Cavanna, trente ans après Les Ritals et Les Ruskoffs, nous offre un tableau réjouissant de souvenirs, réflexions et anecdotes. Avec toujours la même verve et la même insolence, il évoque la période du STO en Allemagne, l'aventure de Hara Kiri ou les atteintes de l'âge. Sans rien oublier de ses origines, il reste ouvert aux mouvements du monde. Une gouaille formidable anime le récit de sa jeunesse outre-Rhin et, loin de tout pathos, il sait rendre touchante et drôle la description des progrès de la maladie et des divers malheurs liés à l'âge. Quant à Hara Kiri et Charlie Hebdo, Cavanna en brosse un tableau qui aide à comprendre le caractère presque miraculeux - du moins à ses débuts - de cette aventure de presse. Beaucoup de tendresse, des coups de gueule bienvenus, d'innombrables anecdotes racontées avec la truculence et la causticité apprises chez Rabelais : voici l'oeuvre d'un écrivain amoureux de la vie et des plaisirs, mais aussi, et surtout, de la littérature.
Carvin, la trentaine, est ouvrier mécanicien dans une usine du Nord. Sa femme Chantal rêve de confort et de soleil. Ne supportant plus la dureté de leur vie ni les luttes quotidiennes, elle le quitte et emmène avec elle Océane, leur fille de quatre ans. Anath, la trentaine elle aussi, est DRH dans l'usine où travaille Carvin. Elle est mariée à un professeur d'université qui lentement s'éloigne d'elle, perdu dans les livres, l'alcool et d'inavouables secrets.
Rien ne semblait devoir rapprocher Carvin et Anath. Un monde les séparait. Mais quand l'usine est brutalement fermée par ses actionnaires américains, qui rayent de la carte presque 400 emplois, la tempête qui se lève unit leurs destins.
Les ouvriers s'insurgent, occupent le site, incendient le stock, les ateliers, les camions de ceux qui voulaient déménager les machines. La révolte se propage à une deuxième usine, puis à une troisième, portée par l'espoir que le pays tout entier s'embrase.
C'est au coeur du brasier qu'Anath et Carvin se découvrent. Contre toute attente, contre toute raison, c'est dans la lutte que naît leur amour. L'un et l'autre n'ont plus rien à perdre, mais une vie à gagner. Sont-ils fous, criminels, insensés ? Ont-ils une chance de triompher ? Qu'importe !
Dans la folie du temps présent, ils auront su dire non. Ils auront fait entendre leur voix.
Il a suffi de quatre Japonais dans un bar enfumé de Guangzhou pour activer chez le détective privé Zhu Wenguang - dit «Zuo Luo», ou encore «Zorro» - la lointaine mécanique des souvenirs.
De la belle Yatsunari Sesuko, qui a fini sa vie cloîtrée dans un temple bouddhiste, à la timide Zheng Leyun dont la famille fut massacrée pendant la Révolution culturelle, en passant par la délicieuse Yang Cuicui jadis maltraitée par son yakusa de mari, les destinées tragiques des trois femmes de sa vie se répondent, et le convoquent soudain.
Ce sera d'abord dans le Chinatown new-yorkais, puis dans l'extrême nord du Japon, aidé par une medium, un chien errant et une enfant perdue, qu'il devra tenter de démêler l'écheveau des souvenirs, au rythme lancinant d'un road movie existentiel bercé de contes traditionnels et de musiques chinoises.
Une vie poétique ? Disons une vie dont la poésie est le guide-fil. On embarque avec un héritage (des valeurs pieuses, un père mort, une enfance pluvieuse), avec un désir d'écriture, un rêve d'amour, et puis, son maigre bagage sur le dos, on traverse un territoire marqué par des événements, ici l'onde de choc de mai 68. Ce qui oblige à répondre à la question : qu'est-ce que l'époque m'a fait ? Elle m'a fait qu'à vingt ans, par exemple, il n'était pas envisageable de penser sérieusement à travailler - ce qui allait bien avec l'idée poétique - et encore moins honnêtement quand, dans les milieux marginaux qui quittaient la ville pour s'installer en communauté à la campagne, on vivait surtout de combines et de rapines. Elle m'a fait que, dans ce juste refus du règne de l'argent et des mirages consuméristes, il ne restait plus que les petits boulots pour survivre. Et que ce qui devait être une vie insouciante, libre et joyeuse se transformait, les années passant, d'une enquête sur un apéritif à la gentiane à la vente d'une encyclopédie médicale au porte-à-porte, en un sentiment de gâchis.
Un rire réfractaire pour prendre de la hauteur face à la pesanteur sociale, pour s'éloigner du moralisme, pour exprimer l'horreur de la guerre, pour se moquer du poids de l'argent, pour douter du mariage, pour résister à la prétention savante des savants. Roorda publiait des livres recueillant ses chroniques d'humour et d'humeur, distillées dans La Tribune et La Gazette de Lausanne, La Tribune de Genève, ainsi que des pièces de théâtre et des essais décalés. Cet écrivain singulier est célébré ici par un choix de citations, sous la forme d'aphorismes, pensées ébouriffantes, fulgurances, constatations loufoques, axiomes trop logiques pour ne pas être absurdes, réflexions sans génuflexions, méditations, arrière-pensées avant-gardistes, marottes, songes, fantaisies, sentences magnanimes, maximes minimales, points de vue imprenables et autres vues perçantes de l'esprit ...
