Hier encore, le discours officiel opposait les vertus de la démocratie à l'horreur totalitaire, tandis que les révolutionnaires récusaient ses apparences au nom d'une démocratie réelle à venir. Ces temps sont révolus. Alors même que certains gouvernements s'emploient à exporter la démocratie par la force des armes, notre intelligentsia n'en finit pas de déceler, dans tous les aspects de la vie publique et privée, les symptômes funestes de l'«individualisme démocratique» et les ravages de l'«égalitarisme» détruisant les valeurs collectives, forgeant un nouveau totalitarisme et conduisant l'humanité au suicide.
Pour comprendre cette mutation idéologique, il ne suffit pas de l'inscrire dans le présent du gouvernement mondial de la richesse. Il faut remonter au scandale premier que représente le «gouvernement du peuple» et saisir les liens complexes entre démocratie, politique, république et représentation. À ce prix, il est possible de retrouver, derrière les tièdes amours d'hier et les déchaînements haineux d'aujourd'hui, la puissance subversive toujours neuve et toujours menacée de l'idée démocratique.
Présentation de l'éditeur
Henri Birault nous a quittés le 16 avril 1990, après quatre décennies d'une carrière universitaire exceptionnelle, principalement à Lille et à Paris. Il aura peu écrit, mais d'une écriture toujours sobre et minutieuse, qui frappe l'écart et trace de nouvelles délimitations, qui densifie et allège en même temps.
D'où l'importance que revêt la présente publication, ouvrage posthume donc et second ouvrage après L'Expérience de la pensée (1978). Car c'est le prodigieux travail de méditation et de commentaire commis à l'endroit de ses trois grands Lebe-Meister (maîtres de vie) et pour la cause desquels il s'est fait infatigable Lese-Meister (maître de lecture), qu'il rend accessible. Trois parties le structurent ainsi naturellement; la première est intitulée «Pascal: christianisme et philosophie»; la seconde, «Nietzsche: antichristianisme et philosophie»; la troisième, «Heidegger: ontothéologie et pensée de l'être».
Loin des arrogances de la tabula rasa, Henri Birault avait choisi la modestie du contrepoint, s'approvisionnait à la mesure du provisoire, répondait dans ce qui est simple, se rendant apte à la belle ironie. Le simple de la pensée, il l'éprouvait en méditant l'être, le temps et la mort.
Penser pour tenter de dire l'impensé de la pensée, de toute pensée. Ce fut sa quête. Il la voulait salutaire au risque de tous les périls, résolument non blasphématoire donc exposée, frontalement ouverte au monde défait de ses mensonges. Elle ne pouvait qu'être mystérieuse. Philippe Capelle
Seul l'Occident moderne s'est attaché à classer les êtres selon qu'ils relèvent des lois de la matière ou des aléas des conventions. L'anthropologie n'a pas encore pris la mesure de ce constat : dans la définition même de son objet - la diversité culturelle sur fond d'universalité naturelle -, elle perpétue une opposition dont les peuples qu'elle étudie ont fait l'économie.
Peut-on penser le monde sans distinguer la culture de la nature ? Philippe Descola propose ici une approche nouvelle des manières de répartir continuités et discontinuités entre l'homme et son environnement. Son enquête met en évidence quatre façons d'identifier les «existants» et de les regrouper à partir de traits communs qui se répondent d'un continent à l'autre : le totémisme, qui souligne la continuité matérielle et morale entre humains et non-humains ; l'analogisme, qui postule entre les éléments du monde un réseau de discontinuités structuré par des relations de correspondances ; l'animisme, qui prête aux non-humains l'intériorité des humains, mais les en différencie par le corps ; le naturalisme qui nous rattache au contraire aux non-humains par les continuités matérielles et nous en sépare par l'aptitude culturelle.
La cosmologie moderne est devenue une formule parmi d'autres. Car chaque mode d'identification autorise des configurations singulières qui redistribuent les existants dans des collectifs aux frontières bien différentes de celles que les sciences humaines nous ont rendues familières.
C'est à une recomposition radicale de ces sciences et à un réaménagement de leur domaine que ce livre invite, afin d'y inclure bien plus que l'homme, tous ces «corps associés» trop longtemps relégués dans une fonction d'entourage.
