De l'influence de la révolution d'Amérique sur l'Europe

De l'influence de la révolution d'Amérique sur l'Europe
de Condorcet Jean Nicolas Antoine de Caritat Marquis
Ed. Manucius

Avec ce petit opuscule de 1786 intitulé De l'Influence de la Révolution d'Amérique sur l'Europe rédigé «par un habitant obscur de l'ancien Hémisphère», et signé d'un pseudonyme, Condorcet publie son premier grand texte politique.

Au moment où se déroule la révolution d'Amérique, de 1776 à 1787, l'auteur en vante les bienfaits, car à l'instar de la Constitution de Pennsylvanie, elle sacralise les droits naturels de l'homme. Condorcet y plaide pour l'abolition de l'esclavage, la liberté de la presse illimitée, la liberté de culte, la liberté du commerce et l'égalité naturelle.

L'Europe doit s'inspirer de la Déclaration d'Indépendance et devenir ainsi le phare universel de la rationalité scientifique et politique. Rédigé à la veille de la Révolution et de la Déclaration des Droits de l'Homme, cet ouvrage modifie profondément l'idée de l'Europe. Celle-ci sera moins un modèle qu'un projet, celui de l'alliance de la Raison et des droits naturels et sacrés de l'Homme dans un monde laïcisé et débarrassé des «préjugés» grâce aux Lumières. P.M.

 

Histoire du monde au XVe siècle

Histoire du monde au XVe siècle
Boucheron (dir.) Patrick
Ed. Fayard

Le XVe siècle est le temps de l'invention du monde. De Tamerlan à Magellan, depuis l'Asie centrale jusqu'à la capture de l'Amérique en 1492, s'accomplit une première mondialisation. Mais la geste de Christophe Colomb est tout sauf un événement fortuit : elle est précédée, et surtout rendue possible et pensable, par une dynamique globale et séculaire d'interconnexion des espaces, des temps et des savoirs du monde. Elle ne se laisse en rien circonscrire par ce que l'on appellera plus tard l'occidentalisation du monde : les marchands de l'océan Indien, les marins chinois de l'amiral Zheng He, mais aussi les conquérants turcs ont toute leur part dans cette histoire des devenirs possibles du monde, où rien n'est encore écrit.

Ni dictionnaire critique ni somme érudite, Histoire du monde au XVe siècle se veut un essai collectif davantage qu'une encyclopédie. Faisant alterner les chapitres de synthèse et les textes au ton plus libre éclairant un événement, un personnage ou une oeuvre, le livre se prête à la lecture au long cours comme au hasard du cabotage. Mais dans tous les cas, il s'agit bien de susciter des étonnements par rapprochement et d'éveiller des curiosités par le déplacement du regard.

Si l'accent est naturellement mis sur ce qui circule plutôt que sur ce qui cloisonne, s'inscrivant en cela dans les perspectives nouvelles d'une histoire globale attentive aux connexions des lieux et des temps, cette histoire du monde ne se réduit pas à une chronique de la mondialisation : il s'agit aussi de rendre compte des spécificités et des originalités des territoires du monde, des temps du monde, des écritures du monde, des devenirs du monde - ces quatre dimensions inspirant l'architecture d'ensemble du livre.

Les chuchoteurs. Vivre et survivre sous Staline

Les chuchoteurs. Vivre et survivre sous Staline
Figes Orlando
Ed. Denoël

Salué dès sa parution comme un chef-d'oeuvre alliant rigueur savante et souffle littéraire, Les Chuchoteurs nous invite à pénétrer, en suivant une mosaïque d'histoires personnelles, dans la vie et l'esprit des Soviétiques sous le stalinisme.

Dès la fin de la guerre civile, les bolcheviks victorieux s'attellent à la réalisation de leur utopie : l'avènement du communisme par l'abolition de la propriété privée et la construction d'un homme nouveau. Dès le départ, ce projet insensé repose sur la négation de ce qu'il y a de plus humain chez l'homme : son intimité.

En effet, comment la vie privée est-elle tout simplement possible dans des appartements communautaires où chacun se sait surveillé et épié ? Comment des émotions et des sentiments peuvent-ils garder la moindre force dans un néant moral comme celui qui caractérise la société soviétique, bâtie sur le mensonge et la soumission ? Comment survivre sans trahir, sans se trahir, dans un système où l'individu ne représente plus rien, sinon quelque chose à abattre ?

Mêlant magistralement la grande et la petite histoire, Orlando Figes tisse sous nos yeux la trame de cette fresque tragique. Ce sont les chuchoteurs, les victimes, toutes les victimes, qui prennent ici la parole, aussi bien celles qui ont succombé par millions que celles qui ont survécu en s'efforçant d'intérioriser les valeurs et les idéaux soviétiques, seul moyen de faire taire les doutes et les peurs.

