Laurel Shelton est vouée à une vie isolée avec son frère - revenu de la Première Guerre mondiale amputé d'une main -, dans la ferme héritée de leurs parents, au fond d'un vallon encaissé que les habitants de la ville considèrent comme maudit : rien n'y pousse et les malheurs s'y accumulent. Marquée par ce lieu, et par une tache de naissance qui oblitère sa beauté, la jeune femme est considérée par tous comme rien moins qu'une sorcière. Sa vie bascule lorsqu'elle rencontre au bord de la rivière un mystérieux inconnu, muet, qui joue divinement d'une flûte en argent. L'action va inexorablement glisser de l'émerveillement de la rencontre au drame, imputable exclusivement à l'ignorance et à la peur d'une population nourrie de préjugés et ébranlée par les échos de la guerre. La splendeur de la nature, le silence et la musique apportent un contrepoint sensible à l'intolérance, à la xénophobie et à un patriotisme buté qui tourne à la violence aveugle.
Après Le Monde à l'endroit (Seuil, 2012), Une terre d'ombre prolonge une réflexion engagée par l'auteur sur la folie guerrière des hommes, tout en développant pour la première fois dans son oeuvre romanesque une histoire d'amour tragique qui donne à ce récit poignant sa dimension universelle.
La Calle. C'est sur ce terrain pour caravanes, à Reno, que Rory Dawn Hendrix vit avec sa mère, barmaid au Truck Stop. Autant dire qu'elle n'a pas le profil de la scoute typique. Si elle se révèle étonnamment hardie, Rory Dawn demeure toutefois une petite fille vulnérable, qui doit sans cesse combattre les mauvais penchants de sa mère. Tout cela alors qu'elle-même, prodige en orthographe, n'aspire qu'à lire et à écrire...
C'est à partir des pages de son journal intime, de lettres de sa grand-mère, de souvenirs, de rapports d'assistantes sociales ou encore d'avis de la Cour suprême des États-Unis que Rory Dawn bricole un texte-collage magistral. Surgissent ainsi en filigrane les personnalités originales et tendres d'une famille décomposée à l'extrême, de même que les non-dits qui frappent une communauté rarement évoquée.
Les Carnets de guerre 1914-1918 constituent la face cachée d'Orages d'acier, qui, pour André Gide, était « incontestablement le plus beau livre de guerre » qu'il ait jamais lu. Écrits directement dans le feu de l'action, ces quinze petits carnets d'écolier nous révèlent la matière brute sur laquelle Jünger se livra, une fois la paix revenue, à un savant travail de réécriture.
Fort peu de témoins sont restés autant d'années que lui en première ligne des combats, sans jamais cesser de prendre des notes d'une acuité stupéfiante. Sept fois blessé, Jünger a pu relater avec une objectivité volontairement glaciale les souffrances du fantassin.
Ce témoignage sans fard d'un engagé volontaire de dix-neuf ans ne cache rien des horreurs de la guerre. Mais il ne dissimule pas non plus l'enthousiasme de départ, la joie de se battre et le délire meurtrier qui s'empare des hommes au moment de l'assaut. D'où l'incontestable intérêt historique et documentaire de ces carnets qui révèlent également des aspects inconnus de la personnalité complexe d'Ernst Jünger.
À dix ans, regardant un couple de mulets copuler, Nana a ses premières règles. À douze ans, son premier amant, aide-ouvrier d'un parc d'attractions, est puni de mort sous ses yeux. À quinze ans, elle séduit un jeune curé et le mène au suicide. Puis elle administre à son père une substance radioactive qui le fait « irradier », « rayonner », autrement dit accéder à « l'illumination »...
« Suit la relation des événements à cause desquels il faudrait brûler cette histoire sur un bûcher. À défaut de pouvoir brûler les protagonistes. »
Double exil est le second volet de la grande trilogie romanesque de Yannis Kiourtsakis dont la traduction du premier volume, Le Dicôlon, a été remarquée par la critique.
