L'aspiration à la justice est, pour le meilleur et pour le pire, une donnée anthropologique fondamentale, car les hommes ont besoin pour vivre ensemble de s'accorder sur un même sens de la vie, alors qu'elle n'en a aucun qui puisse se découvrir scientifiquement. La dogmatique juridique est la manière occidentale de lier ainsi les hommes, en posant un sens qui s'impose à tous. Le Droit est le texte où s'écrivent nos croyances fondatrices : croyance en une signification de l'être humain, en l'empire des lois ou en la force de la parole donnée. N'étant pas l'expression d'une Vérité révélée par Dieu ou découverte par la science, le Droit est aussi une technique, susceptible de servir des fins diverses et changeantes, aussi bien dans l'histoire des systèmes politiques que dans celle des sciences et des techniques. Mais c'est une technique de l'Interdit, qui interpose dans les rapports de chacun à autrui et au monde un sens commun qui le dépasse et l'oblige. Il faut en effet que chacun de nous soit assuré d'un ordre existant pour pouvoir donner sens à sa propre vie et à son action, fût-elle contestatrice.
Présentation de l'éditeur
Mon sens commun est un petit esprit impatient et rebelle qui, depuis quelque temps, s'est réveillé en moi, parfois contre ma volonté, hérisse le poil et grogne contre l'infinie arrogance de l'intelligence, contre toutes les mises en demeure plus ou moins subtiles, plus ou moins raffinées, plus ou moins bien informées, qui veulent nous faire penser de la façon voulue, correcte et conforme, l'Art, la Société, les Valeurs, etc. ' La philosophie doit servir à cela : aider la mouche à sortir de la bouteille ' (Ludwig Wittgenstein).
Romancier et essayiste né à Naples en 1922, Raffaele La Capria fait dans ce livre l'éloge du sens commun, souvent méprisé et dévalorisé au profit des diverses ' formulations intellectuelles abstraites ' par lesquelles ' la pensée conforme ' nous explique chaque jour, ' à gauche comme à droite ', ce que nous devons penser. Loin de s'identifier à la trivialité du ' bon sens ' égoïste et matois, le sens commun est une forme de résistance à la domination. Mais cette dissension commune ' n'est pas chose aisée, puisque durant les dernières décennies un grand nombre d'hommes extrêmement intelligents ont été fascinés et dominés par un grand nombre d'idées extrêmement désastreuses engendrées par l'esprit despotique de l'époque '. À l'ère des catastrophes planétaires, revenir au sens commun signifie lutter pour reconstruire un monde qui soit à notre échelle, un monde que nous puissions dire nôtre.
Présentation de l'éditeur
Deux types d'adversaires s'affrontent en permanence sur la question de l'évolution technique : d'un côté, ceux qui pensent que cette évolution suit une logique interne, inéluctable et en somme infernale (' on n'arrête pas le progrès ') ; de l'autre, ceux qui pensent qu'aucune téléologie n'oriente inexorablement le changement et que l'homme est maître de son destin. Ces positions s'accordent toutefois sur le sens de l'expression ' évolution technique ', qui équivaudrait à ' développement autonome des techniques dans l'histoire '.
Or c'est cette définition a minima qui peut être mise en doute. Le présent livre n'a pas pour objectif de réfléchir aux grandes orientations des changements en cours ; il a pour but d'apporter un éclairage sur les significations multiples du mot même d'évolution. Non pas donc dire s'il y a, oui ou non, une évolution technique mais examiner les sens de ce ' il y a '.
Présentation de l'éditeur
Agrégé et Docteur en philosophie, Xavier Guchet enseigne à Paris. Les Sens de l'évolution technique est son premier livre.
Contrairement à une analyse largement partagée qui verrait les liens sociaux se déchirer et les valeurs se dissoudre, François Ascher défend ici l'idée que l'individualisation, la rationalisation et la différenciation sociale, qui caractérisent la modernité, engendrent des liens sociaux beaucoup plus nombreux et choisis, et font émerger de nouveaux enjeux politiques. Il nous montre que le capitalisme cognitif, tel qu'il s'impose aujourd'hui, résulte de ces transformations : cette société est moderne parce que les individus comme les organisations qui la composent prétendent maîtriser leurs actions et leur vie. Mais est-ce réellement possible dans un monde toujours plus complexe et par conséquent toujours plus incertain ?
