère de ce que nous appelons aujourd'hui « darwinisme » et, très rapidement, profitant de ses imprécisions, chacun l'interprétera à sa manière. Le darwinisme qui s'ensuivra ne sera pas, et de très loin, une doctrine homogène, ni dans ses aspects théoriques, ni dans ses applications à l'homme.
Quant à l'explication biblique de l'origine de l'homme par la création divine d'Adam - supposée alors universellement admise -, elle avait en fait déjà subi les pires outrages. Diverses religions, plus ou moins sectaires, avaient depuis longtemps concocté des lectures de la Bible assez curieuses, et imaginé des conceptions de l'homme bien « pires » que celle qui consistait à le faire descendre du singe. À côté d'elles, Darwin fait souvent figure d'enfant de choeur.
Vue de près, la réalité est donc très différente de l'opinion courante pour laquelle un créationnisme religieux se serait opposé à un évolutionnisme scientifique. Et cela est vrai non seulement pour les aspects théoriques, mais aussi pour les applications pratiques assez contestables qu'ont trouvées certaines thèses biologiques, notamment en matière d'hygiène raciale.
Comment pensait-on jadis, comment pensons-nous aujourd'hui ? L'instrument le plus nécessaire à l'exercice de l'activité scientifique est la raison qui nous permet de penser et parler sur le monde. Le modèle de la raison rationaliste proposé par Aristote a été adopté par le monde occidental. Dans ce modèle, le statut du principe de contradiction permet d'envisager qu'une théorie scientifique puisse être en correspondance avec le monde. Celle-ci est unique et complète, du moins en droit.
L'invention des géométries non euclidiennes a ruiné le rationalisme. La rencontre de dualités dans notre perception du monde empirique - par exemple la dualité onde-corpuscule en physique - impose un nouveau modèle de la raison. Désormais plusieurs théories concurrentes peuvent prétendre décrire une même portion du monde, mais chacune d'elle doit admettre son incomplétude.
Comment apprécier aujourd'hui la révolution kantienne ? À l'image du film de Wolfgang Becker : Goodbye Lenin ! qui en a inspiré le titre, Goodbye Kant ! n'entend pas dire ce qu'il y a en elle de mort et de vivant, ni mutiler un monument dont on sait l'influence sur toute la philosophie qui a suivi. Il s'agit plutôt d'entreprendre le ravalement d'un édifice que le temps et le succès ont fini par embaumer, afin de lui rendre son actualité. Comme le suggère Pascal Engel dans sa préface, rédigée spécialement pour cette traduction française, ce livre, alerte et drôle, « est fait pour tous ceux qui se sont demandé au moins une fois dans leur vie (et même pour ceux qui ne se le sont jamais demandé) : Y a-t-il eu vraiment une révolution copernicienne en philosophie et le monde tourne-t-il autour du sujet ? » Salué lors de sa parution en Italie comme une « entreprise salutaire » dont la philosophie a parfois besoin, « Goodbye Kant ! est un pur plaisir », selon les termes de Kevin Mulligan.
« La politique ne peut exister que dans un acte d'interruption, de dérèglement ou d'effraction » écrit Christian Ruby dans cette introduction au travail de Jacques Rancière. On y trouvera, recensés et éclairés, les concepts qui servent chez Rancière de matériaux de construction - en vrac, le sensible et son partage, la subjectivation, le régime esthétique des arts, le couple police / politique, la mésentente... Parallèlement, Ruby retrace le parcours de Rancière, depuis la plongée dans les archives ouvrières du XIXe siècle (La Nuit des prolétaires) jusqu'aux textes les plus récents (La Haine de la démocratie, Le Spectateur émancipé). Une grande place est réservée à la notion d'égalité, centrale chez Rancière, appuyée sur le magnifique exemple du Maître ignorant. Chemin faisant, Ruby explique les divergences qui opposent Rancière à certains de ses contemporains comme Althusser, Bourdieu ou Lyotard, divergences profondes qui portent sur l'idée maîtresse de sa philosophie, l'émancipation.
Aider à entrer dans une oeuvre réputée difficile sans paraphraser ni simplifier : tel est le pari réussi par Christian Ruby dans ce livre alerte et décidément philosophique.
Les conséquences dévastatrices d'une mutation globale et planétaire qui encourage le quantitatif, l'évaluable, le simple, le visible, le consommable, le rentable, le rapide, le matériel apparaissent évidentes dans tous les champs où l'humanité déploie ses activités, souvent créatrices : politiques, économiques, sociales, culturelles, sanitaires. La question posée à la psychanalyse est celle de l'impact de ces mutations sur la construction identitaire de la personne, des effets de l'ultralibéralisme et de la technologisation des échanges sur la clinique de sujets anonymisés et incarcérés dans un nouvel ordre symbolique : contrôle social et formatage des individus, de leurs comportements et, plus grave encore, de leurs fonctionnements.
La déshumanisation est en marche. Les 'psychistes', tous ceux qui veillent au développement, à l'accompagnement ou à la restauration du psychisme humain, ne peuvent accepter passivement ce processus de désubjectivation et de dépersonnalisation, pas plus qu'un monde absurde et monstrueux, où l'homme serait réduit à un misérable petit tas de neurones, à une alchimie d'acides aminés ou à d'improbables circuits bio-électriques, c'est-à-dire à une chimère scientiste.
Il faut donc entrer en résistance - je n'emploie pas ce mot par hasard. L'objet de ce livre est de dénoncer ces impostures et d'affirmer que la psychanalyse peut et doit être un des points d'ancrage de ce mouvement de défense des références originaires et fondamentales de l'humain.
Pourquoi nos enfants entrent-ils dans un monde plus cruel, plus dangereux que celui où nous avons grandi ? Ce texte lance une série de questions inquiètes sur les avenirs que dessine le jeu désormais souverain de la libre concurrence.
Il ne les adresse pas au Marché, aussi muet que sa main est invisible. Il ne les pose pas aux politiques, appliqués à faire de la compétition, donc de la guerre, le ressort de la vie sociale. Pas non plus à ceux qui nous vendent la potion magique de l''économie de la connaissance'. Mais à nous.
D'où nous vient cette résignation à suivre un cours si manifestement délétère, où s'accroissent les inégalités, la précarité et la violence ? De quoi est faite, de quelles adhérences profondes, notre impuissance politique ? Est-il pourtant impossible d'articuler un projet politique radical pour ce temps, qui ne se bercerait ni des simplismes révolutionnaires ni des vagues invocations à un autre monde possible ?
Bien que pessimiste, ce texte souffle sur les braises de nos rages lucides. Dans l'espoir ténu qu'en pourrait renaître une ambition politique à la mesure du défi civilisationnel que nous a jeté l'empire du Marché.