Le temps presse. Du culte à la culture

Le temps presse. Du culte à la culture
Taubes Jacob
Ed. Seuil/Traces écrites

Ce recueil présente la pensée de Jacob Taubes (1923-1987) à travers des textes écrits durant trente ans. Il illustre ses différents domaines d'intervention polémique, de la théologie à la psychanalyse, en passant par la philosophie de l'histoire, de Nietzsche à Freud en passant par Gershom Scholem ou Carl Schmitt. Ainsi s'esquisse une philosophie de la culture dans son rapport d'opposition au culte. Le moteur qui lui donne son impulsion est la Gnose et la vision apocalyptique selon laquelle le futur est destruction du présent : la pensée du temps est pensée de l'état d'exception.

«Pour le dire de manière ramassée, la définition, donnée par la philosophie classique, de ce qu'est le Monde, de ce qu'est le Temps, et qui a dominé d'Aristote à Hegel, a manqué un point, abordé par Heidegger, mais qu'il n'a pas bien saisi, à savoir la signification de l'Être et du Temps comme Délai. C'est là un héritage de la vision apocalyptique... Cela implique des conséquences pour l'économie et, au fond, pour toute la vie. Il n'y a pas d'éternel retour, le temps ne permet aucune insouciance, mais il est tourment, le temps presse.»

Une intrigue criminelle de la philosophie. Lire La phénoménologie de l'Esprit de Hegel

Une intrigue criminelle de la philosophie. Lire La phénoménologie de l'Esprit de Hegel
Martin Jean-Clet
Ed. Empêcheurs de penser en rond

La doctrine de Hegel a la réputation d'être obscure. Sa philosophie suit le fil d'une « histoire racontée » très différente de la pensée démonstrative qui ne saisit guère les aventures d'un concept. Hegel sera le premier à mettre en haleine le mouvement de toute pensée, lui conférant ainsi le sens d'une Histoire qui comporte différentes scènes, souvent meurtrières. À partir de la défense d'un criminel, Hegel a montré que la philosophie est toujours une pensée très concrète, tandis que l'abstraction et la précipitation sont du côté de l'opinion populaire, du jugement de la foule.

Ce sont des images, parfois funestes, que l'auteur a détaillées avec précision : agressivité de l'animal, violence du maître, outrages de Bacchus, mort d'Antigone, celle d'un roi, meurtre de Dieu ou mort de l'homme... Pour Hegel, toute création conceptuelle se traduit par un crime : elle se nourrit du corps de son ennemi comme une araignée « s'enrichissant jusqu'à ce qu'elle ait arraché toute la substance à la conscience, sucé et ingéré tout l'édifice de ses essentialités ».

Cette intrigue, l'auteur la suit en sa richesse époustouflante, réintégrant Hegel à l'intérieur de la philosophie contemporaine qui l'a injustement refoulé, au profit de Nietzsche dont pourtant il permet de renouveler l'approche. Cette lecture nouvelle et intégrale de la Phénoménologie de l'Esprit montre un Hegel penseur du nihilisme, de la mort de Dieu et de l'homme submergé par sa foi naïve dans l'économie capitaliste naissante.

La fin dans le monde

La fin dans le monde
Deguy Michel
Ed. Hermann

La fin est double et donc duplice : but poursuivi (télos) et achèvement (terminus), césure. En surimpression dans notre langue à la faveur d'une homophonie, la faim projette sa hantise, comme le Cri de Munch, sur le spectaculaire diorama de l'époque. La fin épuiserait la faim.

On se demande comment ça pourrait finir. Nombre de scenarii envisagent les derniers jours, le dernier homme. Il n'est pas impossible d'imaginer une fin par atélie et par hypertélie associées. L'atélie, c'est quand les fins professées «dernières» par l'économie-monde partent en fumée comme le «supplément d'âme» ou les fameuses «valeurs» épuisées d'entrechocs, de mépris et d'anorexie, et que reste seule, mise à nu par ses célibataires, la machine infernale production-consommation, qui ne se soucie bientôt plus de ses alibis. L'hypertélie (qui causa, nous dit la vulgarisation scientifique, la mort de gigantesques mammifères il y a des millions d'années), c'est quand le prédateur surdimensionné avale la «nature» et écrase la terre : la créature terrestre s'immortalise en s'émondant avec son génie génétique et ses prothèses.

La fin, ou sens, réserve à la pensée son secret difficile à instruire à chaque grand âge, dans une proportion d'or de fini et d'infini - comme le formule Pascal dans son énigme : «l'homme passe infiniment homme». Comment faire proportion par les temps qui courent ?

L'alliance radicale de la pensée poétique et de la pensée écologique s'exerce aux paradoxes d'une telle proportion. On en trouve des esquisses dans le présent essai, études et lectures.