Présentation de l'éditeur
«Bienvenue dans le désert du réel»... C'est ainsi que Morpheus, dans le film Matrix, introduisait un Néo stupéfié à la «vraie réalité» d'un monde dévasté : un ground zero planétaire.
Slavoj Zizek se propose d'analyser les investissements pulsionnels et idéologiques qui ont façonné notre nouvel ordre mondial depuis l'effondrement des tours du World Trade Center, le 11 septembre 2001 à New York. La tâche critique consiste aujourd'hui à replacer l'«événement» dans le contexte des antagonismes du capitalisme mondial. Le vrai choc des civilisations pourrait, dans cette perspective, se révéler n'être qu'un choc à l'intérieur de chaque civilisation. L'alternative idéologique opposant l'univers libéral, démocratique et digitalisé, à une radicalité prétendument «islamiste» ne serait en définitive qu'une fausse opposition, masquant notre incapacité à percevoir les vrais enjeux politiques contemporains.
Le seul moyen de nous extraire de l'impasse nihiliste à laquelle nous réduit cette fausse alternative est une sortie de la démocratie libérale, de son idéologie multiculturaliste, tolérante et post-politique.
Philosophe, docteur en psychanalyse, Slavoj Zizek est notamment l'auteur de Essai sur Schelling : le reste qui n'éclôt jamais (L'Harmattan, 1997), Vous avez dit totalitarisme ? Cinq interventions sur les (més)usages d'une notion (Amsterdam, 2004), La Subjectivité à venir : essais critiques sur la voix obscène (Climats, 2004).
Présentation de l'éditeur
Exigence de justice sociale et aspirations de l'individualité sont-elles compatibles? C'est cette question de philosophie politique que développent ici trois sociologues, loin des propos catastrophistes concernant l'individualisme contemporain. Mais chacun le fait avec des orientations propres. Jacques lon se centre sur les engagements militants. François de Singly dessine un «socialisme individualiste» plus réformiste.
Et Philippe Corcuff une «social-démocratie libertaire» plus radicale. Ces synthèses font apparaître les avancées émancipatrices comme les difficultés générées par l'individualisme contemporain. De la consolidation de l'autonomie individuelle et de la place de l'intimité au mal-être identitaire. Ils en tirent alors des conséquences pour la réinvention, contre le néolibéralisme économique, d'une politique émancipatrice pour le XXIe siècle.
Présentation de l'éditeur
Rédigé entre 1953 et 1960, le présent essai montre qu'on ne peut réduire Corbin à un simple historien de la philosophie. Si les Macrobe de l'Antiquité tardive et les Pléthon de l'époque byzantine ont ponctué son oeuvre, ce fut pour aider à réactualiser le néoplatonisme au coeur de nos débats. Devenu orientaliste, Corbin dérangea plus qu'un antimoderne. Comme Sartre, il n'en appela ni à la Vérité ni à l'Absolu, et se saisit d'un discours particulier; mais ce discours, c'est en Iran qu'il est allé le chercher. Son livre prête en effet au néoplatonisme de ce pays une mission spirituelle faisant résonner le passé préislamique (l'Iran mazdéen) dans la gnose de l'École d'Ispahan (l'Iran shî'ite). Quand le paganisme se voit concilié avec le monothéisme, un tel dépassement permet, plutôt que brandir le concret contre l'abstrait, de s'ouvrir enfin au vrai. Loin d'être une métaphore, le vrai recouvre, pour Corbin, un événement à prendre à sa source. Là où l'on opposa à l'existentialisme un vain réenchantement du monde, la dialectique de ce livre, plus radicale et réaliste, invite à s'engager dans le monde imaginal. Le lecteur en découvrira une charte vive d'actualité.
Présentation de l'éditeur
Dans ce livre posthume, dont Nicole Loraux avait prévu la publication, la grande historienne s'interroge sur les représentations que la cité grecque veut donner d'elle-même. En particulier, elle analyse les discours liés à la dérangeante question de la guerre civile, la stásis.
Soulignant l'importance d'un bon usage de la psychanalyse en histoire, Nicole Loraux fait le voeu que les historiens, « mûris par l'expérience du temps le plus immédiatement présent, confrontés à l'évident échec des grilles explicatives unidimensionnelles face aux guerres civiles partout rallumées, enfin convaincus de l'urgence nécessité de faire dans l'histoire la part de l'affect, acceptent de travailler simultanément sur deux registres.
