Mourir au deux cent-cinquantième

Mourir au deux cent-cinquantième
Thirion Viriginie
Ed. Zulma

C'est la photographie d'une chute

Une chute en noir et blanc

La chute d'un homme

Il était à genoux, son torse est maintenant en train de basculer vers le sol. Il bascule face à moi, vers ma gauche donc... vers sa droite, son épaule droite est à peu près à une quinzaine de centimètres du sol.

Il ne peut pas utiliser ses mains pour freiner ou amortir l'impact, car elles sont retenues, derrière son dos, probablement attachées.

C'est la photographie d'une exécution. Près de la base de son crâne, le canon d'un revolver, qui vient de faire feu, comme en témoigne l'index droit crispé sur la gâchette. Son visage est encore contracté, ses muscles sont encore tendus, donc il n'est pas encore mort. Il le sera probablement lorsque son épaule droite heurtera le sol. Dans une quinzaine de centimètres.

C'est la photographie d'un homme à quinze centimètres de sa mort. Je dois faire un effort pour m'intéresser à l'image dans son ensemble ; mon oeil revient sans cesse à l'homme, en train de chuter, ou plus exactement à cet espace entre la pointe de son épaule droite et le sol. Quinze centimètres comme intervalle de temps entre la vie et la non vie. La photographie a converti la durée en espace. Si je ferme les yeux, et si je les rouvre, aura-t-il enfin atteint le sol ?

L'Helpe mineure

L'Helpe mineure
Nyssen Hubert
Ed. Actes Sud

L'Helpe mineure était un sanctuaire où elle vivait avec ses livres et des disques en désordre, où elle avait un jardin qu'elle entretenait avec soin, un chat tigré à demi sauvage qu'elle avait baptisé Victor et le spectre du vrai Victor qui, de temps à autre, comme le chat et toujours sans prévenir, venait lui donner l'illusion que certains souvenirs retrouvaient alors leur troisième dimension. Aussi, quand elle avait entendu la sonnette geindre dans le couloir, avait-elle sursauté. Elle n'attendait personne et les gens d'ici ne sonnent pas, ils frappent à la porte de la cuisine ou donnent de la voix.

L'année des Déchirements. Journal de l'année 2007

L'année des Déchirements. Journal de l'année 2007
Nyssen Hubert
Ed. Actes Sud

Quand, ce matin, après un tour dans la colline, j'ai coupé les communications, fermé les portes et sorti mon roman de la cache où je l'avais mis en janvier, j'ai trouvé mes personnages campés sur la première page, mains aux hanches, bien décidés à me présenter sans ménagement protestations et doléances. Je les comprends... Quatre mois de quarantaine dans le silence et l'obscurité, ce n'est pas une fête. Le premier à s'exprimer fut Valentin, le narrateur, qui sans ménagement m'a lancé que lui, c'était lui, et non pas moi comme je l'avais laissé croire. Encouragés par son audace, les autres ont commencé à gronder. J'ai donné sur la table un grand coup du plat de la main et j'ai dit d'une voix forte : «Madame Bovary, c'est moi !» Puis, dans le silence revenu, je leur ai tourné le dos et j'ai allumé ma première pipe. Hubert Nyssen

L'apoptose

L'apoptose
de Sélys Gérard
Ed. Cerisier

- J'ai fait une évaluation grossière : à lui seul, cet Antonin Marteau nous a coûté plus de quatre milliards et demi en dix ans. Ça commence à bien faire. Nos démarches auprès de ses chefs n'ont servi à rien. Plus on tente de lui fermer la gueule, plus il publie et parcourt le monde à colporter ses idées imbéciles. Vous avez toujours été opposé à la manière forte. J'estime que c'est une erreur. Une grave erreur. Ce type est écouté, entendu et suivi. Il fait d'énormes dégâts.

- Pour être suivi, il l'est. Et heure par heure. Pour le moment, il est en train de se griller une dope à l'insu de sa compagne sur l'aire du Centre de la France. Mais il n'est pas à l'ordre du jour de faire autre chose. Nous attendons.

- Attendre, attendre, c'est ce que tout le monde dit. J'ai pris contact avec votre ministre. Il m'a dit qu 'il vous avait laissé carte blanche, vous pouvez donc faire mieux qu'attendre. Cet homme est un véritable cancer. Il faut l'éliminer, coûte que coûte et quels qu'en soient les moyens.

- Là, vous me donnez une idée. Je propose que tout ce qui est entrepris à son propos soit placé sous ce code. Appelons ça « opération cancer ».

