La Hague... Ici on dit que le vent est parfois tellement fort qu'il arrache les ailes des papillons. Sur ce bout du monde en pointe du Cotentin vit une poignée d'hommes. C'est sur cette terre âpre que la narratrice est venue se réfugier depuis l'automne. Employée par le Centre ornithologique, elle arpente les landes, observe les falaises et leurs oiseaux migrateurs. La première fois qu'elle voit Lambert, c'est un jour de grande tempête. Sur la plage dévastée, la vieille Nan, que tout le monde craint et dit à moitié folle, croit reconnaître en lui le visage d'un certain Michel. D'autres, au village, ont pour lui des regards étranges. Comme Lili, au comptoir de son bar, ou son père, l'ancien gardien de phare. Une photo disparaît, de vieux jouets réapparaissent. L'histoire de Lambert intrigue la narratrice et l'homme l'attire. En veut-il à la mer ou bien aux hommes ? Dans les lamentations obsédantes du vent, chacun semble avoir quelque chose à taire.
Roman mosaïque, Constellation raconte l'Europe d'aujourd'hui à travers les destinées d'un petit groupe de personnages évoluant dans les sphères du pouvoir. Entre France, Allemagne et Bénélux, ils forment comme un archipel de voix singulières, s'interpellant et se prenant à partie d'une capitale à l'autre. Tel un duo franco-allemand déréglé, Emanuel T et Stein sont l'oeil de ce cyclone transfrontalier, en discorde avec Carla et Isabel M, femmes de tête rivales, comme avec Subor, l'homme de réseau pragmatique, Frau, l'ambigu ou Neuman, le vieux maître tutélaire...
Vivant dans une tension constante à l'extraterritorialité, chacun est travaillé par la question du supranational : ainsi en va-t-il d'un jeu d'alliances stratégiques aussi bien qu'érotiques. Qui est donc cette jeune interprète - figure quasi mythique et irréelle - qui hante Emanuel T et Stein au point de personnifier leur fantasme à la fois intime et politique ?
Ouvrage résolument singulier, Constellation esquisse une vue en coupe des milieux politiques européens à la manoeuvre en osant une fiction incarnée - le concert des nations, c'est vivant, sexuel, pulsionnel. Et montre la mutation à l'oeuvre depuis cinquante ans.
Des voix donc. Des voix qui creusent de la manière la plus directe et la plus simple la saisie du monde un temps offert à sa profération possible. Alors seulement, voix du dehors (de la ville qui pénètre ici, et qui écrit), voix du dedans (de la langue qui lui répond). Que cette ville, cette époque-là, ce monde qui eut un nom, et qu'on écrit dans son oubli, qu'on écrit dans sa perte, que cette ville et ce monde demeurent, est la seule chose dont nous puissions témoigner.
Un homme observe, songe et se souvient. Pour lui, la vie est un livre que l'on feuillette et dont on souligne ici et là une ou deux phrases. On les note, fier de sa trouvaille, puis on les égare. Il avance ainsi, d'illumination en illumination, d'oubli en oubli. Dans un parc zoologique, au bord d'un lac de montagne, dans une grotte peinte, Joseph Bing, c'est son nom, concentre et distrait tour à tour son esprit. Plus qu'un goût des symboles, c'est un verger de sensations bariolées et harmonieuses qui l'environne.
Au détour de conversations anodines et profondes avec sa fille et son cousin Henri, retrouvé après de longues années de séparation dans la petite station lacustre de Martebelle, c'est le visage caché de la réalité qui vient au jour l'espace de quelques instants, avant de se couvrir à nouveau du voile de l'insaisissable.
1933-1934... Après le désastre de la Grande Guerre, un crépuscule tragique s'annonce, dont peu anticipent les menaces... Vingt ans ont passé depuis Dans la main du diable et Camille Galay, la petite Millie d'alors, débarquée de New York, erre dans Paris, la ville de son enfance, hantée par la mort de son ami Jos, un photographe hongrois qu'elle a suivi jusqu'en Alabama, et à qui elle a promis de rapporter à Budapest un certain étui de cuir rouge...
De toute l'Europe convergent des personnages qui s'ignorent encore, bientôt emportés, sous le double sceau de l'amour et du crime, dans une même aventure qui a pour théâtre les villes modernes, sur les murs desquelles revenants et spectres projettent leurs ombres fantastiques. Dans les chancelleries, dans les gares aussi bien que dans les plus luxueux palaces, au bord du lac de Constance ou de Genève, en Toscane, dans un immeuble ouvrier de Berlin, dans une maison abandonnée des Fagnes de Belgique, jusque dans le grenier de la demeure ancestrale du Mesnil, dans ses bois d'automne, c'est une chasse à l'homme qui s'engage.
Car il y a un petit bureau des morts dans l'horreur de la guerre, où chacun a rendez-vous avec soi, avec l'Histoire. Il y a un pont à traverser pour affronter les fantômes du passé, et ceux du présent, pour apprendre que fictions du réel et cauchemars ont une réalité, dont chacun doit être témoin. Enfants des ténèbres, les monstres n'ont peut-être pour visage que celui du plus familier, du plus anonyme des êtres...
Après Dans la main du diable, Anne-Marie Garat poursuit, avec L'Enfant des ténèbres, une ambitieuse traversée du siècle, confrontant tourments individuels et destinées sentimentales à la rémanence du Mal, dont elle questionne l'inscription dans le temps long de l'Histoire.
Détachés du monde qui les entoure, Colin et Estella semblent vivre sous l'emprise des fragments perdus de leur enfance.
