Les développements de la logique et de la mathématique nous ont donné accès à une conception renouvelée du formel. Mais celui-ci se limite-t-il à la déduction ? Ou y a-t-il au contraire une portée proprement ontologique de la forme ? C'est du moins ce qu'a soutenu Edmund Husserl au tournant des XIXe et XXe siècles avec la notion d'ontologie formelle.
Cette ontologie formelle n'est cependant pas sortie toute armée de la tête du futur fondateur de la phénoménologie. Le présent ouvrage a pour but de montrer qu'un tel projet est un héritier de l'ontologie moderne comprise comme théorie de l'objet, mais également du problème des représentations sans objet et de celui des Gestalten dans la tradition philosophique brentanienne, ainsi que de l'émergence d'une nouvelle conception de la formalité dans la mathématique du XIXe siècle.
La rencontre de ces différents champs a donné naissance chez Husserl à une conception profondément originale de l'ontologie, qui nous enjoint de concevoir les relations qui structurent la réalité moins en termes de substance et d'accident qu'en termes de tout et de partie. La méréologie s'est vue ainsi dotée d'un rôle central au sein de l'ontologie, rôle qui est encore largement le sien dans la métaphysique analytique contemporaine.
Traditionnellement, la philosophie a pensé la connaissance de soi sur le mode problématique d'un sujet faisant de lui-même son propre objet de connaissance. Constatant l'impasse où mène cette approche contemplative de la connaissance de soi, Richard Moran propose de la repenser à partir de la responsabilité de la personne vis-à-vis de ses propres attitudes et de l'autorité de l'agent sur ses propres actions.
En abordant la connaissance de soi sous l'angle d'une psychologie morale, Autorité et aliénation la renouvelle en profondeur en mettant en évidence non seulement l'autorité de la première personne, mais aussi ses défaillances et ses limites. Faisant dialoguer la philosophie analytique et la philosophie continentale, de Wittgenstein à Sartre, Richard Moran montre que l'aliénation, comprise comme une forme d'étrangeté à soi (à ce qui, de nous, nous échappe), délimite, autant que l'autorité, les contours de la connaissance de soi.
Voici le premier livre de l'auteur de L'effort pour rendre l'autre fou. Harold Searles était alors un jeune psychiatre psychanalyste traitant des malades mentaux à Chesnut Lodge. Déjà, comme il le fut toujours, il était totalement engagé dans son travail thérapeutique. C'est pendant cette période que prit corps l'interrogation qui anime tout le livre : comment s'acquiert - et comment se perd - le sentiment d'identité personnelle, et d'abord celui d'être un être humain ?
Pour nous assurer de notre humanité, nous définissons le plus souvent tout ce qui n'est pas nous en termes purement négatifs : nous en faisons du « non humain ». Nous y englobons la nature, les animaux et parfois même nos semblables. Or, singulièrement chez les psychotiques, dont le sentiment d'identité est fragile, toujours menacé, cette bipartition ne tient plus. À l'angoisse panique de devenir non humain - une machine par exemple - répond leur désir de le devenir, de s'identifier à un paysage, à un arbre, à un chien...
Nul mieux que Searles ne sait rendre sensibles la proximité et l'étrangeté de la folie, ce que le délire porte à la fois de souffrance et de vérité.
Le présent volume, qui s’organise autour de l’interrogation sur les matériaux biographiques et historiques avec lesquels Walter Benjamin a façonné sa pensée, cherche à accomplir une reconstruction historique à laquelle viennent s’ajouter des lectures attentives aux formes de présentation qu’il a adoptées.
Cette enquête collective qui porte à la fois sur la grammaire historique et sur l’individualité de sa réinvention discursive, qui s’intéresse aussi bien aux sources de Benjamin qu’à son style, ne délaisse pas pour autant la fécondité théorique de l’oeuvre.
L’entrée en matière par les formes d’expression autobiographique qui permettent d’exploiter la tension entre ses dimensions philosophique et littéraire, est en cela stratégique : elle ouvre la voie à des réflexions très actuelles autour de la problématique de l’image, notamment sur son rôle dans le discours théorique, et sur l’ouverture de l’art à la théorie.
La progression qui part des traces de la vie vers l’étude des sources et des corrélations de l’oeuvre tend un arc qui cherche à se fermer pour décrire un cercle. Car l’entrée par le biographique nous renvoie sans cesse aux matériaux historiques avec lesquels Benjamin a façonné sa pensée dans un style inégalable. »
L'un des fondateurs du pragmatisme, John Dewey, souhaitait voir la philosophie, discipline à ses yeux essentiellement « critique » et expérimentale, se prolonger en une « éthique sociale » incluant toutes les sciences sociales concrètes concernées par les problèmes de la conduite humaine. Ce cycle de conférences, prononcées en 1935, dans l'Amérique du New Deal, illustre son programme : elles veulent faire comprendre au plus grand nombre les dangers, les contradictions et les limites du libéralisme contemporain, ainsi que les moyens de les surmonter.