La philosophie est, pour Merleau-Ponty, une interrogation des choses considérées dans leur apparaître ou leur phénoménalité. Sa tâche est d'exprimer de façon juste le foyer de la donation des choses, lequel, depuis le début de la philosophie moderne, est pensé comme subjectivité. Merleau-Ponty cherche ce foyer dans une phénoménologie de la perception, avant de s'orienter vers ce que ses derniers travaux appellent la 'chair'. La perception est une conscience qui s'apparaît à elle-même comme surgissant d'une nature dans laquelle elle reste aussi enveloppée et qui est donc indivisément pensée naturante et pensée naturée. La chair nomme une étoffe commune du voyant et du visible, naissant l'un à l'autre d'une déhiscence ou d'un éclatement qui est l'ouverture au monde. Méditant le contenu latent de la pensée cartésienne, Merleau-Ponty a toujours donné à cette ouverture le nom de cogito. Mais le passage d'une phénoménologie de la perception à une ontologie de la chaire transforme profondément la signification du cogito et les rapports entre sujet percevant, sujet parlant et sujet pensant. Ce livre, puisant dans les nombreux inédits de Merleau-Ponty, étudie comment cette transformation s'est accomplie à travrs la lecture critique de Husserl, Heidegger, Sartre, et surtout dans le dialogue constant avec l'auteur des Méditations, 'le plus profond des penseurs'.
L'auteur, ancien élève de l'ENS Ulm, est agrégé de philosophie et habilité à diriger des recherches. Il enseigne en Première supérieure à Toulouse.
Présentation de l'éditeur
Ce livre est à l'heure actuelle et tout simplement le seul ouvrage d'ensemble sur la pensée de Heidegger. Si beaucoup tentent aujourd'hui, avec plus ou moins de bonheur, d'utiliser en sens unique l'incontournable lexique heideggerien et, même en s'en voulant les contradicteurs, présupposent ainsi en cette oeuvre puissante une unité fondamentale, la possibilité de cette unité demeure paradoxalement la paralysante zone d'ombre interdisant encore l'accès au plus grand monument de la pensée contemporaine. Tout se passe comme si la longévité de Heidegger avait suffi à le rendre classique. Face à une pensée qui est devenue, consciemment ou non, une constante référence pour chacun, il était donc urgent de donner enfin à un auteur classique une monographie classique le concernant.
Les études sur Heidegger sont fournies mais dispersées, épaisses mais éparses. Confronté à l'éclatement des recherches concernant une oeuvre elle-même tout à la fois monothématique et singulièrement éparse, cet ouvrage met en évidence et en oeuvre la cohérence qui maintient en un tout les multiples affluents du fleuve heideggerien.
Constamment tourné vers ce que l'histoire de la pensée a légué de plus essentiel, Heidegger ne cesse néanmoins d'appeler le lecteur à ce que cette immense tradition porte encore de décisif pour notre avenir. C'est pourquoi un ouvrage qui entend restituer la cohérence de cette pensée retrace par la même occasion la totalité du chemin emprunté par la philosophie depuis son commencement, et séjourne au coeur de chacune des étapes de cette somptueuse histoire. Des présocratiques à Platon, d'Aristote à Descartes, de Kant à Nietzsche et Husserl en passant par Fichte et Hegel, cette étude regarde s'organiser l'imperturbable méditation de Heidegger: d'abord dans sa confrontation avec les grandes époques de la pensée occidentale, puis dans sa teneur propre.
La parole heideggerienne est réputée difficile. Une monographie qui entend être lisible ne peut se contenter de paraphraser la langue de l'auteur qu'elle choisit. C'est la raison pour laquelle Maxence Caron choisit - comme pour conjurer Babel et en accord avec l'esprit qui anime les oeuvres de Heidegger - de laisser la parole poétique accompagner la pensée. On croisera ainsi sur le chemin de l'explication des figures telles que celles de Mallarmé ou de Rimbaud; on lira également Supervielle, Rilke, Hugo, saint Jean de la Croix, Michaux, Claudel, Novalis, Valéry, Saint John Perse, Péguy, Char, et bien entendu Hölderlin dont la pensée heideggerienne a peut-être voulu ne devenir que la conscience. En suivant le chemin de Heidegger, nous accédons à la dernière grande pensée de l'histoire et avançons pas à pas au côté de celui qui a éperdument voulu retrouver la «magnificence du Simple».
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D'ouvrages en recherches, patiemment, Thomas Laqueur élabore une histoire culturelle de la sexualité, marquée par la disjonction des représentations sociales et morales d'avec les éventuelles découvertes médicales : le discours sur la sexualité, aussi libre qu'un jeu de l'esprit, ignore l'entrave des faits. Le cas de la masturbation vient à nouveau l'illustrer.
