Qui sont vraiment les maîtres du manoir de Glenmarkie, cette bâtisse écossaise menaçant ruine, tout droit échappée d'un roman de Stevenson ? Et où est donc passé le trésor de leur ancêtre Thomas Lockhart, un écrivain extravagant mort de rire en 1660 ? Fascinée par le génie de Lockhart, intriguée par l'obscur manège de ses descendants, la jeune Mary Guthrie explore les entrailles du manoir et tâche d'ouvrir les trente-deux tiroirs d'un prodigieux meuble à secrets.
Ebenezer Krook est lui aussi lié aux Lockhart. À Édimbourg, dans la librairie d'un vieil excentrique, il poursuit à l'intérieur de chaque livre l'image de son père disparu.
Les tiroirs cèdent un à un sous les doigts de Mary. Les pages tournent inlassablement entre ceux d'Ebenezer. Mais où est la vérité ? Dans la crypte des Lockhart ? Au fond de Corryvreckan, ce tourbillon gigantesque où Krook faillit périr un jour ? Ou bien dans les livres ?
Peuplé de silhouettes fantasques, de personnages assoiffés de littérature qui rôdent au bord de la folie, Les maîtres de Glenmarkie brasse les époques, les lieux, et s'enroule autour du lecteur comme un tourbillon de papier. Hommage facétieux aux grands romans d'aventures, il pose et résout une singulière équation : un livre + un livre = un homme.
« Cette promenade-là, toute mélangée de graves inquiétudes pour le châssis de la voiture, pour les pneumatiques (qu'en effet il va falloir changer, a-t-on découvert hier...), et à propos de l'heure qui tournait, d'un hôtel à trouver, du danger de s'enliser et de l'absence de tout secours à espérer si le besoin s'en manifestait, cette promenade-là était éminemment frustrante, comme toujours les plus belles promenades, qui sont des idées de promenade, des projets de promenade, des marches pour une autre fois. Je veux dire que je ne rêve que de la refaire, celle-là, et mieux, plus à loisir, au cours d'une de ces vies qui ne se présentent jamais où le temps qu'on a dans sa gibecière est aussi énorme que l'espace offert à la vue sur des hauteurs pareilles. L'archi-objet du désir est un village abandonné nommé Morcat, je crois bien, dont on aperçoit le clocher, une haute tour carrée, de toutes les contrées à la ronde. Isolé, perdu, très difficile à atteindre (au moins pour les voyageurs pressés), il est pourtant, lui, en position de chef d'orchestre du sublime - car si le sublime a un sens, en matière de paysage, c'est bien sur ces plateaux-là qu'il le rencontre, au sud de Boltaña, à l'ouest-sud-ouest d'Aínsa, près des sources du río Vero, dans l'ancien royaume de Sobrarbe. »
« Le 29 septembre 1990, une vingtaine de descendants de René Coty se retrouvèrent à l'Elysée. Chez les petites-filles du Président, d'ordinaire si ardentes à rompre avec le passé, l'opportunité sembla éveiller un brin d'amusement. Les années glorieuses s'éloignaient suffisamment pour prendre un arrière-goût folklorique. Tout le monde avait oublié le nom de Coty - sauf pour le confondre avec celui d'un parfumeur. L'époque présidentielle ne représentait plus une menace avec ses privilèges. Rien ne pouvait désormais entraver le triomphe de cette vie normale vers laquelle ma famille inclinait depuis trente ans. »
Avec ce roman familial, Benoît Duteurtre déploie son art d'humoriste social sur un mode plus intime. À l'ombre des falaises d'Etretat, il observe les transformations de la bourgeoisie en vacances, le catholicisme revisité par mai 68 et sa propre évolution de jeune homme moderne à la découverte de la nostalgie.