« Un monument littéraire comparable à L'Archipel du Goulag et aux Récits de la Kolyma. » The New Statesman

« Un livre poignant, dont la lecture devrait être obligatoire en Russie. » Anthony Beevor

« Un livre extraordinaire. » The New York Times

La dernière révolution de Mao. Histoire de la Révolution culturelle, 1966-1976

La dernière révolution de Mao. Histoire de la Révolution culturelle, 1966-1976
Roderick MacFarquhar & Michael Schoenhals
Ed. Gallimard/NRF Essais

On ne saurait comprendre la volonté aujourd'hui de la Chine communiste de devenir une superpuissance capitaliste sans en remonter à la source, traumatique : la Révolution culturelle. Lancée en 1966 par Mao Zedong, cette « guerre civile générale » visait à défaire « les éléments de la bourgeoisie infiltrés dans le Parti, le gouvernement, l'armée et la culture ». Ceux-ci auraient travaillé à renverser la dictature du prolétariat, à l'instar de Khrouchtchev en URSS et de sa révision du stalinisme.

Mao incite à la rébellion tout particulièrement les lycéens, transformés en Gardes rouges. Élevée dans la violence répétée des campagnes de « luttes de classe », délivrée des freins familiaux et institutionnels, livrée à elle-même (« plus vous tuez de gens, plus vous êtes révolutionnaire »), la jeunesse instaure une première terreur contre des responsables de l'État et du Parti de 1966 à 1968. Mais en juillet 1968, Mao décide froidement de briser les activités révolutionnaires de la Garde rouge et d'endiguer l'effondrement de l'économie ; il ordonne à l'armée de procéder au démantèlement expéditif des organisations, il contraint près de douze millions de jeunes à renoncer aux études pour travailler aux champs ou dans les usines.

Le retour sanglant à l'ordre bureaucratique fit davantage de morts et de blessés que les agissements des Gardes rouges déchaînés en 1966-1967 ou les combats armés entre les « organisations de masse » rivales en 1967-1968. Il fut conduit par l'armée d'abord, puis par les nouvelles structures politiques qui remirent au pas les militaires grâce à la liquidation du maréchal Lin Biao en septembre 1971, quelques mois seulement après qu'il eut été proclamé le successeur de Mao. Cent millions de personnes ont été affectées par la Révolution culturelle, incluant les survivants estropiés à vie comme les familles dont l'existence a été simplement perturbée par les événements ; le nombre de victimes directes, tuées, suicidées, voire dévorées puisque les cas de cannibalisme furent nombreux, serait d'un million.

La dernière révolution lancée par Mao, afin de transformer les êtres, fut l'ultime tentative, par le refus de singer les étrangers (Occidentaux, puis Soviétiques), de perpétuer dans la modernité occidentale une essence proprement chinoise, rêvée depuis un siècle par les élites. La Révolution culturelle fut le baroud d'honneur du conservatisme chinois.

 

Essai pour une histoire des voix au dix-huitème siècle

Essai pour une histoire des voix au dix-huitème siècle
Farge Arlette
Ed. Bayard

Au XVIIIe siècle, l'oralité triomphe ; la voix et son timbre sont les moyens privilégiés de la population pour être au monde. La rue, les salons résonnent des conversations, badinages, disputes, annonces royales sur jeu de trompettes, paroles du pouvoir et de l'Église, chansons à un sol, musiques jouées à tout va. Ils contiennent aussi les cris, les gémissements, les voix du désarroi, de la folie, celles qui s'échappent des immeubles, des prisons et des hôpitaux. La société populaire est un immense champ sonore et vocal.

Toutes ces voix se sont enfuies à jamais pourtant elles sont la matrice de communautés n'ayant guère accès à l'écrit. Arlette Farge les recherche à travers les archives dans lesquelles ont été notés parfois les timbres de voix et les intonations des uns et des autres. Elle trace une ligne fragile, aux confins de la linguistique et de la musique, et parvient à nous faire entendre « ces voix démultipliées sans lesquelles nous ne sommes rien ».

« Écouter l'archive, ceux qui s'y expriment et ceux qui, à travers elle, sont parlés est une utopie mêlée à une exigence de recherche. C'est aussi une des formes du deuil inachevé que l'histoire porte en elle. »
Arlette Farge

Des Martiens au Sahara. Chroniques d'archéologie romantique

Des Martiens au Sahara. Chroniques d'archéologie romantique
Le Quéllec Jean-Loïc
Ed. Actes Sud

Des Martiens ont atterri au Sahara durant la préhistoire (la preuve : ils sont représentés sur les peintures du Tassili !), les hommes ont connu les dinosaures (on a des traces de pas qui le prouvent !), les géants bibliques ont réellement existé (on a retrouvé leurs squelettes !), l'arche de Noé et le jardin d'Eden ont été retrouvés en Turquie, les lignes de Nazca sont d'anciennes pistes d'atterrissage, les anciens Mayas utilisaient des crânes de cristal aux mystérieux pouvoirs...

