Blanche et Marie

Blanche et Marie
Olov Enquist Per
Ed. Actes Sud
Date de publication : 01/01/2006

?Amor omnia vincit? ? l'amour triomphe de tout ?, c'est ce qu'elle avait écrit sur la couverture de la chemise marron qui contient les trois carnets ; au-dessus, en capitales plus vigoureuses, figure le titre, LIVRE DES QUESTIONS. Comme s'il s'agissait de tester deux attitudes : celle en haut de page, énergique, optimiste et absolument neutre, et celle en dessous, frêle, prudente et presque suppliante. Comme si elle avait voulu dire : voici le point de départ, je voudrais tant que ce soit ça, oh, si seulement ça pouvait être vrai.
L'amour triomphe de tout. Tout en sachant que c'est faux, mais quand même, on a un petit pincement au c?ur en lisant cela, oh, si ça pouvait être vrai, si seulement ça pouvait être vrai. Le ton très artificiel d'objectivité et de bienséance ne tient cependant pas jusqu'au bout. Un carnet jaune, un noir ? incomplet ou censuré ? et un rouge. A eux trois, un Livre des questions, qui parle de Blanche et Marie. Rien de plus.
A nous de nous en contenter.
L'amour triomphe de tout, hypothèse de travail ou douleur profondément enfouie.

Deux ans après que Marie Sklodowska Curie avait reçu son deuxième prix Nobel, celui de chimie, en 1911 ? alors que son amant, Paul Langevin, était en train de se réconcilier avec sa femme Jeanne, et d'instaurer, avec son accord, une relation sexuelle plus ou moins permanente avec sa secrétaire ?, elle subit une perte, attendue certes, mais néanmoins très éprouvante, quand un matin, dans son propre appartement, à Paris, on retrouva son amie Blanche Wittman morte.
Elle avait essayé de descendre du lit, pour rejoindre la caisse en bois montée sur roulettes. Elle n'avait pas réussi. Et elle était morte.
La cause du décès ne fut jamais établie, mais ceux qui vinrent chercher le corps remarquèrent sa taille dérisoire, et aussi que Marie Sklodowska Curie avait insisté pour coucher elle-même cette femme-tronc amputée dans son cercueil. Ensuite, en guise d'adieu, elle était restée assise sur une chaise à côté de la morte, une main posée sur le couvercle du cercueil, obligeant les porteurs à attendre une heure entière dans la pièce attenante. Elle n'avait pas cherché à expliquer son geste, elle n'avait fait que murmurer je resterai toujours à tes côtés.
Pour finir, on emporta le cercueil.
Dans l'unique nécrologie qui fut rédigée, la morte est qualifiée de ?phénomène légendaire, et l'on souligne son rôle de médium du professeur J. M. Charcot. Elle laissait trois carnets, dont on apprit l'existence vers la fin des années 1930 seulement, et qui ne furent jamais rendus publics dans leur entièreté.
Marie Curie omet de mentionner l'existence de Blanche dans ses mémoires, comme énormément d'autres choses.
Je ne l'en blâme pas.
Présentation de l'éditeur

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