L’auteur revendique fermement d’avoir écrit un roman, en même temps qu’il ne nie pas sa dimension biographique. Le récit est rédigé à la troisième personne, sans masquer pour autant que le héros et l’auteur du livre précédent ne font qu’un.
Ce « dédoublement » est le signe sous lequel est placée la totalité de l’œuvre de Kiourtsakis : on se souvient que, dans Le Dicôlon, le centre de gravité de la narration était occupé par la relation complexe du narrateur avec son frère aîné dont le suicide était pour lui une énigme à élucider.
Dans Double exil, Yannis Kiourtsakis quitte la Grèce pour venir, comme son frère, étudier en Europe : il choisit Paris et la faculté de droit ; il y rencontre une Française, Gisèle, sa future épouse. Le roman les accompagne à travers les années sombres de la dictature des colonels (1967-1974), puis au temps des premières années du retour du pays à la démocratie, avec l’avènement de la République.
Si l’exil est double, pour le héros de ce livre, c’est qu’il se découvre deux patries – la France s’ajoutant à la Grèce – sans appartenir pleinement à l’une ni à l’autre.
Mais l’écriture opère chez le romancier une métamorphose qui, pour finir, fera de lui un écrivain grec trouvant dans les mythes populaires de son pays un moyen de se comprendre.
Comme à la fin de la Recherche, le héros entrevoit soudain ce que sera son futur livre.
Le premier roman de Sergueï Lebedev (né en 1981) se présente comme une enquête. Ayant survécu, enfant, à la morsure d’un chien grâce à une transfusion sanguine, le narrateur cherche à connaître l’identité de celui dont le sang coule désormais dans ses veines et dont la personnalité recèle un mystère. On apprendra que cet homme aveugle qu’il appelle l’Autre Grand-Père – désignation qui conjugue lien et altérité – était gardien d’un camp du Goulag et avait causé la mort de son propre fils, qu’il a cherché à « remplacer » en adoptant le narrateur et en allant jusqu’à se sacrifier pour lui.
La complexité de la figure de l’Autre Grand-Père ainsi qu’une écriture à la fois raffinée et dense, confèrent au livre de Lebedev une rare portée et profondeur. En effet, ayant grandi pendant la période de transition qui a suivi la Perestroïka et la chute du régime, Lebedev appartient à une génération héritière d’une mémoire historique « trouée » pour laquelle la violence politique – pourtant centrale dans la conscience collective des Russes – demeure fiction ou cauchemar.
La Limite de l’oubli est le premier roman d’un jeune auteur qui a su s’affranchir des limites imposées par l’effacement des années soviétiques. Il a mis au service de ce projet non seulement son talent littéraire, mais également son expérience de géologue qui l’avait conduit, à travers l’immensité de l’espace russe, vers les vestiges des camps et les paysages du Grand Nord, magistralement évoqué dans leur dimension à la fois mythique et politique.
Quand l’orphelin Vincenzo Chironi débarque en Sardaigne en 1943 à la recherche de ses origines, de la famille de son père, héros de la Grande Guerre, il ignore tout du destin qui l’attend. Pour son grand-père, le forgeron Michele Angelo, et sa tante Marianna, Vincenzo représente un nouvel espoir. Après tous les malheurs qui se sont abattus sur leur lignée, le cycle infini de la vie et de la mort, des amours et des haines, de la joie et de la douleur semble pouvoir reprendre. Et en effet Vincenzo devient une des personnalités du village de Nuoro; en recomposant son histoire personnelle, il va enfin commencer à vivre, se trouver, se construire. Quand ses yeux croisent ceux de Cecilia, il ne peut que tomber amoureux d’elle : un amour immense, mais interdit car Cecilia est déjà promise. Et pourtant. S’il est vrai que « la désobéissance appelle le châtiment », leur union ne sera que le dernier maillon d’une chaîne qui n’est pas encore prête à s’interrompre.
Dans la langue magnifique qui les décrit, les paysages sardes, âpres et lumineux, sont aussi vivants que les hommes qui les peuplent.