Légendes du je. Récits, romans

Légendes du je. Récits, romans
Gary Romain
Ed. Gallimard/Quarto

«... Le roman et la vie se confondent, ma vie est une Narration tantôt vécue tantôt imaginée et si un journal américain m'a donné le nom de 'collectionneur d'âmes', c'est que je ne cesse de faire mon plein de je innombrables, par tous les pores de ma peau...» Romain Gary, La nuit sera calme, 1974

«Malheureusement, Madame Rosa subissait des modifications, à cause des lois de la nature qui s'attaquait à elle de tous les côtés, les jambes, les yeux, les organes tels que le coeur, le foie, les artères et tout ce qu'on peut trouver chez des personnes très usagées. Et comme elle n'avait pas d'ascenseur, il lui arrivait de tomber en panne entre les étages et on était tous obligés de descendre et de la pousser, même Banania qui commençait à s'éveiller à la vie et à sentir qu'il avait intérêt à défendre son bifteck.» Émile Ajar, La Vie devant soi, 1975

Comprend :

Education européenne
La promesse de l'aube
Chien blanc
Les trésors de la mer Rouge
Les enchanteurs
La vie devant soi
Pseudo
Vie et mort d'Émile Ajar

 

 

Récits érotiques et fantastiques

Récits érotiques et fantastiques
de Mandiargues Pierre
Ed. Gallimard/Quarto

« Le couteau revient souvent dans mon oeuvre. Peut-être provient-il du théâtre élisabéthain. En tant qu'instrument de mort, il est évident que je le préfère à l'arme à feu. Je crois que rien n'émeut autant le spectateur au théâtre ou au cinéma, le lecteur penché sur un livre, que l'apparition du couteau, lame nue, dans la main du meurtrier, et je crois aussi que dans le cas de l'écrivain devant la feuille blanche la simple pensée du couteau est inspiratrice au plus haut point. C'est ainsi qu'il en va avec moi, en tout cas, tellement que dans le conte bref j'ai du mal à m'en passer et qu'il revient [...] avec une fréquence que l'on peut juger exagérée. Tout écrivain, tout artiste, avouera, s'il ne cache pas son jeu, qu'il cherche à créer une certaine beauté, aussi originale qu'il se pourra. Moi, je suis particulièrement sensible à ce que William Butler Yeats appelle la 'beauté terrible'. C'est cette beauté-là, quand l'occasion s'y prête, que je cherche à faire naître. D'où le petit couteau... Vous vous rappelez, n'est-ce pas, la sublime invention de Poe : le rasoir dans la main de l'orang-outan. »

Comprend :

Dans les années sordides
Soleil des loups
Marbre ou Les mystères d'Italie
Le lis de mer
Feu de braise
Porte dévergondée
Mascarets
Sous la lame
Le deuil des roses
Monsieur Mouton

 

Entretiens. 2002-2003

Entretiens. 2002-2003
Gide Catherine
Ed. Gallimard/Les cahiers de la NRF

Pendant longtemps peu encline à parler de son enfance, d'un quotidien pas toujours facile avec André Gide et la Petite Dame, d'Élisabeth Van Rysselberghe et de Pierre Herbart, Catherine Gide a accepté de livrer ses souvenirs, souvent uniques, dans une série d'entretiens qui ont abouti à un DVD encore inédit : André Gide : Un petit air de famille (2006), un film de Jean-Pierre Prévost sur une idée de Peter Schnyder. Quant aux rushes de l'ensemble, ils restaient suffisamment intéressants pour être réunis dans un petit livre.

En voici le résultat : ces Entretiens avec Jean-Pierre Prévost, Jean-Claude Perrier, Jérôme Chenus, Dominique Iseli et Isabelle Bowden invitent le lecteur à retrouver Gide et ses amis, de Roger Martin du Gard à Jean Schlumberger, de la Petite Dame à Marc Allégret, à Pierre Herbart, à Jean Paulhan, à tant d'autres. Aux personnes et à leurs portraits s'ajoutent les évocations de bien des étapes d'une-vie, de Brignoles à Saint-Clair, de Cabris à Bex, de Nice à Paris.

Avec sa modestie coutumière, Catherine Gide parvient à faire revivre tout un monde, toute une époque, ses lieux, ses êtres. Ce passé, relaté avec l'intensité qui la caractérise, fait de ces Entretiens, en dehors de leur portée historique, un document vivant et un témoignage dont la justesse de ton est aussi un bel hommage de la fille au père.

Les vierges. Et autres nouvelles

Les vierges. Et autres nouvelles
Némirovsky Irène
Ed. Denoël

Femmes terrassées par la fortune qui a cessé de leur obéir. Hommes brutalement dépouillés de leurs atouts. Mères abîmées dans le regret du «temps aboli». Fils et filles hantés par la malédiction de l'hérédité. Rarement l'ironie d'Irène Némirovsky aura fait autant de ravages que dans ce volume plein d'«avertissements à distance».