Quel point commun entre ces différentes affirmations ? Elles sont toutes fausses ! Et pourtant, elles se prétendent scientifiques. Elles font le bonheur des amateurs (et éditeurs) d'archéologie-fiction. Quand elles ne s'appuient pas sur des manipulations, supercheries ou autres coups montés par des personnages peu scrupuleux, elles continuent de tenir pour acceptables des arguments pourtant démentis depuis belle lurette. Ou bien elles résultent au mieux d'une lecture naïve pratiquée sur des documents authentiques par des auteurs incompétents mais de bonne foi, au pire de mensonges montés en toute connaissance de cause par de véritables imposteurs. Toutes sont aussi très largement diffusées par des articles, livres et même revues spécialisées dans ce genre de littérature, et aussi par d'innombrables sites Internet et films documentaires. Mille théories délirantes font ainsi l'objet de livres qui deviennent souvent des best-sellers, alors que les thèses que défendent leurs auteurs sont réfutées depuis longtemps, souvent depuis le XIXe siècle ou le début du XXe.

Cet ouvrage fait le tour de quelques-uns de ces véritables « mythes scientifiques » modernes, afin de montrer comment ils se sont construits, d'examiner les données erronées sur lesquelles ils s'appuient et, le cas échéant, de dénoncer les présupposés politiques et raciaux qui les sous-tendent. Ce livre fait donc oeuvre utile en incitant le lecteur à davantage de vigilance.

 

L'ennemi de tous. Le pirate contre les nations

L'ennemi de tous. Le pirate contre les nations
Heller-Roazen Daniel
Ed. Seuil/La librairie du XXIe siècle

Au principe de ce livre, un fait juridique dans l'histoire de l'Occident : le pirate est le prototype de «l'ennemi de l'humanité».

Longtemps avant les droits de l'homme, les organisations humanitaires, la codification moderne du droit international, les hommes d'État de la Rome antique voyaient en lui L'Ennemi de tous. Comme le souligne Cicéron, il existe des adversaires avec lesquels un État de droit peut faire des guerres, signer des traités et, si les circonstances le permettent, cesser les hostilités. Ce sont les justes belligérants de l'autre camp qui, égaux des combattants de la puissance publique, peuvent prétendre à certains droits. Mais il y a aussi un autre type d'ennemi : un adversaire injuste, indigne de tels droits. C'est le pirate, que Cicéron appelle «l'ennemi commun à tous».

Daniel Heller-Roazen établit la généalogie de l'idée de piraterie, cernant les diverses conditions juridiques, politiques et philosophiques de sa conception. De la cité antique au monde contemporain, une continuité se constate : le pirate s'impose comme l'adversaire illégitime par excellence, un antagoniste indigne de tous ces droits que l'on accorde aux combattants reconnus. D'où le statut particulier que revêtent les opérations militaires menées contre de tels ennemis universels. Qu'elles visent des bandits ou des barbares, des partisans ou des terroristes, ces guerres ne respectent pas les règles d'affrontement politique et policier.

Ce livre permet de comprendre comment l'«ennemi de tous», souvent imaginé dans un lointain passé, est devenu une figure cruciale de notre présent.

Les guerres de religion. 1559-1629

Les guerres de religion. 1559-1629
Le Roux Nicolas
Ed. Belin

1559-1629 est une séquence historique particulièrement dramatique pour le royaume de France : le Roi Très-Chrétien, qui s'engage lors de son sacre à défendre l'Église et à exterminer les hérétiques, règne désormais sur un pays profondément divisé par la question religieuse. Les protestants constituent environ 10 % de la population française au début des années 1560. Les monarques sont de jeunes hommes incapables de gouverner par eux-mêmes ou des princes déconsidérés aux yeux de leurs sujets. En dépit des efforts de Catherine de Médicis et du chancelier Michel de L'Hospital, qui accordent aux protestants la liberté de culte, le royaume sombre dans un chaos sans précédent. Les exactions se multiplient, les batailles se succèdent et les massacres culminent en 1572, lors des « matines sanglantes », la Saint-Barthélemy. On assiste même, par deux fois, à cette forme inouïe de violence qu'est le régicide, avec l'assassinat d'Henri III en 1589 et celui d'Henri IV en 1610.