Retraçant la généalogie intellectuelle du libéralisme américain, puis ses crises, ce livre s'achève sur un plaidoyer en faveur d'une démocratie libérale et progressiste, qui défend le droit à l'expérimentation de méthodes nouvelles et à l'intelligence collective, à travers de grandes missions d'éducation. Dewey se prononce avec une clairvoyance inégalée en faveur d'une inversion des priorités : remettre les hommes au coeur de la politique et de l'économie, pour préserver et renouveler la démocratie.
Comment expliquer qu’en Belgique, des « supers fraudeurs » s’en sortent en payant des sommes ridiculement basses par rapport au montant de leur fraude ? Alors que la ministre de la Justice Turtelboom veut faire des économies en limitant l’accès à la justice pour les plus défavorisés. Comment expliquer que les supers riches peuvent se racheter une vertu et éviter tout casier judiciaire ? Alors que de nombreux travailleurs n’ont pas suffisamment de ressources pour consulter un avocat. Est-ce un dysfonctionnement de la justice ? Y a-t-il une justice de classe en Belgique ? Comment expliquer le mécontentement d’une partie de la population face à l’institution judiciaire ? Quelles seraient des alternatives progressistes aux problèmes de la justice ?
Pour tenter d’y voir plus clair, Jan Fermon et Christian Panier ont répondu à nos questions. Il ne s’agit pas d’un programme, ni d’un cahier de revendications. Qu’il nous soit permis de croire que la force de ce livre consistera à participer au débat d’idées, et à mettre au jour des idées progressistes sur la justice.
L'expérience humaine est appréhendée par les concepts d'un monde, d'une culture. Aussi toute humanité est-elle particularisée par le monde auquel elle appartient. L'appartenance à un monde particulier - à une humanité particulière - exclurait-elle les signes sensibles d'une appartenance au monde de tous les hommes et à une humanité universelle ? Cet ouvrage étudie en quel sens notre humanité universelle peut être éprouvée - d'une part ressentie, d'autre part mise en péril. Les recherches présentées ici sont inspirées par Kant et Tocqueville mais aussi par divers auteurs de la phénoménologie. Elles prennent également appui sur une lecture d'oeuvres littéraires (Adolphe de Constant et Lucien Leuwen de Stendhal) et s'achèvent sur trois dialogues avec des auteurs contemporains (Cornelius Castoriadis, Marcel Gauchet et Claude Lefort).
Qu'appelle-t-on penser ? La pensée est-elle un acte ? Une action ? Pensée et conscience vont-elles de pair ? Toute pensée est-elle consciente ? Personnelle ? Subjective ? Immanente ? Le sujet de la pensée est-il psychique ou corporel ? Unique ou multiple ? Âme ou esprit ? Esprit ou corps ? Avec ce troisième tome commence, scandé par les interventions successives de l'Université (condamnations parisiennes de 1270 et 1277) et du Magistère (concile de Vienne, 1312, et de Latran V, 1513), la relation d'un débat de plus de cinq siècles sur l'aptitude de l'homme à revendiquer le statut de sujet-agent psychique. Tout gravitant autour d'Aristote et de Descartes, on monte vers ce dernier en historiens du Moyen Âge et descend vers lui en archéologues de la modernité - d'où l'image de l'escalier à double vis. La description heideggérienne du «moment» cartésien de l'invention de la subjectivité ne suffisant pas à décrire le passage à la modernité, dans la mesure où elle ne livre que l'histoire allemande, idéaliste, transcendantale, bref «kantienne» de l'invention du sujet, on s'attache à l'autre source de la modernité en psychologie et philosophie de l'esprit : empiriste, autrichienne (Brentano), mais aussi anglaise (Locke) et écossaise (Reid, Hamilton). L'Acte de penser comporte donc deux volumes. La Double révolution va d'Aristote à Reid, avec Averroès, Siger de Brabant, Thomas d'Aquin et Olivi. L'Empire du sujet revient au Moyen Âge à partir de la modernité.
«Il n'y a pas de livre là-dedans» disait en 1869 un critique de L'Éducation sentimentale. Les fictions emblématiques de la modernité littéraire détruisent ce qui faisait depuis Aristote le principe même de la fiction : l'enchaînement des actions selon la nécessité ou la vraisemblance. Or cette rationalité causale qui s'opposait à la simple succession des choses exprimait elle-même l'excellence de la forme de vie d'une catégorie privilégiée d'humains. En récusant cette structure de rationalité, la fiction nouvelle témoignait d'un bouleversement qui mettait à bas la hiérarchie des formes de vie. Mais elle récusait aussi un modèle de l'action et une image de la pensée. À travers Flaubert, Conrad, Virginia Woolf, Keats, Baudelaire et Büchner, ce livre étudie les formes et paradoxes de cette révolution de l'écriture qui est aussi une révolution dans la pensée et remet en cause certaines interprétations de la modernité littéraire, comme la réification lukacsienne, l'effet de réel de Barthes ou l'analyse benjaminienne du «poète lyrique à l'apogée du capitalisme»