1712 : dans les bas-fonds littéraires de Londres, paraît une brochure anonyme. De l'habituel flot d'écrits pornographiques, rien ne la distingue. Sinon son titre, étrange, interminable, dérivé d'un épisode, mineur et interprété à contre-sens, de la Bible : Onanie ou L'odieux péché de pollution de soi-même, et toutes ses effroyables conséquences, considéré chez les deux sexes, accompagné de conseils spirituels et physiques à tous ceux qui se sont déjà blessés par cette abominable pratique.
Comment expliquer que ses thèses connaîtront, en moins d'un siècle, un succès mondial, traduites et relayées dans les principales langues, appuyées par les autorités théologiques de toute confession, promues au rang du mal social extrême sous la plume des plus grandes autorités pédagogiques, médicales, puis psychanalytiques ?
Il faut suivre Thomas Laqueur dans sa vaste enquête. Il perce d'abord l'identité de l'auteur, John Marten, chirurgien et charlatan. Il montre ensuite que, des Anciens aux Pères de l'Église, le plaisir en solitaire était condamné uniquement parce qu'il ne donne pas lieu à enfantement. Ce sont les Lumières qui font de l'onanisme un problème majeur. C'est l'époque où naît l'économie politique, qui pose que la satisfaction des plaisirs individuels, par le jeu du marché, permet à l'égoïsme forcené de chacun de contribuer au bien-être de tous et d'oeuvrer, par sa limitation, à l'émergence de la société. Or, de tous les plaisirs, le solitaire est le seul à ne connaître ni limite ni satisfaction sociale contribuant à l'enrichissement de tous. C'est aussi le temps du Contrat social, de la citoyenneté naissante, du rapport de l'individu à la société par les droits et les devoirs. Or la masturbation isole l'individu de toute socialisation, dans les fantaisies galopantes d'une imagination qui échappe à la logique politique. L'Occident va donc faire de cette pratique une menace majeure pour l'ère de l'individu.
Quitte à ce que, lorsque reflue la terreur de l'onanisme, celui-ci devienne chez certains contemporains la forme suprême et revendiquée du plaisir.
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De la solitude des origines humaines à la solitude autobiographique
Une bonne partie de l'oeuvre de Jean-Jacques Rousseau est consacrée à une tentatice de construction théorique d'une société regénérée par un politique nouveau. La constatation faite par le Genevoix de la corruption de ses contemporains, dûe à un mauvais usage du savoir et à l'inégalité criante des conditions, fruit de l'histoire malheureuse de l'humanité, va le pousser à repenser le politique. A partir d'une anthropologie philosophique radicalement anhistorique, il va développer les notions d'ordre et d'harmonie, qu'il trouve chez Leibniz et qu'il va adapter à son propos. Sa philosophie politique repose sur quelques principes apparemment simples : le contrat social, la volonté générale et l'unanimisme qui est son idéal, la figure du législateur, véritable organisateur de la cité et la religion civile tournée vers la réalisation des devoirs du citoyen. Cette religion civile trouve ses fondements théologiques dans la religion naturelle dont Rousseau établit la légitimité dans la Profession de foi du vicaire savoyard. Ces principes, par leurs côtés révolutionnaires, sont peu faits pour rassurer les monarchies, les pouvoirs en place et les Eglises. Rousseau s'attire les foudres des politiques et des différents clergés, qui ont compris le danger des théories de l'auteur de l'Emile. S'ensuit une série impressionnante de condamnations, d'objections et de mises au point. Les deux plus importantes attaques contre Rousseau seront celles de l'archevêque de Paris, Christophe de Beaumont et celle du procureur général de Genève, Jean-Robert Tronchin. A Christophe de Beaumont, il répondra en mettant à mal tant la théorie de la monarchie absolue de droit divin que le coeur même du christianisme : la notion de péché originel. Face à Jean-Robert Tronchin, dans les Lettres écrites de la Montagne, il montre que tout projet politique, aussi généreux soiil, finit toujours par sombrr dans le despotisme. Commence alors pour Rousseau la dernière période de sa vie, période de fuite et d'exil. Son projet politique, il s'en rend compte, est irréalisable. Cette idée, dans laquelle il avait mis tous ses espoirs, celle de la reprise de la notion d'harmonie et son passage de la sphère théologique à la sphère politique, est impossible à réaliser. Il restera désormais à Rousseau à trouver un bonheur paradoxal dans la solitude, une solitude dans laquelle il redécouvre la nature et Dieux, une solitude qui lui permet enfin, sur le plan individuel, de vivre en harmonie avec lui-même et la nature dans laquelle se montre la beauté du Créateur. C'est le but des écrits autobiographiques d'exposer cette unique possibilité du bonheur et de présenter au monde la figure du juste pourchassé, solitaire, mais heureux et la conscience en paix. Le trajet de Rousseau est donc celui d'un espoir politique qui s'abîme dans la désillusion mais aussi le trajet d'un homme qui, pour finir, trouvera une paix assumée dans la solitude et la certitude d'une harmonie basée sur la bonté de Dieu.
