Danse avec Nathan Golshem

Danse avec Nathan Golshem
Bassmann Lutz
Ed. Verdier

Tous les ans, à la première lune de l'automne, Djennifer Goranitzé se rend au bord de la mer, sur une immense décharge d'ordures où le corps de son mari a été jeté par les militaires. Elle se repose après les épreuves de son voyage qui a duré des semaines. Et ensuite, elle appelle son mari, Nathan Golshem. Elle l'appelle pendant des jours et des nuits, elle frappe la terre avec les pieds, avec des morceaux de ferraille, avec les mains, elle danse. Elle construit pour eux deux une hutte avec des débris, pour qu'ils soient de nouveau ensemble, pour qu'une fois encore ils se retrouvent et partagent du temps amoureux, des souvenirs inventés et de la mémoire amoureuse. Elle danse jusqu'au sang, jusqu'à ce que Nathan Golshem revienne du néant et s'allonge sous la hutte. Il n'y a personne sur la côte, seulement quelques chiens et des mouettes. Très loin le chuchotement des vagues brise le silence. Djennifer Goranitzé et son mari ferment les yeux sous le ciel étoilé et, de nouveau, ils se parlent et ils plaisantent. Avec une bonne humeur qu'aucune lamentation ne vient contrarier, ils évoquent leurs camarades d'infortune, les combats constamment perdus, les martyrs, les déroutes, les crimes dont ils ont été témoins, victimes ou coupables. Ils rient, ils s'aiment, ils ne savent plus très bien à quel niveau de vérité ou de mensonge se situent leurs anecdotes terribles. Ils échangent tout. Il n'y a plus entre eux ni mémoire, ni absence de mémoire. Seule persiste la danse des corps, des paroles et des morts en face de la nuit. Seule cette obstination de l'amour : la danse de l'éternel retour.

L'inquiétude d'être au monde

L'inquiétude d'être au monde
de Toledo Camille
Ed. Verdier

L'inquiétude est le nom que nous donnons à ce siècle neuf, au mouvement de toute chose dans ce siècle.

Paysages ! Villes ! Enfants !

Voyez comme plus rien ne demeure.

Tout bouge et flue.

Paysages ! Villes ! Enfants !

L'inquiétude est entrée dans le corps du père qui attend son fils, comme elle s'est glissée, un jour, dans le corps des choses.

C'était hier. C'est aujourd'hui.

Ce sera plus encore demain.

L'inquiétude de l'espèce, des espèces, et de la Terre que l'on croyait si posée, qui ne cesse de se manifester à nous, sous un jour de colère, au point qu'on la croirait froissée ou en révolte.

Carnet de notes. 2001-2010

Carnet de notes. 2001-2010
Bergounioux Pierre
Ed. Verdier

«Pour des raisons qui touchent à mes origines, à ma destinée, j'ai ressenti le besoin d'y voir clair dans cette vie.

La littérature m'est apparue comme le mode d'investigation et d'expression le moins inapproprié.

Elle est porteuse, comme l'histoire, comme la philosophie, comme les sciences humaines, d'une visée explicative, donc libératrice. Elle peut descendre à des détails que les discours rigoureux ne sauraient prendre en compte parce qu'il n'est de science que du général.

Les notes quotidiennes ne diffèrent pas, dans le principe, de ce que j'ai pu écrire ailleurs. Les autres livres se rapportent aux lieux, aux jours du passé, le Carnet à l'heure qu'il est, au présent.» P. B.

Ce journal, qui couvre la première décennie du vingt et unième siècle, constitue le troisième volume des Carnets de notes de Pierre Bergounioux.

Le gouverneur d'Antipodia

Le gouverneur d'Antipodia
Coatalem Jean-Luc
Ed. Dilettante

Une île australe, perdue. Aux antipodes de tout. Antipodia. Battue par les vents. Loin des zones de pêche. Dessus, entre deux coups de chien, un chef de poste qui se fait donner du «Gouverneur», un mécano qui cache son jeu, quelques chèvres. Si le premier tourne en rond, remâchant sa disgrâce sur le petit périmètre de l'île, le second cavale comme un lièvre, heureux, ravi. Son secret ? Une plante mystérieuse : le reva-reva. Celui qui l'absorbe fait entrer aussitôt ses rêves dans la réalité. Mais l'hiver et la glace arrivent. Un naufragé aussi, sur un bout de bois, poussé par des vagues. Lui, un Mauricien, s'appelle Moïse. Il se croit sauvé des eaux froides. Il pose son pied nu sur la grève désolée. C'est alors que tout commence. Que tout éclate. Et qu'Antipodia résonne tout entière.