Dans un Paris assombri par une pluie noire et apocalyptique, ils se frôlent ou s'évitent. Tandis que Colin se livre à un trafic de narcotiques, Estella mène un inquiétant jeu de piste autour de son père disparu, John Volstead. Auteur d'une oeuvre mythique, Les Narcissiques anonymes, Volstead passait ses journées à déambuler en peignoir blanc dans le sous-sol de sa maison tapissée de livres.
Comme, avant eux, André Breton, Gérard de Nerval ou Villiers de l'Isle-Adam, les deux jeunes gens dérivent dans un monde nocturne peuplé de signes que le destin semble leur adresser.
Quelques précisions. Ce texte a été écrit en 2002, alors que je menais des recherches en vue d'un autre livre, depuis publié. Il est né de la rencontre entre les thèses d'un chercheur allemand brillant et insaisissable - Theweleit - et un texte d'un fasciste belge où celui-ci, par le jeu des images et de la langue, laisse lire la structure même de sa pensée. Le fait qu'il écrivait en français m'a permis de tenter une analyse plus approfondie de certaines intuitions ; de mener une vérification expérimentale d'une certaine théorie du fascisme, celle proposée par Klaus Theweleit. Celle-ci, on pourra le voir, porte sa part de vérité, comme la portent d'autres lignes de pensée que j'ai pu explorer par ailleurs, avenues, défrichages, culs-de-sacs, ou brusques plongées dans le noir que cette théorie croise sans jamais les recouper. Car l'objet est tel que quelle que soit la rigueur avec laquelle on le cerne, toujours par un autre côté il échappe ; toujours ses profondeurs, mises à nu, se doubleront d'autres profondeurs insoupçonnées, et repliées sur elles-mêmes, parfois, pour ne former qu'une surface lisse, morne, banale, mais toujours prête à de nouveau crever sous les pieds de celui qui s'y aventure. J.L.
Dix beaux jeunes gens s'isolent en Toscane, sur les hauteurs de Florence, et se racontent des histoires (de sexe, bien entendu). S'agit-il du Decaméron, que Boccace situait pendant la grande peste de 1348 ? Non, nous sommes autour de l'an 2000 à la Villa Malin et nos amis, pensionnaires du hasard, orphelins privés de catastrophe, jouissent du bel été italien sans rien faire... Mais ce « rien » est-il matière à écrire ?
Nos petites histoires navrantes ont-elles un lien avec l'autre histoire ? Plaisir simple du livre de l'été : la paresse de nos vacances s'y double d'un vrai roman d'aventures avec complots, masques, combats au sabre ou au pistolet, galopades et gaillardises bien troussées. Au bordel sous Napoléon Ier, un duo saphique, Coralie et Delphine, charme deux clients qui ont le même nom : Fourier et Fourier. Charles et Joseph inventent la même chose : des « séries ». Des séries mathématiques pour Joseph, pionnier de la physique moderne et des statistiques ; des « séries passionnées » pour Charles, l'utopiste de la liberté sexuelle ; des séries de séries qui exaltent « la propagation de la chaleur », sexes en rut, fûts de canon,
De l'amour à la guerre, entre France et Italie, l'ironie cruelle de l'Histoire modifie les lois de l'attraction magnétique : les aimants se repoussent au lieu de s'attirer. De nos jours, les « séries » ne sont que télévisées. Fade ou grotesque, la comédie du savoir et de l'art ne cultive plus que notre mélancolie. Néanmoins, polarisés ensemble, Bien-pensants et Mal-aimants, en avance ou en retard d'un siècle ou d'une génération sur le Grand Soir de l'amour libre, croient toujours au Paradis.
Elle, c'est la Mère, la Mère Nourricière. Et eux, ses enfants. Elle en a six cents, sans compter ceux qui sont partis. Ouvriers, ingénieurs, travailleurs ardents. Plus ou moins beaux, plus ou moins doués, comme tous les enfants d'une même portée. On l'appelle la Mère SINOC : Société Industrielle Nautique d'Objets Culbuto. Elle fabrique des ustensiles de plaisance qui ont la particularité de ne jamais se renverser en mer, même en cas de tempête.
La Mère SINOC fait vivre toute la ville. Ses enfants lui doivent tout. Elle leur a tout donne. Du même coup, elle ne leur pardonne rien. C'est ainsi : même avec eux, il lui arrive d'être arbitraire et injuste.
C'est probablement le danger des familles trop nombreuses...
Ce roman musical, écrit par Arnaud Cathrine et Florent Marchet, se décline en dix-neuf tableaux et autant de chansons.
Les narrateurs sont deux frères nés de mère algérienne et de père allemand. Ils ont été élevés par un vieil oncle immigré dans une cité de la banlieue parisienne, tandis que leurs parents restaient dans leur village d'Aïn Deb, près de Sétif. En 1994, le GIA massacre une partie de la population du bourg. Pour les deux fils, le deuil va se doubler d'une douleur bien plus atroce : la révélation de ce que fut leur père, cet Allemand qui jouissait du titre prestigieux de moudjahid...
Basé sur une histoire authentique, le roman propose une réflexion véhémente et profonde, nourrie par la pensée de Primo Levi. Il relie trois épisodes à la fois dissemblables et proches : la Shoah, vue à travers le regard d'un jeune Arabe qui découvre avec horreur la réalité de l'extermination de masse ; la sale guerre des années 1990 en Algérie ; la situation des banlieues françaises, et en particulier la vie des Algériens qui s'y trouvent depuis deux générations dans un abandon croissant de la République. «À ce train, dit un personnage, parce que nos parents sont trop pieux et nos gamins trop naïfs, la cité sera bientôt une république islamique parfaitement constituée. Vous devrez alors lui faire la guerre si vous voulez seulement la contenir dans ses frontières actuelles.» Sur un sujet aussi délicat, Sansal parvient à faire entendre une voix d'une sincérité bouleversante.