Hymne

Hymne
Salvayre Lydie
Ed. Seuil

Le matin du 18 août 1969, à Woodstock, Jimi Hendrix joua un hymne américain d'une puissance quasiment insoutenable.

Parce qu'il avait du sang noir et du sang cherokee mélangé de sang blanc, parce qu'il était donc toute l'Amérique, parce que la guerre au Vietnam soulevait en lui un violent mouvement de refus que toute une jeunesse partageait, parce que sa guitare était sa lady électrique, sa passion, sa maison, sa faim, sa force et qu'il en jouait avec génie, Jimi Hendrix fit de cette interprétation un événement.

Revenant sur ce moment inoubliable, Lydie Salvayre tire les fils de la biographie pour réécrire la légende de Jimi, sa beauté, sa démesure, mais aussi sa part sombre, ses failles et la brutalité du système dont il était captif et qui finirait un jour par le briser.

Rue Darwin

Rue Darwin
Sansal Boualem
Ed. Gallimard

« Je l'ai entendu comme un appel de l'au-delà : 'Va, retourne à la rue Darwin.'
J'en ai eu la chair de poule.
Jamais, au grand jamais, je n'avais envisagé une seule seconde de retourner un jour dans cette pauvre ruelle où s'était déroulée mon enfance. »
Après la mort de sa mère, Yazid, le narrateur, décide de retourner rue Darwin dans le quartier Belcourt, à Alger. « Le temps de déterrer les morts et de les regarder en face » est venu.
Une figure domine cette histoire : celle de Lalla Sadia, dite Djéda, toute-puissante grand-mère installée dans son fief villageois, dont la fortune immense s'est bâtie à partir du florissant bordel jouxtant la maison familiale. C'est là que Yazid a été élevé, avant de partir pour Alger. L'histoire de cette famille hors norme traverse la grande histoire tourmentée de l'Algérie, des années cinquante à aujourd'hui.

Encore une fois, Boualem Sansal nous emporte dans un récit truculent et rageur dont les héros sont les Algériens, déchirés entre leur patrie et une France avec qui les comptes n'ont toujours pas été soldés. Il parvient à introduire tendresse et humour jusque dans la description de la corruption, du grouillement de la misère, de la tristesse qui s'étend… Rue Darwin est le récit d'une douleur identitaire, génératrice du chaos politique et social dont l'Algérie peine à sortir.

Un avenir

Un avenir
Bizot Véronique
Ed. Actes Sud

Paul reçoit une lettre de son frère Odd qui lui annonce qu'il « disparaît pour un temps indéterminé » et lui demande en post-scriptum s'il peut passer chez lui pour vérifier que le robinet d'un lavabo du deuxième étage de la maison familiale a bien été purgé. Malgré un « rhume colossal », Paul prend sa voiture et parcourt les trois cents kilomètres qui le séparent dudit robinet.

Un avenir est une histoire de famille, une cascade narrative, un engrenage existentiel qui, sur une intrigue faussement fluette, nous entraîne d'un triplex monégasque (où l'art animalier fait bon ménage avec le cours de l'acier) à la jungle malaise sans quitter le vieux canapé de la bibliothèque familiale - ou presque. Mais c'est aussi un road-trip en tracteur, une balade aux abords inquiets de l'enfance, une épique séance de natation, un caprice écossais, une vue en coupe de la neurasthénie masculine - entre autres.

Véronique Bizot déploie un style irrésistible, miracles de phrases en fugue jamais alourdies par leur insondable richesse. Son univers est singulier, unique, joyeusement déroutant : la noirceur y est délicieuse parce que toujours saturée d'incongruité drolatique, de lucidité étonnée, de souriant désarroi et de métaphysique légèrement récalcitrante.