Avec Le Gouverneur d'Antipodia, Jean-Luc Coatalem signe dans un récit tendu une étonnante robinsonnade, à mi-chemin entre Jules Verne et Stephen King.

Aral

Aral
Ladjali Cécile
Ed. Actes Sud

En 1960 au Kazakhstan, la mer d’Aral commence à disparaître et laisse place au désert qui confronte la population à une catastrophe écologique sans précédent. Au loin, sur l’île de Vozrozhdeniya, les usines russes fabriquent des armes bactériologiques qui polluent l’eau, engendrent malformations et épidémies dans la petite ville kazakhe. Alexeï, un jeune violoncelliste de cette région désolée, sombre dans la surdité à mesure que son pays devient de sable. Confronté au silence et à la disparition qui envahissent sa conscience et son paysage, Alexeï devra construire malgré tout sa vie familiale, amoureuse et artistique. Mais ses errances ne parlent que des grandes disparues de sa vie, dont les absences se font écho, ses trois fiancées : sa femme, sa musique, sa mer. Convoquant le souvenir de la musique et de sa jeune femme Zena qui vient de le quitter, il tente de ne pas devenir fou au sein de ce décor brûlant. La survie s’organise alors à travers la création et l’affection qu’il se découvre pour une jeune fille malade, Nulufar, qu’il va aimer comme sa propre fille. Cette relation inattendue l’oblige à interroger ses propres origines aussi floues que le paysage, puisque Alexeï est un enfant adopté. Aussi, solitude et déréliction le conduiront-elles un temps à se fourvoyer dans ses amitiés et ses choix artistiques. Car dans cet univers devenu atone, c’est tout le sens de la vie et de l’art qu’il faut réinventer pour retrouver l’autre ainsi que le juste chemin qui mène à soi. De ce monde en cale sèche, en attente de guérison, de réparations, Cécile Ladjali tire un roman qui pose la question de la création et de sa magie profonde. Le décor tragique mais somptueux de la mer qui s’évanouit petit à petit du champ de vision du héros, oblige à scruter l’invisible et l’intériorité des cœurs. Roman de l’intimité, Aral est aussi un roman d’amour dédié à la musique et aux mystères des origines, savant mélange d’excès et de peur, de beauté dans la finitude latente.

La séquence de l'énergumène

La séquence de l'énergumène
Matzneff Gabriel
Ed. Léo Scheer

& 'Mais notre véritable star s’appelait Gabriel Matzneff. À force d’irriter les lecteurs, Gabriel Matzneff avait fini par les fasciner& : devenu collaborateur régulier de nos tribunes libres, on ne pouvait plus s’en passer. Il manquait, cependant, une corde à son arc& : pourquoi ne pas confier à Matzneff la télévision& ? Combat, qui n’accordait guère de place au petit écran, aurait ainsi une chronique libre, dont le point de départ serait toujours une émission, un débat ou, au besoin, une intrigue de couloir. La Séquence de Gabriel Matzneff fait partie des points d’orgue de ces années folles.& ' (Henry Chapier, Quinze ans de « & Combat& »)

Le général de Gaulle règne sans état d’âme sur une télévision aux ordres. À la veille de la première élection présidentielle au suffrage universel de la Ve République, le jeune Gabriel Matzneff, frondeur et partisan de François Mitterrand, ferraille sans trêve contre le pouvoir, persifle la bêtise des divertissements dont celui-ci ahurit le peuple. Un bouquet de joyeux duels qui, en 2012, n’a rien perdu de son actualité politique, libertaire.