Philippe Montclar, jeune étudiant en quête d'absolu, rencontre par hasard, dans les allées du jardin du Luxembourg, Frédéric Stauff, philosophe que l'intelligentsia parisienne a d'abord porté aux nues puis excommunié. Fasciné par le personnage dont nul ne parle plus, il enquête sur son passé et cherche à le revoir. Peu à peu se noue entre eux une relation amicale qui évolue vers des rapports de maître à disciple. Au fil de discussions dans les jardins et les cafés de Paris, Frédéric Stauff confie au jeune Montclar l'histoire de sa vie - sa conversion à un mode d'être obscur et anonyme qui prône le suicide comme seule issue philosophique à l'existence. Pour le convaincre, il lui raconte les échecs splendides de vies exemplaires : Senancour, Leopardi, Nietzsche, Bloy, Walser... Pourquoi Montclar, d'abord fasciné, commence-t-il à douter de son maître ? Un voyage à Rome auprès d'un ancien camarade spécialiste du suicide dans la Rome antique l'amène à se demander s'il n'est pas manipulé par un héritier des sophistes. La maîtresse de Montclar, Ariane, sera l'instrument du destin.
« Les petits cons de La corniche. La bande. On ne sait les nommer autrement. Leur corps est incisif. Leur âge dilaté entre treize et dix-sept, et c'est un seul et même âge, celui de la conquête : on détourne la joue du baiser maternel, on crache dans la soupe, on déserte la maison. »
Le temps d'un été, quelques adolescents désoeuvrés défient les lois de la gravitation en plongeant le long de la corniche Kennedy. Derrière ses jumelles, un commissaire, chargé de la surveillance de cette zone du littoral, les observe. Entre tolérance zéro et goût de l'interdit, les choses vont s'envenimer...
Âpre et sensuelle, la magie de ce roman ne tient qu'à un fil, le fil d'une écriture sans temps morts, cristallisant tous les vertiges.
Je fus, en 2007, choqué par l'insistance grossière avec quoi les média (de gauche comme de droite), lors de l'élection de Nicolas Sarkozy et du décès du cardinal Jean-Marie Lustiger, mirent l'accent sur les origines hongroises de l'un, polonaises de l'autre ; sur le sang rastaquouère qui coulait dans leurs veines. Ces considérations étaient d'une extraordinaire inconvenance, mais les goujats qui les exprimèrent n'étaient même pas conscients de leur goujaterie, tant ce thème de la race, des Français « de souche » et de ceux qui ne le sont pas, appartient désormais à la conversation courante, est entré dans les moeurs.
Jamais depuis la Libération les crispations xénophobes n'ont été en France aussi vives. Je suis incommodé par ce retour aux racines qui est tant à la mode, par ce barrésisme de bas étage dont on nous casse les oreilles (et que Barrès assurément récuserait), par cette apologie du droit du sang aux dépens du droit du sol, par cette soudaine prolifération de l'adjectif « identitaire » que l'on chercherait en vain dans le Littré.
Au coeur de ce livre qui traite de politique, d'art, de religion, se trouve donc la question de l'émigration, de l'identité nationale.
Vous avez dit métèque ? exprime quarante ans de la vie d'un artiste qui, fils d'émigrés russes, a mis son talent et son énergie créatrice au service de la langue française ; qui, nonobstant son nom exotique farci de z et de f comme une dinde de Noël l'est de marrons, a l'audace de penser que ses livres servent la France, s'incorporent à son patrimoine littéraire.
Maman me l'avait assez répété, de ne pas parler aux inconnus, de faire attention avec tous ces détraqués qui courent dans la nature mais là, pas une seconde ça ne m'avait traversé l'esprit. À cause de la bonne tête de R. avec sa chevelure d'éponge, sa voiture brillante, la jolie chatte à trois couleurs dans la petite caisse, l'orage dément qui me coulait dessus et surtout - surtout - à cause de Stanislas.
Guéthary, au mois de juin. Madison, onze ans, est enlevée au retour de l'école. Au fond de la cave qui lui sert désormais de chambre, elle essaie de comprendre le pourquoi du comment. Avec cette foi des enfants qui ne renoncent jamais, elle réinvente un monde plus vaste, à la mesure de ses grands projets.
Le 1er janvier 1927, Marcel Mathiot, un jeune homme de 16 ans, ouvre un carnet à couverture de moleskine rouge. C'est le début d'une entreprise qui durera soixante-dix-sept ans, jusqu'à sa mort en 2004, et dont le principe est immuable : il écrit une page par jour, accompagnée d'une date et d'un titre.