La zonzon

La zonzon
Guyard Alain
Ed. Dilettante

« Et voilà comment j'étais en train de monter la seule école française de philosophie qui ne recrutait pas des pisse-froid de normaliens ou des agrégés de mes deux, mais de solides castagneurs, des videurs de boîtes à putes et des maquereaux de la Côte d'Azur. La faculté n'avait qu'à bien se tenir... Tremblez, rédacteurs de Philo Magazine et petits philosophes branleurs qui se la pètent anars et posent en rebelles en lisant du Onfray... L'hallali de la philosophie confisquée par les bourgeois a sonné !... Bientôt vont débouler sur les champs de course du concept des lascars sans foi ni loi, citant Stirner, Paul Lafargue et Georges Sorel !... »

Un été sur le Magnifique

Un été sur le Magnifique
Pluyette Patrice
Ed. Seuil

Tout le monde est d'accord pour dire qu'Hercule est beau, jeune, grand, fort, courageux. Comme fermier, il déborde de vie et d'énergie. Comme amant aussi : quand il rencontre Angélique, tout de suite la chaleur monte. Elle va même finir par brûler grâce à l'aimable contribution de Patricia, une star du X qui débarque de Californie. Les sens se dérèglent, le délire s'accélère. Mais la course au bonheur justifie de nouveaux plaisirs toujours plus fous.

Son corps extrême

Son corps extrême
Detambel Régine
Ed. Actes Sud

Gravement ébranlée dans sa chair par un accident de voiture peut-être suicidaire, Alice, bientôt cinquante ans, gît sur un lit d'hôpital, désamarrée du monde et de sa propre histoire mais bien loin du pays des merveilles. Aux prises avec les folles et microscopiques mutations à l'oeuvre dans son corps détruit, elle va, pendant deux ans, traverser l'expérience impitoyable de la cicatrisation, de la musculation, de la rééducation, de la reconstruction, luttant nuit après nuit pour reprendre possession du langage perdu, « jusqu'à ce que de la vie s'accumule dans un coin ». C'est auprès d'un autre patient - car qui d'autre sinon ? - qu'elle trouvera l'envie de se relever, sous son regard qu'elle réapprendra à marcher, et grâce à leurs conversations qu'elle pourra faire resurgir, pour l'expulser enfin, la catastrophe inaugurale.

Convoquant l'absurde et profane mystère de toute incarnation, Régine Detambel, à travers la trajectoire médicalisée d'un être renaissant de ses cendres dans un corps renégocié, cartographie avec une autorité inspirée le fascinant territoire de notre mortalité. Avec ce stupéfiant voyage au coeur du tyrannique chantier organique dont tout hôpital est le théâtre, elle propose un roman puissamment initiatique sur la sculpture du vivant et sur les séductions qu'il arrive à la mort et à la maladie d'exercer quand l'existence et l'insupportable douleur d'être né requièrent d'instaurer un rapport inédit à soi-même et à la vérité.

Nestor rend les armes

Nestor rend les armes
Dupont-Monod Clara
Ed. Sabine Wespieser

« Lui, c'était un homme d'excès. Un homme qui n'avait pas peur des outrances, prêt à vivre avec un corps et une mémoire démesurés. Il mangeait trop, dormait en criant, ne passait pas les portes et ne faisait aucun effort pour se lier. » C. D.-M.

Clara Dupont-Monod, avec ce nouveau portrait d'un être des marges, poursuit une œuvre forte et singulière. Nestor est obèse. De cet homme désigné au regard des autres comme un monstre, elle tente, avec une paradoxale économie de mots, de saisir le mystère.
Au fil des pages, et comme à l'insu du lecteur, le gros père prend la dimension d'un être humain riche de son histoire. Celui dont le seul horizon est la photo d'un phare du bout du monde devient sous nos yeux un personnage : argentin, arrivé en France pendant la dictature, il y a retrouvé une jeune femme qu'il a épousée et avec qui la vie était douce. Jusqu'au drame qui inexorablement les a éloignés l'un de l'autre, au point qu'il finisse enfermé dans la rassurante forteresse de sa propre chair.
À force de patience et de tendresse, une jeune femme médecin parviendra peut-être à conjuguer sa propre solitude à celle de ce patient peu ordinaire. La langue riche et précise de Clara Dupont-Monod agit comme un charme puissant pour suggérer l'indéfinissable attachement qui naît entre ces deux-là.
L'écrivain se garde bien de conclure : trois issues s'offrent au lecteur, comme s'il était impossible qu'une histoire aussi improbable et bouleversante finisse mal.