Comment la vérité et réalité furent inventées

Comment la vérité et réalité furent inventées
Jorion Paul
Ed. Gallimard/Bibliothèque des sciences humaines

Cet essai ambitieux se veut une contribution à l'anthropologie des savoirs. Paul Jorion y propose un exercice de décentrement radical par rapport à nos habitudes de pensée. Il montre comment les notions de « vérité » et de « réalité », loin d'aller de soi, sont apparues à des moments précis de l'histoire dé la culture occidentale.

La « vérité » est née dans la Grèce du IVe siècle avant Jésus-Christ, et la « réalité » (objective), dans l'Europe du XVIe siècle. L'une découle de l'autre : à partir du moment où s'impose l'idée d'une vérité, sous l'influence de Platon et d'Aristote, dire la vérité revient à décrire la réalité. Selon Paul Jorion, cette dernière résulte toutefois, sous sa forme moderne, d'un coup de force opéré à la Renaissance par les jeunes-turcs de l'astronomie moderne naissante. Ce coup de force supposait une assimilation de deux univers : le monde tel qu'il est en soi et celui des objets mathématiques. Il en résulta une confusion entre les deux, dont la science contemporaine est l'héritière.

À suivre l'auteur, nous sommes entrés dans l'époque des rendements décroissants de ces « inventions » jadis fructueuses. D'où la nécessité de débarrasser l'entreprise de construction des connaissances du mysticisme mathématique et de réhabiliter la rigueur dans le raisonnement. Celle-ci exige de réassigner au modèle, en particulier mathématique, son statut de représentation au sein de l'esprit humain. L'ouvrage constitue ainsi un plaidoyer en faveur d'un « retour à Aristote », situant l'auteur dans une tradition philosophique où l'on côtoie Hegel et Kojève, mais aussi Wittgenstein.

Jeux finis et infinis

Jeux finis et infinis
Delahaye Jean-Paul
Ed. Seuil

Les mathématiques gouvernent aussi bien les jeux classiques, comme les dames ou le jeu de Nim, que des divertissements plus sophistiqués, tels les livres sans fin à la Borges, les pavages géométriques, ou encore les transformations d'images infographiques. Autant d'activités ludiques, mais souvent riches d'applications sérieuses.

L'originalité de cet ouvrage est de mettre l'accent sur les jeux de la pensée avec l'infini, cette notion aux aspects déraisonnables et pourtant rigoureux. Présentant des développements récents, il propose aussi des commentaires historiques et épistémologiques, et aide à utiliser l'informatique pour étudier, pratiquer ou apprendre de nouveaux jeux, et prouver des résultats novateurs sur des jeux connus.

L'esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total

L'esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total
Supiot Alain
Ed. Seuil

Les propagandes visant à faire passer le cours pris par la globalisation économique pour un fait de nature, s'imposant sans discussion possible à l'humanité entière, semblent avoir recouvert jusqu'au souvenir des leçons sociales qui avaient été tirées de l'expérience des deux guerres mondiales. La foi dans l'infaillibilité des marchés a remplacé la volonté de faire régner un peu de justice dans la production et la répartition des richesses à l'échelle du monde, condamnant à la paupérisation, la migration, l'exclusion ou la violence la foule immense des perdants du nouvel ordre économique mondial. La faillite actuelle de ce système incite à remettre à jour l'oeuvre normative de la fin de la guerre, que la dogmatique ultralibérale s'est employée à faire disparaître. Ce livre invite à renouer avec l'esprit de la Déclaration de Philadelphie de 1944, pour dissiper le mirage du Marché total et tracer les voies nouvelles de la Justice sociale.

La philosophie et l'événement

La philosophie et l'événement
Badiou Alain
Ed. Germina

«J'ai compris assez récemment cette incroyable obstination de Platon à démontrer que le philosophe est heureux. Le philosophe est plus heureux que tous ceux qu'on croit plus heureux que lui, les riches, les jouisseurs, les tyrans. Ce que cela signifie est assez clair : le philosophe expérimentera, de l'intérieur de sa vie, ce qu'est la vraie vie.»

Alain Badiou est l'un des philosophes contemporains les plus importants, auteur en particulier de L'être et l'événement, (Seuil, 1988) et de Logiques des mondes (Seuil, 2006), livre qui fait suite au précédent. Nous embarquerons ici pour un voyage au coeur de sa pensée. Répondant aux questions de Fabien Tarby, Alain Badiou nous fait parcourir une trajectoire qui croise et explore les quatre conditions de la philosophie : la politique, l'amour, l'art et les sciences. Le philosophe fait, en outre, le bilan de ses grandes oeuvres et parle de son livre en projet, L'immanence des vérités, qui serait le troisième volume de l'oeuvre commencée avec L'être et l'événement.

Mais quel est donc ce trajet de vie et de pensée qui se nomme «philosophie» ?