Marcel Mathiot brasse tous les thèmes de sa vie : l'enfance insouciante, la guerre de 14, le métier d'instituteur fidèle aux principes de Jules Ferry, le Front populaire, l'Occupation, les mensonges de l'histoire et l'amour sous tous ses visages. Lecteur infatigable, il nourrit ses pages d'Épicure, de Montaigne, de Voltaire, de Romain Rolland, d'Apollinaire et des chanteurs poètes...
Le 23 janvier 2000, après soixante-huit ans de vie commune, Marcel perd sa femme. Ses carnets lèvent alors le voile sur ses nombreuses et durables liaisons. On découvre un mari plutôt lâche, mais un amant fidèle et sans reproche. Toutes accourent après le décès de son épouse : Hélène, Mado, Lili, et même Emma qui, à 36 ans, lui déclare un amour inattendu... Marcel refuse de porter un costume de vieillard. Tout au contraire, à 90 ans, il est plus fringant, plus séducteur qu'à 20 ans.
Écrits dans une langue vigoureuse, ces carnets, bousculant l'image asexuée du quatrième âge, sont un élixir contre le renoncement. Car Marcel ne tient pas pour sagesse la faculté de perdre son indignation. Si sa vue baisse, il n'en estime pas moins que le monde existe toujours et qu'il contient des sources de joie et de plaisir.
Un homme définitivement «né pour être jeune».
C'est le plus grand critique culinaire du monde, le Pape de la gastronomie, le Messie des agapes somptueuses. Demain, il va mourir. Il le sait et il n'en a cure : aux portes de la mort, il est en quête d'une saveur qui lui trotte dans le coeur, une saveur d'enfance ou d'adolescence, un mets originel et merveilleux dont il pressent qu'il vaut bien plus que tous ses festins de gourmet accompli.
Alors il se souvient. Silencieusement, parfois frénétiquement, il vogue au gré des méandres de sa mémoire gustative, il plonge dans les cocottes de son enfance, il en arpente les plages et les potagers, entre campagne et parfums, odeurs et saveurs, fragrances, fumets, gibiers, viandes, poissons et premiers alcools... Il se souvient - et il ne trouve pas. Pas encore.
« Je suis né de ce traître, il m'a légué son nom, son oeuvre, sa honte. Au centre de ma vie, depuis 1'enfance : aimer ce qui est interdit, puisqu'on m'interdisait d'aimer l'objet de mort amour » : ainsi parle Dominique Fernandez de son père Ramon, à l'orée de cette enquête biographique, historique et intime. Le fils cherche à comprendre comment son géniteur, l'un des plus grands intellectuels de son temps, a pu être socialiste à trente et un ans, critique littéraire d'un journal de gauche à trente-huit, compagnon de route des communistes à quarante, fasciste à quarante-trois et collabo à quarante-six. Pour saisir le destin énigmatique de Ramon, Dominique Fernandez tresse serré trois fils.
Celui de l'histoire littéraire - nous voici de plain-pied avec Proust, Gide, Mauriac, Paulhan, Céline, Bernanos, Saint-Exupéry, Malraux, Duras, et tant d'autres.
Celui de l'histoire politique en France et en Europe le 6 février 1934, le Front populaire, la guerre d'Ethiopie, la guerre d'Espagne, celle de 1940, l'Occupation, sont autant d'événements auxquels Ramon est mêlé de près.
Celui de l'histoire privée - comment un play-boy dépensier d'origine mexicaine, amateur de tango et de Bugatti, fait brièvement le bonheur puis durablement le malheur de la brillante sévrienne, fille d'instituteurs pauvres, qu'il épousa en 1926. Echec conjugal documenté jour après jour par les carnets intimes de l'épouse.
Ces trois plans superposés, qui montrent comment les péripéties les plus intimes peuvent infléchir un destin, donnent à ce livre toute sa dimension romanesque.
Voir aussi : Grasset publie dans sa collection des Cahiers Rouges, Proust et Messages de Ramon Fernandez