Grâce à l'édit de Nantes, les protestants finissent par bénéficier d'un régime de tolérance limitée, mais la religion de Calvin est désormais réduite à une petite minorité de fidèles dont le nombre ne cesse de décroître. Les troubles reprennent dans les années 1620, quand l'esprit de croisade souffle de nouveau, mais l'énergie de reconquête prend aussi d'autres formes, moins belliqueuses, et l'on assiste, au cours des premières décennies du XVIIe siècle, à un renouvellement remarquable des formes de la piété catholique.

Temps de crise sans précédent, les guerres de Religion constituent paradoxalement le creuset de la monarchie absolue d'Ancien Régime, qui se construit sur les ruines d'un royaume déchiré par l'intolérance. Il fallait que le pouvoir royal soit désormais investi d'une puissance transcendante incontestée capable d'assurer la stabilité de l'État par-delà les questions confessionnelles. Henri IV est ainsi parvenu à reconstituer l'unité du royaume autour de l'idéal d'obéissance à la figure royale, et son fils, Louis XIII, bénéficia de ses succès pour achever de créer une monarchie puissante capable de s'imposer sur la scène européenne.

C'est l'histoire de ces déchirures et de ces mutations que ce livre retrace.

Devenir prince. L'école du pouvoir en France. XVIIe-XVIIIe siècles

Devenir prince. L'école du pouvoir en France. XVIIe-XVIIIe siècles
Mormiche Pascale
Ed. CNRS

Quel enfant fut Louis XIV ? Quel élève fut Louis XV ? Que signifie « éduquer un prince » ? La royauté s'enseigne-t-elle ? Quelles vertus, quels savoirs transmettre dans un monde qui voit évoluer la conception du pouvoir ?

C'est cet aspect méconnu de la monarchie française que nous dévoile Pascale Mormiche avec l'éducation d'une quarantaine de princes, ces jeunes garçons qui, du XVIIe au XVIIIe siècle, étaient destinés à devenir de futurs rois ou des chefs de famille tels que les Conti, les Condé et les Orléans. De leur quatrième année chez les « femmes » à leur passage chez les « hommes » à sept ans jusqu'à l'âge du mariage, cette somme nous fait revivre leur apprentissage au quotidien.

Cet ouvrage comporte trois volets : l'étude du personnel, précepteurs ou gouverneurs qui ont la lourde tâche de façonner ce prince idéal, puis l'analyse des principes éducatifs et des moyens mis en oeuvre, avant de décrire la « fabrication » pratique d'un prince, tant sur le plan des vertus, des savoirs que dans sa manière d'être.

Une somme magistrale sur la formation des souverains, une plongée dans les coulisses de la monarchie. Où l'on découvre que, loin d'avoir été négligée, l'éducation des princes fut l'objet d'une méticulosité remarquable et constituait une véritable affaire d'Etat.

Le concert européen. Aux origines de l'Europe (1814-1914)

Le concert européen. Aux origines de l'Europe (1814-1914)
de Sédouy Jacques-Alain
Ed. Fayard

On a beau jeu de pointer les grands conflits militaires qui ont frappé l'Europe entre la défaite napoléonienne et la Première Guerre mondiale, mais on ne pense presque jamais à tous ceux qui ont été évités. On oublie que l'Europe n'a pas attendu le traité de Rome (1957) pour s'organiser. Si le système européen né en 1814-1815 fut au début dirigé contre la France, celle-ci a rapidement rejoint les quatre premiers garants de l'ordre international : Grande-Bretagne, Autriche, Prusse et Russie. Ce qu'on a appelé le « concert européen » devait ainsi fonctionner jusqu'en 1914, permettant à notre continent de se transformer profondément dans une paix relative, sans catastrophe majeure.

Se concerter, se réunir pour apaiser les tensions avant qu'elles ne dégénèrent devient une habitude pour les diplomates, les ministres et les souverains. Le XIXe siècle est ponctué de rencontres où les Européens apprennent à se parler (en français). Faire accepter des limites aux hégémonies, gérer les effets des mouvements révolutionnaires, contrôler au mieux (ou au moins mal) l'idée d'État-nation et l'aspiration à l'unité (Italie, Allemagne) ou à l'indépendance (Grèce, Bulgarie, Serbie, etc.), discipliner la compétition coloniale, définir un comportement face à l'effondrement de l'Empire ottoman. Voilà un bilan largement positif. Jusqu'à ce que le système s'enraye et qu'éclate l'affrontement généralisé.

Toute cette histoire trop oubliée, mais qui a des accents étonnamment modernes, méritait d'être racontée dans sa totalité sous la plume vivante et érudite d'un diplomate doublé d'un historien. C'est l'une des faces cachées du XIXe siècle qui est révélée ici.

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