Messie malgré tout !

Messie malgré tout !
Berenboom Alain
Ed. Genèse

Ça y est ! Après trois mille ans d’attente, le Messie arrive – enfin ! – en ce début du XXIe siècle. Conformément à la promesse de la Bible, c’est un vieil homme à la barbe en broussailles, juché sur un âne fatigué qui vient annoncer l’avènement de la paix universelle, la fin des tragédies humaines. Mais, surprise (pour lui), au lieu d’être accueilli dans la liesse, son message ne rencontre que l’indifférence générale. Pas moyen même d’intéresser un journaliste et de transmettre son message au monde.

En dix étapes, de Buenos Aires à Bonn, d’Odessa (Ohio) à Odessa (Ukraine), Bruxelles ou Venise, le Messie parcourt le monde, désespérant qu’on l’écoute, jusqu’au moment où il arrive à Jérusalem. Et là, …

Sous une apparente légèreté, qui mêle situations burlesques, propos désopilants et une jolie galerie de personnages, sourde un implacable réquisitoire sur le manque d’idéal, la lâcheté des compromissions et l’absence d’éthique de notre société moderne. Le fou rire qui se cogne à l’inquiétude n’est pas sans rappeler le meilleur de la comédie italienne.

Karen et moi

Karen et moi
Skowronek Nathalie
Ed. Arléa

C'est d'abord l'histoire d'une rencontre, que seule la littérature rend possible, entre un écrivain magnifique, Karen Blixen, et une petite fille de onze ans qui lit La Ferme africaine sous une tente. Le temps passant, la petite fille solitaire est devenue une jeune femme qui entreprend d'écrire la biographie de celle qui l'accompagne depuis toujours. Plus elle s'enfonce dans son récit et plus elle découvre que la Karen de ses rêves - qui étouffe dans les salons danois, embarque pour l'Afrique avec Bror, son mari, se consume d'amour pour Denys, puis revient, dix-sept ans plus tard, à la maison familiale de Rungstedlund, seule et brisée - la renvoie à sa propre existence et à ses aspirations enfouies.

Commence alors un long chemin intérieur, où le sentiment d'étrangeté au monde, les souvenirs douloureux et les désirs contenus sous les apparences d'une vie rangée sont autant de liens secrets qui réunissent les deux femmes. Karen et moi, ou comment se sauver par l'écriture.

Sollicciano

Sollicciano
Thobois Ingrid
Ed. Zulma

Un secret en forme de lacune entoure les agissements de Norma-Jean, incandescente quinquagénaire glamour en diable. L'étrange relation en miroir avec son mari, autrefois son psychanalyste, et cette fascination pour un ancien élève qu'elle visite chaque jeudi à la prison de Sollicciano, en Toscane, alimentent un mystère qui s'amplifie dans une époustouflante progression dramatique.

Par ce remarquable roman de la folie et des abîmes de l'inconscient, tissé de retournements, dédoublements et manipulations, Ingrid Thobois révèle un art accompli du suspense psychologique. Développant un sens à la fois délectable et cruel du détail, elle nous offre un portrait inoubliable de femme aux prises avec ses transferts, c'est-à-dire avec les périlleuses illusions de l'amour.

À lire ce très cinématographique roman puzzle, on songe aux chefs-d'oeuvre d'Hitchcock et de Mankiewicz.

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