Né en 1961 en Sardaigne, Marcello Fois est profondément enraciné dans sa terre ; avec son immense talent de narrateur, il en célèbre les multiples facettes, tout en exprimant une nouvelle conscience nationale et civile, un nouveau sens de la mémoire et du rapport entre passé et présent. Ses romans sont traduits dans de nombreuses langues. C’est à toi a été finaliste des deux prix italiens les plus prestigieux, le Strega et le Campiello 2012.
Angelina Lanza Damiani (1879-1936), poétesse et prosatrice d'une vie intense et secrète, compte parmi les plus grandes voix de la Sicile du XXe siècle ; son exigence d'élégance et de discrétion, fondée sur une quête spirituelle profonde, s'associe dans ce livre à une délicatesse de perception et de description comme soyeuse.
«C'est ici le récit de tout un long été passé à des époques différentes dans une maison de la montagne sicilienne», écrit Emilio Bodrero, «de la fin d'un printemps au début d'un hiver. On arrive au petit village à dos de mulet, et pourtant tout un vaste monde, physique et moral, est renfermé dans ce peu d'horizon. Le paysage, avec sa vie, ses joies et ses tragédies, est décrit avec une sagesse si sobre et incisive que la plus parfaite évidence nous en est donnée. Les événements qui s'y déroulent sont racontés avec l'ampleur et la richesse d'une synthèse, sans la moindre présence indiscrète de l'auteur. Mais surtout, les types qui peuplent ce pays sont modelés comme les protagonistes d'un bas-relief grandiose : figures sculpturales d'une vie profonde, tout comme l'incendie d'une forêt, la fête d'un village, le sort des arbres - autant de drames où vibre une passion intense retenue par le sentiment presque immobile d'une donnée primitive. Chacun des trente chapitres de ce livre est une oeuvre d'art qui semble ne pas appartenir à la littérature en prose, mais à la peinture ou à la sculpture, à la musique ou à la poésie tout ensemble.»
Les «Dépêches du Vietnam» sont les derniers textes écrits par John Steinbeck et le récit de son ultime reportage de guerre. À 64 ans, l'écrivain ne se ménage pas : il vole à bord des hélicoptères Huey, sillonne le Delta en vedette rapide, patauge dans la boue des rizières, participe, émerveillé, aux missions de «Puff, le dragon magique», lourd avion mitrailleur qui crache de son flanc un «Niagara d'acier».
En réalité, l'écrivain de Salinas est bouleversé par cette guerre sans «front, ni arrières». Alors que la contestation gronde aux États-Unis, Steinbeck, le défenseur des faibles et des opprimés, «l'écrivain social» qui en son temps fut soupçonné d'être communiste, devient un belliciste, «désespéré que ces merveilleuses troupes n'apportent pas une victoire rapide».
Ces chroniques écrites par le prix Nobel de littérature entre décembre 1966 et avril 1967 pour le quotidien Newsday ont été rassemblées, au terme d'un formidable travail d'enquête, par Thomas E. Barden, universitaire américain qui fut lieutenant durant le conflit. L'introduction de son ouvrage, inédit en France, et son épilogue nous font comprendre de façon subtile pourquoi Steinbeck est devenu résolument partisan de l'intervention au Vietnam. Traduit et préfacé par Pierre Guglielmina, ce livre méritait, à plus d'un titre, de figurer dans la collection «Mémoires de guerre» des Belles Lettres.
Accueillie dans ce monde par une flopée d'injures, la petite Janie Ryan est vite projetée au milieu de cris, de fumées de cigarettes, de vapeurs d'alcool, mais aussi de beaucoup d'amour.
Dans une langue saisissante et originale, elle remonte à ses premiers jours pour nous raconter sa jeunesse écossaise, de centres d'accueil en HLM minables et autres bed and break-fasts douteux... Alcool, drogue, fins de mois difficiles et beaux-pères de passage : rien ne lui est épargné. Mais, toujours prête à en découdre, Janie se débat, portée par un humour féroce et la rage de se construire une vie correspondant à ses attentes.
Kerry Hudson réussit ici l'exploit d'être à la fois drôle et triste, tendre mais jamais larmoyante. Un premier roman ébouriffant, comme son héroïne.