Une heure pour l'éternité. Saint Domingue, 1802. Pour mater Toussaint Louverture et rétablir l'esclavage. Napoléon Bonaparte a envoyé un corps expéditionnaire. Il s'agissait aussi de renflouer les caisses de l'État en reprenant la plus prospère des anciennes colonies, et... d'éloigner de son frère l'incestueuse et volage Pauline. Le général Victor-Emmanuel Leclerc, chef du corps expéditionnaire et mari de Pauline, se meurt de la fièvre Jaune. Même si Toussaint Louverture croupit au fort de Joux, les soldats de métropole ont échoué dans leur reconquête, victimes des maléfices de la terre caraïbe, devenue l'instrument de la vengeance des Noirs.
Trois voix alternent pendant cette heure d'agonie hallucinée : entre deux spasmes, Leclerc, mari cocu et piètre politique, invoque la raison d'État pour justifier la sauvagerie de sa répression. Fruits de son imagination déjà délirante, ses conversations avec l'ombre de Toussaint Louverture posent pourtant clairement les enjeux de cette page très sombre des relations entre la France et Haïti. Le monologue de Pauline, lui, est hanté par ce qu'elle a vu sur les bateaux de la rade : les corps des Noirs pendus et torturés. La voix de la fidèle servante corse, Oriana, témoigne, impuissante, de l'inéluctable : la troupe elle aussi se meurt, alors que Pauline, dans une quête effrénée des plaisirs, tente malgré tout de se divertir.
Quatre textes où l'auteur enlace quinze années de boxe dans une étreinte passionnée parcourue de tendres éclats et de spasmes sulfureux. Dans «Le Rire des Gitans», où s'amorce la fulgurante série de portraits qui illumine tout le livre, le véritable héros est le public qui au bout du compte assène un coup des plus cruels. Suit «Roi des Lions» qui voit l'écrivain s'attacher à un bien étrange champion de France. Enchaînement naturel, «Joe» s'apparente à une longue séance de boxing-shadow entre le narrateur et le champion sedanais Joe Siluvangi, exercice au cours duquel Patrice Lelorain revisite le noble art, et se perd dans la cité ardennaise pour mieux se retrouver dans un finale éblouissant. «Quatre Uppercuts» clôt le livre comme une épure où ne subsiste plus que la danse entre un geste et le destin, qui fuit, embrasse, châtie... ou tue.
À quatorze ans, Madelaine quitte l'orphelinat avec un métier : couturière.
Éblouie par la fluidité des matières et l'explosion des couleurs, déjà experte dans l'art de la coupe, elle crée ses premières robes. Puis, à Paris, les clientes repèrent ses créations. Ses modèles ont un succès fou, l'atelier déborde de commandes. Désormais, la maison portera son nom : «Madelaine Delisle».
Le siècle défile, inventions, restrictions, destructions... L'après-guerre offre Tadeusz, et son fol amour de la vie, à Madelaine. Lucie naîtra. La jeune femme dessine quantité de modèles pour sa fille... Mais les vieux démons rôdent : pourquoi ne parvient-elle pas à toucher sa fille, à lui parler, à l'aimer ?... Le couple se délite, Madelaine s'isole...
Roman d'initiation, du désir de donner et de la nécessité du choix, Le Temps d'une chute est une fresque du XXe siècle filtrée au pochoir de la Mode.
«Nous tirions de grandes satisfactions d'être les derniers habitants de la résidence. Tous les autres avaient fini par partir. Le vieil homme s'appuyait contre mon épaule et nous cheminions lentement dans les étages, nous souvenant des travers de ceux qui vivaient là, de leur méfiance envers le vieil homme et sa femme parce que c'étaient des étrangers qui roulaient les 'r' et qui écoutaient de la musique jusque tard le soir, et de leur animosité envers Véra et moi parce que nous étions l'unique jeune couple de la résidence. Nous marchions dans ces lieux sombres et déserts, hantés par de lointains accords de piano, et nous étions les seuls rescapés d'un naufrage, explorant l'île où nous avions échoué, rassurés de n'y trouver personne. Et si l'on nous avait dit que nous étions les deux seuls êtres humains encore présents sur la Terre, nous l'aurions cru volontiers et nous aurions fêté la bonne nouvelle d'une rasade de vodka.»
Un jour, ils ont eu l'impression que le ciel disparaissait. Comme si un grutier facétieux avait lâché un bloc de béton sur leur tête qui, des années plus tard, résonnerait encore des vibrations du choc. Une humiliation, un enfant malade, une dette de jeu, une dispute, la fin d'une liaison... Mais il suffit parfois de pas grand-chose pour que le ciel réapparaisse alors que tout semblait joué. La voix d'une femme derrière la porte, des cerfs-volants dans le ciel, le verre de l'amitié, des retrouvailles, le rêve d'une cerisaie...
Les personnages de ces dix nouvelles ont tous vécu la disparition du ciel puis sa renaissance. Dans un mélange de gravité, d'espoir et de renoncement. De dignité et d'humanité. Un homme aboie, un autre fustige les peintres préraphaélites, une femme bénit les passants, trois amis éprouvent une peur irraisonnée... Soudain le tragique, l'incongru, le cocasse se taisent pour laisser la parole aux âmes qui, enfin, se comprennent.
Elles sont venues seules et se retrouvent côte à côte dans la salle des naissances. Pour l'une comme pour l'autre, ce jour doit inaugurer un nouveau départ. La très jeune Émilie accouche sous X et espère «tout recommencer à zéro». Judith, elle, attend avec une impatience teintée d'inquiétude la naissance de son fils, Camille, un miracle après tant d'années de grossesses déçues.