Hélène et Billy se rencontrent. Elle est d'origine européenne, a une fille, il vient de Martinique, il est noir, a un groupe de reggae, vit en électron libre. Cela se passe simplement, ils s'installent ensemble, ont une fille, Clara. Puis un deuxième enfant, puis trois et quatre. Elle a arrêté de travailler, prend les rênes de l'appartement, s'embarque dans le bouddhisme. Il connaît des hauts et des bas professionnels. Les mois passent, l'entente s'érode, l'air de rien. Les petits les réunissent et les divisent. Parfois il disparaît, plusieurs jours, parfois elle le harcèle, pendant des heures. L'hostilité croissante entre un homme et une femme, la violence quotidienne entre un père et une mère, les manipulations et déchirements qu'éveillent les enfants, d'abord dans des disputes qui dégénèrent et dont ils sont témoins, puis dans un procès dont ils sont l'enjeu : la narratrice restitue ces scènes, tantôt de manière tendre, tantôt implacable. Quand ellemême partage la vie de Billy, elle l'accompagne pour voir les petits pendant les quelques heures de visite obtenues après des mois de lutte. Elle investit son récit avec un souci de véracité et de modernité saisissantes. L'écriture s'impose ici avec une émotion contenue et une clairvoyance remarquable : seul l'amour qui lie deux êtres ou qui s'attache à des enfants peut affronter l'existence, lorsqu'elle est devenue invivable. Il semble que, ces temps-ci, seul soit de mise un discours positif sur la puissance féminine, le côté sombre n'est jamais évoqué et l'utilisation par certaines femmes de leur pouvoir maternel tentaculaire n'est jamais souligné.
« Le clou qui dépasse rencontre souvent le marteau ». Human Tools est une entreprise internationale de services spécialisée dans la mise en place de procédures pour d’autres sociétés. Ou plutôt : Human Tools vend du vent très cher, très côté en Bourse et très discutable. Catherine, Rodolphe, Francis, Sonia, Marc, Laura travaillent pour Human Tools. Ils en sont les clous, ils valent des clous : employés non conformes, allergiques à la cravate ou aux talons hauts, trop intelligents, trop étranges, rêveurs ou aimables, trop eux-mêmes, simplement. Parce qu’ils cherchent à travailler bien, et non à cocher des cases pour statistiques, parce qu’ils souffrent de l’absence de reconnaissance, parce que la qualité totale les a rendus malades, ils sont inscrits par Frédéric, leur grand marteau, à un séminaire de remotivation dont ils ne connaissent pas la finalité réelle. Ils y seront poussés à rationnaliser leur temps, leurs corps, leurs émotions, leur espace du dedans. Ils cesseront peu à peu de penser et sentir, et ne s’en plaindront pas : d’autres attendent pour leur prendre la place et il y a le loyer à payer. Des Clous n’est pas un roman d’anticipation. Human Tools, ses pratiques, ses dirigeants, existent déjà : il n’y a qu’à observer. Jusqu’à quand ? Jusqu’à quand accepter que performances, objectifs, profits qui profitent toujours aux mêmes, puissent détruire ce qu’il y a de plus précieux en chacun ? Où trouver la force de dire : ce n’est pas acceptable ? Nos clous n’ont certes pas la réponse. Mais quelqu’un venu du dehors va les aider à écrire leur histoire, la jouer, la mettre à distance, à retrouver leur langue à eux, qui n’est pas le jargon américanisant de cette société où ils sont entrés sans réfléchir, à genoux, bégayant de gratitude pour le minuscule salaire qui justifierait leurs tâches discutables. Nos clous vont essayer de se redresser, même si le marteau est toujours là, pour la beauté du geste et pour leur survie. Nos clous vont avoir, à un moment, le choix. Liberté vertigineuse : qu’en feront-ils ?
Un gamin de treize ans, atteint d'une maladie rare qui lui donne l'aspect d'un petit vieux, est acheté par le directeur de la cantine d'une prison.
Une jeune fille, encore lycéenne, est convaincue de la culpabilité de son père, gardien d'un réservoir d'eau, dans la disparition de sa mère.
Une ancienne forgeronne ranime son fourneau pour fabriquer une chaîne de fer qui attachera son fils à un arbre.
Ces trois vies parallèles se déroulent simultanément, dans un même lieu : l'étrangement nommée île de la Noblesse. Un décor gigantesque, digne d'un film de science-fiction, où affluent les déchets et matériels électriques de tout un pays, la Chine moderne, l'atelier du monde.
Ces trois histoires, aux images brutales et fulgurantes, s'imposent par leur force poétique et leur paradoxale liberté.
« Treize heures donc. Treize heures de vol avant d'atteindre Buenos Aires. Ville inconnue, rejointe pour des raisons inexprimées. Je quittais. Mélange d'abandon et de découvertes, ouverture sur le mystère. Je suivais pas à pas l'ADN de cette liberté. Études terminées, métier délaissé, le temps était venu de disparaître. »
Au coeur de l'été argentin, Hôtel Argentina raconte l'itinéraire d'un jeune voyageur dans une famille divisée par les secrets. Rencontre avec un Buenos Aires moderne et envoûtant, le deuxième roman de Pierre Stasse est également un éloge du voyage et du souvenir.
'J'avais ouvert le cockpit, l'air marin montait jusqu'à mes narines, je fermai les yeux. Je voyais les autres, mes compagnons, ceux qui étaient morts avant moi, ceux qui avaient quitté leurs hautes écoles, leurs universités pour ceindre leur front du bandeau du kamikaze. J'entendais leurs voix, leurs rires, et maintenant ce silence. Je les revoyais sur une photographie prise avant leur départ. Casques d'aviateur, lunettes ramenées sur le front, aucun d'eux ne souriait. Ils allaient mourir. Ils le savaient. Certains semblaient farouchement déterminés, d'autres, songeurs, portaient encore sur leur visage la marque de l'enfance. Leurs fantômes me rejoignaient et me demandaient des comptes. Il fallait que je meure.'
Prix Première 2011