Mélancolie vandale

Mélancolie vandale
Cendrey Jean-Yves
Ed. Actes Sud

Dans Berlin réunifiée, Kornelia Sumpf, cinquante-trois ans, (“fruit débile des amours d’une charogne et d’un fossoyeur”) condamnée à rester à jamais “une empotée de l’Est”, travaille comme interprète à la prison de Moabit où le détenu est souvent basané et insuffisamment germanophone. Elle est désormais la compagne, prétendument comblée, d’un homme plus jeune qu’elle, Ali, son ultime conquête, qui a été élevé, dans ce qui fut Berlin-Ouest, par une mère turque, richissime et foutraque, prénommée Utkügul, dont la fortune permet à son aboulique de fils de passer son temps en tête-à-tête avec l’écran de son ordinateur (et les vidéos pornos afférentes). Bien avant de rencontrer Ali, l’homme aux “lèvres-saucisses”, Kornelia a adopté la petite Viorica, d’origine roumaine (on dira “Rom”, sous peu), devenue une pré-adolescente paumée, d’humeur aussi maussade que le temps qui sévit à Berlin, en cet hiver 2010, et dont la fascination pour la société de consommation triomphante entraîne des échanges aussi fréquents qu’embarrassants avec la puissante caste que forment les vigiles de supermarchés. Afin d’échapper à la suffocante emprise de la dévoratrice Utkügul, restée “à l’Ouest”, le couple turco-germanique, fier de sa mixité, vit dans le modeste (et peu amène) pavillon familial de l’ancien Berlin-Est dans le quartier de Lichtenberg, où, cloué sur un fauteuil roulant, le père de Kornelia, dit “petit-papa”, achève son existence dans la hargne et ce mutisme aussi “réflexe” que tactique auquel l’a rompu sa longue expérience de communiste impénitent et de délateur professionnel aux temps “heureux” de la stasi. A son corps défendant, et comme à son insu, sa fille Kornelia, quand elle a terminé sa journée de “traductrice du malheur” à la prison de Moabit, semble passer son temps à traverser dans les deux sens un Mur qui n’existe plus, comme si ce dernier faisait défaut à l’ordre bénéfique naguère providentiellement assigné à l’univers. En proie à des nostalgies bancales et à des haines confuses, cette femme de devoir, au sourire (socialiste) inoxydable mais dont la jeunesse s’enfuit inexorablement, l’est en effet aussi à des désirs, désordonnés et violents, sur lesquels elle n’est pas en mesure de mettre un nom, sinon celui de sexe (par provocation, impuissance et manque d’imagination réunis) ou de consommation (activité enfin autorisée, sinon prescrite). Mais, dressée par la rda, une Kornelia Sumpf ne peut rêver de posséder une Audi que juchée sur la selle de son vélo, prolétaire symbole d’une liberté de circulation qui s’étend désormais jusqu’à la célèbre Alexanderplatz (oncques immortalisée par Döblin et à présent livrée aux promoteurs). Sur son vélo, Kornelia roule, dérape dans la neige, tombe, se blesse, rencontre le parcours d’un marathon en folie où des vieillards cacochymes repoussent leurs limites au risque de leur vie, fait des rencontres, assiste à des accidents, se trompe de chemin, se met en retard, nouvelle Alice déjantée au pays sans merveilles, se cherche un avenir, une histoire qui serait enfin à elle et comblerait le manque, souffrant, sans le comprendre, du temps qui passe, de l’inassouvissement, de la solitude harassante qui règne dans une ville qui, pour avoir fait de la notion de communauté retrouvée son nouvel étendard, fièrement brandi à la face du monde, n’a, à l’instar de l’Europe dite unie, réussi à se fonder en transmission d’aucune sorte. Aussi mal à l’aise vis-à-vis d’un passé familial caviardé que frustrée par le morne présent qui lui est dévolu, cette “femme gauchère” porte sur ce qui l’entoure un regard tour à tour exalté et agressif, qui, tout en “scannant” avec trop d’ironie une vie sans espoir et des destinées sans grandeur (vieillards en déshérence ou “actifs” aliénés s’entassant dans l’enfer du métro), lamine les mythologies de la défunte rda comme les illusions de l’Allemagne nouvelle. Dans le décor chaotique d’une modernité violente placée sous le signe du marché libéral qui a pris ses quartiers en des lieux où, hier encore, sévissaient de tout autres mœurs et pratiques, sous les cieux plombés d’une ville immense dont la division fut l’un des symboles majeurs du xxe siècle, se déploie, tel un plan crypté (et cruellement poétique), l’impitoyable cartographie d’un monde aussi interdit d’authentique mémoire qu’il est assujetti au “devoir” de célébrer sans trêve cette dernière, quitte à la soumettre à une marchandisation aussi décomplexée que florissante. Ecrit à “l’impersonnel” (au “on”), Mélancolie vandale (non sans dérision sous-titré : roman rose) propose avec cet hommage paradoxal et désabusé rendu à une ville emblématique, une vision de nos temps contemporains aussi désespérée que lucide. Tant il est vrai que, avec ce roman puissamment baroque, aussi tragique que farcesque, Jean-Yves Cendrey, en avatar de Jérôme Bosch (ou en passager sidéré embarqué sur quelque nef des fous), semble ici sonner l’alerte sur la renaissance possible de la “bête immonde”, ce monstre familier aux multiples visages si prompt à prospérer, en temps de paix, sur tous les territoires abandonnés à sa férocité vorace.