Mais, pour l'une comme pour l'autre, rien ne se passe comme prévu. Judith perd son bébé et, dans un geste de détresse, enlève l'enfant promis à l'abandon de la chambre voisine.
Dès lors, le destin de ces deux femmes est irrémédiablement lié.
Karine Reysset explore tout en finesse les promesses que recèle pour les mères l'arrivée d'un enfant, les inévitables blessures et la folie qui s'empare d'elles quand la maternité leur est refusée.
Un récit mené tambour battant, un sujet qui bouscule, un suspense prenant : Comme une mère ressemble à ces contes maléfiques et merveilleux qui vous hantent longtemps.
En à peine plus d'un demi siècle, Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799) a eu le temps d'être : un bossu un mathématicien un professeur de physique un amateur de pâté de lièvre un adversaire de la physiognomonie un solitaire un théoricien de la foudre un amateur de jupons un ami du roi George III d'Angleterre un asthmatique un défenseur de la raison un hypocondriaque un moribond et l'auteur de huit mille fragments écrits à l'encre et à la plume d'oie.
On a toujours voulu voir dans ces fragments autant d'aphorismes à siroter comme du schnaps. Certains exégètes prétendent pourtant que ces écrits sont en vérité les morceaux dispersés d'un immense Grand Roman qu'il s'agit de reconstituer, à l'aide de ciseaux, de colle et de papier, et en faisant travailler ce qui nous reste d'imagination. Le présent ouvrage retrace, entre autres choses, le travail mené depuis un siècle par ces vaillants lichtenbergiens, de tous pays et toutes générations.
Le lecteur découvrira aussi dans ce nouvel opus de Pierre Senges comment se fabrique l'allumette soufrée, comment se tort une colonne vertébrale, comment se morcelle un roman-fleuve, comment s'escamote le huitième nain de Blanche-Neige, comment s'inquiète la CIA, comment Polichinelle rencontre Wolfgang von Goethe, comment on incendie les bibliothèques, comment on donne son nom à un cratère de Lune et comment on se livre à diverses comparaisons.
« Jeudi 29 décembre 1966
Aujourd'hui, ces temps-ci, je ne suis probablement sain tout à fait ni de corps ni d'esprit. Je mesure quelque chose comme 1 mètre 75, je pèse à peu près 60 kilogs. Je suis fatigué, j'ai une crise de foie permanente par manque de sommeil et abus de la bière. Les soucis d'argent, et ceux de Mélissa, que je ressens, me pèsent. Je lis les pléiades de Gobineau, je trouve ça très agréable, je projette de l'adapter pour la télévision. »
En 1966, à l'âge de vingt-quatre ans, Jean-Patrick Manchette commence à écrire son journal. Il le tiendra régulièrement jusqu'à sa disparition en 1995. Ce volume regroupe les quatre premiers cahiers couvrant la période déterminante du 29 décembre 1966 au 27 mars 1974 où Manchette décide de vivre de sa plume et y parvient au prix d'efforts sans cesse renouvelés. À la lecture de ces pages, qui nous installent d'emblée dans le secret de son atelier, ce sont les faces cachées du grand écrivain qui se révèlent peu à peu : le travailleur perpétuel, l'intellectuel subtil, le lecteur dévoré par la passion de la connaissance, même sous ses formes les plus impures. Totalement inédit jusqu'à ce jour, le journal de Jean-Patrick Manchette est un texte exceptionnel, non seulement par son ampleur mais par la férocité de son écriture.
C'est une chose bien étrange que les souvenirs. Ils nous appartiennent, font partie de notre vie, de notre mémoire et pourtant, souvent, lorsqu'ils sont racontés avec talent, ils deviennent contagieux. Quand Bertrand Runtz décrit l'excitation d'un enfant découvrant la neige sur la ville à son réveil ou les soirées avec son amoureuse en colonie de vacances, ces souvenirs sont aussi les nôtres.
À travers les huit nouvelles de ce recueil, il saisit avec sensibilité des morceaux d'existence, passés au crible de la mémoire, qu'il s'agisse de la mort d'un ami, de la nostalgie d'un vieux magicien, ou des premiers émois amoureux d'un petit garçon dans la brousse africaine.
'Comment endosser la posture d'un écrivain qui, a priori, devrait être présenté comme étant dépourvu de lecteurs, de critiques, de journaux, de machines éditoriales et, d'une certaine façon, d'appartenance nationale ?
Telle est la situation de l'écrivain africain de langue française. L'exil est son essence, à l'image de la littérature où il s'inscrit, née sur les quais de la Seine, à l'ombre de la Sorbonne, dans les années 1930.
La Nouvelle Chose française est le manifeste de ce paradoxe. Senghor est celui qui l'a bien compris, qui, sachant que nous n'aurons pas avant quelques siècles le lectorat, l'économie culturelle nécessaire à l'épanouissement de nos écrivains et de notre littérature, invente la francophonie.
Les essais réunis dans ce volume sont pour moi l'occasion d'analyser mon statut d'écrivain exilé pour tenter de comprendre ce dont il retourne quand on écrit loin de chez soi, avec des lecteurs et des critiques étrangers à l'univers de notre création. Traduire des imaginaires et des histoires «d'outre-ciel» dans la langue de Rabelais n'est pas une mince prouesse quand on est sénégalais ou tchadien, mais les frontières du français sont plus vastes que celles de l'hexagone.'
Tels sont les mots de Nimrod, qui propose dans ce livre une profonde réflexion sur l'essence de l'exil, le territoire de l'imagination et les frontières de la langue pour un écrivain.