Si fragile que soit le sort d'Anne, Marcelle ou Camille, un fil les relie à la vie. Il court d'un bout à l'autre de ces douze nouvelles, inédites ou introuvables, qui offrent un inattendu raccourci de son talent dans des domaines tels que le scénario ou l'histoire de fantômes.

Interrogeant les caprices du destin à mesure que se joue le sien, l'auteur de Suite française teinte son art d'amertume avant de le retourner contre elle dans «Les vierges», dernier texte publié de son vivant : «Je suis seule comme vous à présent, non pas d'une solitude choisie, recherchée, mais de la pire solitude, humiliée, amère, celle de l'abandon, de la trahison...»

Lettres à Albert Paraz. 1947-1957. Nouvelle édition

Lettres à Albert Paraz. 1947-1957. Nouvelle édition
Céline Louis-Ferdinand
Ed. Gallimard/Les cahiers de la NRF

À partir de mars 1947, ayant quitté la prison pour l'hôpital de Copenhague, Céline peut écrire librement. Son activité épistolaire se développe alors considérablement, avec ses anciens amis restés en France et avec de nouveaux venus qui se manifestent à lui. C'est le cas de l'écrivain Albert Paraz (1899-1957) qui entame sa correspondance avec l'exilé en juin 1947.

Elle durera dix ans et compte 353 lettres. Ce qui en fait l'une des plus étendues après celle que Céline entretient avec sa secrétaire Marie Canavaggia depuis 1936. Cependant elle présente un caractère qui la distingue de toutes les autres : Paraz a l'idée, acceptée avec réserves puis contrôlée par son correspondant, de mêler les lettres qu'il reçoit du Danemark à ses écrits autobiographiques, Le Gala des vaches (1948) et Valsez, saucisses (1950) - ce qui fait de lui le premier éditeur d'une correspondance de Céline.

Cahiers. 1894-1914. Volume 11

Cahiers. 1894-1914. Volume 11
Valéry Paul
Ed. Gallimard/Blanche

En octobre 1911, Valéry entame une série de petits «cahiers roses», ainsi nommés d'après la couleur de la couverture. Dans ces cahiers (F G H I I'J) s'entrecroisent diverses formes scripturales : une écriture en fragments éventuellement publiables, une recherche thématique abstraite, des proses poétiques. Un index à la fin de chaque cahier relève les notions jugées importantes, ainsi Moi, littérature, points de vue, mystère. Valéry ne procède pas ici à l'estompage du moi individuel, bien au contraire. C'est un moment de grande inquiétude voire d'angoisse et de véritables crises, liées peut-être à l'idée d'un possible retour à la littérature sur le conseil de Gide. Apparaissent des réflexions sur la création, sur le travail d'écriture et la fabrication poétique, sur le rapport auteur-oeuvre-lecteur. Sous «mystère», mot peu représenté, sont indexées de nombreuses notes sur le surnaturel, la religion - le christianisme dans ses dogmes et ses pratiques - et surtout sur la notion de Dieu, et la foi religieuse, débouchant sur une critique du croire. Le futur projet, finalement inabouti, du «Dialogue des choses divines» semble s'y préparer. Une inflexion vers les thèmes philosophiques est sensible : problèmes de la liberté, de la responsabilité, de la relativité du bien et du mal et du fondement de la morale.

À ces Cahiers est joint un carnet de 1913. Carnet de poche, il contient quelques repères de la vie quotidienne ; carnet d'écrivain, il présente un intérêt particulier du point de vue génétique montrant le premier jet du travail alors parallèle du penseur et du poète : bribes d'idées ou d'incipit que développent les Cahiers, bribes de thèmes ou de vers annonçant ce qui deviendra La Jeune Parque.

En 1912 Valéry étend son analyse abstraite au couple Attente/Surprise qui structure le vivant à l'état de veille. Ce chantier, exemplaire en ce sens de la préparation qui préside à l'écriture des Cahiers, est un des rares comportant des brouillons conservés. Ces recherches, à l'inverse de celles sur l'attention et le rêve, ne doivent rien à la psychologie de l'époque. Elles se poursuivent de 1912 à 1915 ; l'ensemble figure dans ce volume. Elles seront reprises ensuite de façon récurrente. La théorie de l'attente et de la surprise figurera plus tard dans l'actif d'un bilan. Importante dans le dessein valéryen d'étudier le fonctionnement total de l'être humain, elle l'est aussi dans la réflexion générale sur le couple continuité / discontinuité. Le grand poème de 1917 montrera comment la recherche abstraite, celle aussi du cahier Somnia, peut se transcrire dans un autre langage, celui de la Poésie.

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