Les ailes de l'exil. Un destin libanais

Les ailes de l'exil. Un destin libanais
Leroy Tanya
Ed. Riveneuve

Beyrouth 1979. Une petite fille, Caria, écoute apeurée le martyre de sa ville sous les bombes et la mitraille. La guerre fait rage mais n'empêche pas les week-ends à la plage, les réunions de famille, les sorties au restaurant. Ses parents se disputent et se séparent. Les combats s'intensifient et c'est le temps de la fuite à Chypre avec ses grands-parents, laissant derrière elle l'ami d'enfance et la terre des origines. Le remariage de sa mère les emmène à Bruxelles, où elle découvre cette Europe du Nord insoupçonnée, et l'exil qui s'installe désormais. 1996. Caria a grandi et c'est à son tour de fonder une famille. Entre ces deux dates, le destin nomade d'une femme libanaise à l'image de celui de toute une génération, entre les souffrances d'une guerre qui ne s'est jamais vraiment achevée et les espoirs fous, la force de la famille éclatée aux quatre coins du monde, les traditions, et surtout, cette incroyable résilience face à la vie.

Présents

Présents
Magloire Franck
Ed. Seuil

Un homme de trente ans est plongé dans un coma profond depuis six semaines.

Au cours d une journée de novembre rythmée par de soudaines chutes de neige, six personnes, proches parents de la victime et simples anonymes, s interrogent sur ce drame qui les réunit.

Ce n est pas la figure de l absent qui importe ici, mais ce qu elle révèle d ombre et de lumière chez ceux qui sont présents autour de lui.

Au-delà de l événement que tous traversent avec plus ou moins d implication et de force, chacun se trouve aussi dans un coma personnel dont il devra se réveiller pour faire face à lui-même, aux autres, à la société contemporaine et à tout ce qui constitue notre présent.

Une femme avec personne dedans

Une femme avec personne dedans
Delaume Chloé
Ed. Seuil

Une lectrice se suicide, se changeant en ange annonciateur : Ecris donc ce que tu as vu, ce qui est et ce qui doit arriver ensuite. Au-delà de cet événement et de la culpabilité de la narratrice, le roman est le lieu d'une véritable prise de conscience pour le lecteur : celle de la possibilité réelle d'une identification avec l'auteur-narrateur-personnage. Une identification non pas morbide cette fois-ci, mais romanesque, due à un autre événement tout aussi violent : celui du sentiment amoureux. Car ce livre est un roman d'amour, mettant en scène Chloé, Igor et La Clef, un homme, deux femmes. Et malgré l'ironie et la légèreté, il y a cet aveu tragique : ' J'ignorais qu'en aimant on pouvait à ce point perdre son identité '.Parce qu'elle écrit ce qu'elle a vu, ce qui est, mais doit également se pencher sur ce qui doit arriver, l'auteur soumet le lecteur à un quizz lui permettant d'être aiguillé sur l'une des trois fins proposées.

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