La vérité captive. De la philosophie

La vérité captive. De la philosophie
Caron Maxence
Ed. Cerf

Système nouveau de la philosophie et de son histoire passée, présente et à venir, La Vérité captive - De la philosophie est une oeuvre neuve, en son contenu comme en sa langue : La Vérité captive construit un édifice de Sens, et abolit, par voie de Pensée, toute distinction artificielle entre la foi et la raison, entre la littérature et la philosophie. L'ouvrage propose une relecture intégrale de l'histoire autour d'une ontologie trinitaire, tout en soulignant avec lucidité l'âge critique de l'« outre-modernité » dans lequel l'humanité s'est enfoncée à force de donner créance à « l'immanentisme ». Maxence Caron remonte aux origines historiques conceptuelles qui ont pu ouvrir la crise de l'idéologie contemporaine croyant avoir accompli la vocation de la pensée en l'assignant au dogmatisme relativiste.

Aspirant la totalité de la pensée en un fort mouvement apocalyptique et messianique, dans une langue littéraire renouvelée, d'une tonalité à la fois classique et paradoxale, Maxence Caron entend mettre en évidence les raisons profondes d'une conflagration historique dont l'originalité et l'ampleur n'ont pas été soulignées, et ne suscitent çà et là que plaintes réactionnaires alors qu'elle mérite d'être pensée en son fond et sa source. Prenant appui sur l'ère même qu'inaugure ce livre, la pensée est dite désormais indéfectiblement ouverte, depuis son intériorité même et par sa logique intrinsèque, à la Révélation du Principe. S'initiant d'un trait d'apocalypse et s'achevant sur un poëme mystique, La Vérité captive expose le Système et le regarde simultanément jaillir de l'histoire de la philosophie. L'ensemble bouleverse tout repère stylistique et initie une nouvelle voie, finale. Ce livre souffle du fond des ères et, remontant à l'origine apodictiquement transcendante de tout acte de l'esprit, ouvre de mettre fin aux errances de la pensée.

Le développement humain. Lutter contre la pauvreté I

Le développement humain. Lutter contre la pauvreté I
Duflo Esther
Ed. Seuil/La république des idées

Nul ne conteste que la santé et l'éducation constituent des priorités absolues. Mais la situation actuelle n'incite pas à l'optimisme : neuf millions d'enfants meurent chaque année avant l'âge de cinq ans de maladies que l'on sait guérir et, en Inde, la moitié des enfants scolarisés ne sait pas lire. Pour remédier à cet état de fait, Esther Duflo évalue localement et concrètement les programmes de lutte contre la pauvreté, à l'aide d'une méthode révolutionnaire : l'expérimentation aléatoire. De l'Inde au Malawi, du Kenya au Mexique, cette méthode permet de répondre à de nombreuses questions : comment rendre plus efficaces les campagnes de vaccination ? Comment améliorer l'instruction des enfants à moindre coût ? Comment lutter contre l'absentéisme des enseignants et des infirmières ? La santé et l'éducation sont les préalables non seulement au bien-être social, mais aussi à la liberté : ce livre montre comment les faire progresser de manière décisive.

En 2 volumes

Après la tragédie, la farce ! Ou comment l'histoire se répète

Après la tragédie, la farce ! Ou comment l'histoire se répète
Zizek Slavoj
Ed. Flammarion

Des milliards de dollars ont été déversés au coeur du système bancaire mondial, mais pourquoi n'avoir pas employé ces mêmes forces pour éradiquer la misère du monde et conjurer la crise environnementale ? « Nous faut-il une autre preuve, demande Zizek, que le Capital est devenu le Réel de nos vies, un Réel dont les impératifs l'emportent en despotisme sur les plus pressantes exigences de notre réalité ? » Analysant l'implosion soudaine de la sphère financière, Zizek souligne, à la suite de Hegel, Marx et Marcuse, que la répétition de la tragédie sous forme de farce est parfois plus terrifiante que la tragédie initiale.

« Le philosophe le plus dangereux d'Occident » passe au crible l'envahissante vision libérale du monde, cette idéologie qui nous fait croire en un lien naturel entre capitalisme et démocratie, se déguise sous les oripeaux libertaires du pseudo-esprit de 68 qu'elle a parfaitement intégré, et nous raconte des histoires semblables à la saga populiste, « humaine, trop humaine », d'un Berlusconi.

À ceux qui se résignent à l'alternative entre un capitalisme « socialiste » à l'occidentale et un capitalisme « autoritaire » à l'asiatique, Zizek rappelle qu'il existe une autre voie : il évoque la leçon de Lénine - « commencer à partir du commencement, encore et encore » -, questionne les thèses de Négri sur les multitudes agissantes au sein de la sphère sociale globalisée et considère la position de Badiou pour qui le communisme reste un ultime - et peut-être indépassable - horizon.

Après la tragédie, la farce ! est un appel tonique aux forces de gauche pour qu'elles se réinventent.

 

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