Que, sans renoncer à s'attacher aux coulisses de l'action, ils sachent écouter le discours des acteurs sur la scène. Pari difficile, à coup sûr... ».
Présentation de l'éditeur
Que devient le regard quand la lumière s'absente ? Que voit-on dans l'ombre ? Que voit-on de l'ombre ? Dans quelle mesure l'ombre affecte-t-elle la visibilité du monde et son intelligibilité ?
Puisant aux sources de la philosophie, de la mystique, de l'histoire de l'art, de la littérature et du cinéma, Max Milner explore les rapports complexes du clair et de l'obscur. De Platon à Diderot, du Caravage à Goya, de Virgile à Blanchot..., autant d'arrêts sur image propices à une réflexion sur la fascination qu'exerce l'ombre, autant d'incitations à faire contrepoids à la « surexposition » d'un monde où règne, souvent aux dépens de la vérité et de la profondeur, une tyrannie du visible. Rendre à l'image sa part d'ombre, scruter les voies qui conduisent de l'obscur à l'illimité et au transcendant, explorer les envers d'une réalité dont la face lumineuse ne contient pas tous les secrets, tel a été le but des penseurs et des artistes dont il est question dans ce livre.
Présentation de l'éditeur
C'est peut-être en inventant cet artefact inutile - le vêtement - que l'homme préhistorique a accédé à son humanité véritable. En effet, l'homme-bête était velu, et pour lui le vêtement ne répondait à nulle nécessité physiologique. C'est même par l'usage de ce second épiderme (protecteur, décoratif, ritualisé) qu'à la longue il est devenu ce 'singe glabre' toujours plus préoccupé de s'éloigner de l'animal qu'il se sait être, dont les fonctions excrétoires et les pulsions sexuelles n'ont de cesse de le rapprocher. Rapidement - aux alentours du Mésolithique -, l'homme découvre l'appropriation et le travail des peaux. Le vêtement prend forme et se fera, de millénaire en millénaire, de siècle en siècle, de décennie en décennie, puis de mode en mode, toujours plus complexe, raffiné ou imaginatif. C'est qu'il s'agit avant tout de jouer - essentiellement sur le corps féminin - avec ce qu'il y a lieu (selon les époques de liberté ou de régression des moeurs) de nier ou mettre en évidence, de désigner en le masquant, de souligner en le dérobant au regard - c'est-à-dire en le distinguant par une présence juste suggérée. Rezvani s'amuse ici à raconter - et à dessiner - ces multiples avatars du costume féminin, et la surprenante évolution des normes et des règles, de l'aube de l'humanité jusqu'à nos jours. Tantôt voilée, dévoilée, dépoitraillée, corsetée, baleinée, androgynisée, la femme serait donc réifiée par cette étrange variation des fantasmes qui aliène son corps en prétendant le magnifier - à moins qu'elle ne manipule consciemment les pouvoirs que lui confèrent toutes les attentes de la séduction ? En vérité, qui se joue de qui ? Telle est l'énigme que nous invite à considérer ce bref et brillant traité d'anthropologie du vêtement.
Présentation de l'éditeur
Le consensus ne signifie pas la pacification des esprits et des corps. Nouveau racisme et épurations ethniques, guerres humanitaires et guerre à la terreur sont au coeur des temps consensuels ; les fictions cinématographiques de la guerre totale et du mal radical ou les polémiques intellectuelles sur l'interprétation du génocide nazi figurent aussi en bonne place dans ce livre. Le consensus n'est pas la paix. Il est une carte des opérations de guerre, une topographie du visible, du pensable et du possible où loger guerre et paix.
Il est aussi un usage du temps qui lui confie mille tours : diagnostic incessant du présent et politiques de l'amnésie, adieux au passé, commémorations, devoir de mémoire, explications des raisons pour lesquelles le passé refuse de passer, répudiation des avenirs qui prétendaient chanter, exaltation du siècle nouveau et des utopies nouvelles.
Ces tours et détours vont vers un même but : montrer qu'il n'y a qu'une seule réalité à laquelle nous sommes tenus de consentir. Ce qui s'oppose à cette entreprise a un nom simple. Cela s'appelle la politique. Ces chroniques voudraient contribuer à rouvrir l'espace qui la rend pensable.
Présentation de l'éditeur