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L'artiste est une figure exemplaire de l'individuation psychique et collective, telle qu'un je n'est qu'au sein d'un nous, et telle qu'un nous est constitué à la fois par le potentiel sursaturé et tendu du fonds pré-individuel que suppose ce processus, et par des dia-chronies en quoi consistent les je à travers lesquels il se forme.
Ce processus est un flux lui-même constitué de tourbillons : les tourbillons sont des flux en spirales formant au sein du flux des contre-courants sans fin. Ces contre-courants reconduisent cependant au courant par leurs courbures singulières, et sont ainsi - à contre-courant - la réalité du courant dominant. Un artiste est un tourbillon d'un type particulier dans ce flux : il est investi d'une tâche dans la préparation du fonds pré-individuel des je et des nous à venir. Et, en même temps, il est un opérateur de trans-individuation du pré-individuel disponible : il crée des oeuvres, c'est-à-dire des artefacts, qui ont pour caractéristique d'ouvrir l'à-venir comme singularité de l'indéterminé par un accès au refoulé qui trame la puissance de ce qu'Aristote nommait l'âme noétique, et comme sa possibilité - qui n'est que par intermittences - de passer à l'acte. C'est un accès au sauvage.
Le sauvage, comme double tendance d'un fonds pulsionnel liable, est ce que le désir sublimé apprivoise mais ne domestique pas. Et le sauvage, non sublimé, retourne à sa pure sauvagerie. L'art, et l'esprit où il advient, sont les noms de cette sublimation, et ils sont aujourd'hui gravement menacés. Ce qui signifie que le sauvage brut est partout menaçant.
Ce livre présente le projet d'une organologie générale et d'une généalogie du sensible - en vue de penser ultimement la sauvagerie de notre temps. Il poursuit l'analyse qui a été avancée dans des ouvrages antérieurs de l'économie libidinale propre au capitalisme hyperindustriel, principalement à travers la question de l'art, comme liquidation de l'économie de la sublimation sous toutes ses formes.
Il s'agit de fourbir des armes : de faire d'un réseau de questions un arsenal de concepts, en vue de mener une lutte. Le combat à mener contre ce qui, dans le capitalisme, conduit à sa propre destruction, et à la nôtre avec lui, constitue une guerre esthétique. Elle-même s'inscrit dans une lutte contre un processus qui n'est rien de moins que la tentative de liquider la «valeur esprit», comme disait Valéry.
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Edition trilingue français-anglais-japonais
Tout au long de son grand traité d'athéologie, le Shôbôgenzô, Dôgen (1200-1253) enseigne la vision juste. Voir juste c'est voir en cessant de voir ce qui n'est pas, c'est s'éveiller à la vraie nature des choses. La vraie nature des choses, le coeur, est sans qui, ni quoi, sans quand, ni où, calme et apaisée, vide.
Mais l'éveil à est une manière de dire. L'éveil ne s'obtient pas. L'éveil et l'homme et le mouvement de l'un vers l'autre sont des hypostases; aucun n'existe en soi, indépendamment de l'autre. Dôgen met en exergue le syllogisme du maître chan Yunju Daoying (?-902): l'homme, tout homme sans exception, est déjà l'éveil; l'éveil est déjà l'homme; donc il n'y a pas à se soucier d'obtenir l'éveil. Cette voie sans trajet, de plain-pied avec l'éveil, s'appelle tout simplement ça.
Si c'est la pensée sans compromission de Nâgârjuna, le fondateur de la tradition du bouddhisme Mâdhyamaka, qui constitue l'ossature du Shôbôgenzô, c'est la patrologie chan de l'époque Tang qui fait office de matériau, un matériau souple et malléable, indispensable à l'expression de l'audacieuse méthode exégétique de son auteur. Les mots y sont considérés non pas comme sacrés, mais comme le filet qu'on jette après avoir attrapé sa proie.
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