Quand s'ouvre le roman, le 10 mai 1981, Alice et Cécile ont seize ans. Trente ans plus tard, celles qui depuis l'enfance ne se quittaient pas se sont perdues.
Alice, installée dans un café, laisse vagabonder son esprit, tentant inlassablement, au fil des réflexions et des souvenirs, de comprendre la raison de cette rupture amicale, que réactivent d'autres chagrins. Plongée dans un semi-coma, Cécile, elle, écrit dans sa tête des lettres imaginaires à Alice.
Tissant en une double trame les décennies écoulées, les voix des deux jeunes femmes déroulent le fil de leur histoire. Depuis leur rencontre, elles ont tout partagé : leurs premiers émois amoureux, leurs familles, leur passion pour la littérature, la bande-son et les grands moments des «années Mitterrand». Elles ont même rêvé à un avenir professionnel commun.
Si, de cette amitié fusionnelle, Kéthévane Davrichewy excelle à évoquer les élans et la joie, si les portraits de ceux qu'Alice et Cécile ont aimés illuminent son livre, elle écrit aussi très subtilement sur la complexité des sentiments. Croisant les points de vue de ses deux narratrices, comme à leur insu, elle laisse affleurer au fil des pages les failles, les malentendus et les secrets dont va se nourrir l'inévitable désamour.
Car c'est tout simplement de la perte et de la fin de l'enfance qu'il s'agit dans ce roman à deux voix qui sonne si juste.
« Je n'ai jamais eu à chercher Dieu : je vis avec lui. Avant même que je sois extrait par des spatules du ventre de ma mère où je serais bien resté, si on m'avait demandé mon avis, il était en moi comme je suis en lui. Il m'accompagne tout le temps. Même quand je dors.
C'est ma mère qui m'a inoculé Dieu. Une caricature de sainte mystique qu'un rien exaltait, des pivoines en fleur aussi bien qu'une crotte de son dernier-né, au fond du pot. Je suis sûr qu'elle avait de l'eau bénite en guise de liquide amniotique. Elle exsudait la foi. »
« Alopécie androgénogénétique aiguë, accompagnée d'un léger effluvium télogène . » Par ces mots, Bastien Bentejac apprend, à vingt-six ans, qu'il est frappé de calvitie. Incapable de relativiser la nouvelle, il se croit atteint d'une maladie mortelle. Plus il est confronté à l'incompréhension de son entourage, plus il sombre. Enfermé chez lui, il se réfugie dans la littérature et sur des forums virtuels, où d'autres jeunes alopéciques épanchent leur souffrance.
Le monde qu'il retrouve deux mois plus tard lui semble métamorphosé. En vérité, lui-même a changé. S'accrochant à son obsession, il est persuadé qu'il doit réaliser quelque chose d'inouï pour donner sens à son chaos : ça y est, il est le Messie du peuple chauve. Reste à trouver comment s'adresser à l'humanité pour appeler son peuple à la révolte. Un providentiel sommet des Nations unies à l'enjeu planétaires lui en donnera peut-être l'occasion...
Portrait d'un insoumis qui va jusqu'au bout de son utopie, ce roman est aussi une réflexion sur la difficulté à discerner la part de folie : celui qui réussit est un génie, celui qui échoue est un fou.
«Elle n'avait pas eu une vie facile. Elle passait les détails, mais ce qu'il fallait qu'il sache, et puisque ça lui viendrait aux oreilles un jour ou l'autre elle devait le lui dire, c'est que les quatre hommes qu'elle avait aimés depuis son divorce étaient morts. Maurice faillit s'étrangler.
Ils sont morts de quoi ?
De mort naturelle, pardi !
Et ce fut elle qui s'étrangla de rire. Maurice la regardait, de plus en plus fasciné. Cette femme était exactement la femme dont il rêvait.
Bon, maintenant que tu sais, tu restes ?
Tu veux bien de moi ?
Et comment !
Ils se tapèrent dans la main comme pour conclure une bonne affaire (et Maurice n'osait croire qu'il venait de croiser l'amour une seconde fois, de façon si brutale, si forte, si rapide).»
En retrouvant des années plus tard une cousine perdue de vue, la narratrice se trouve plongée dans un univers qui l'effraie et la fascine jusqu'au vertige. Les personnages de ce nouveau roman de Nathalie Kuperman sont impressionnants de brutalité, presque de sauvagerie, et pourtant bouleversants de franchise, d'humanité blessée.
Fin des années 80, dans une banlieue cossue, quelque part en province.
Une année de terminale particulièrement éprouvante pour le narrateur, fils aîné d'une famille de notables catholiques, qui essaie en vain de trouver des explications à son indifférence aux autres, à son incapacité à ressentir le moindre événement. Cependant, un regard, une musique, ou l'atmosphère de la campagne alentour lui rappelle qu'il y a quelque chose à trouver, là, près de lui, quelque chose de vital, de l'amour peut-être... Seul ou avec sa bande d'amis, il se laisse entraîner dans des situations de plus en plus angoissantes, dévoilant progressivement une réalité insoupçonnée qui réveille le clown de ses cauchemars d'enfant. Cette figure obsédante va le confronter d'une manière d'abord elliptique, puis de plus en plus fatale, aux agissements de son père.
« Minuit sonne à l'église. Mes pensées se déposent en espagnol, comme si la langue de mon enfance m'avait recolonisée tout entière, une flaque d'or s'élargissant au fond de moi. Toute la colline fermente contre le ciel, autant d'arbres fraternels, soudés comme les vagues dans la mer, bercée par leur masse en mouvement. Les morts sont autant d'arbres, ils poussent parmi nous, mêlés à nous, être mort est une belle chose, simple et agréable. La nuit est douce, piquetée d'astres, j'imagine les chèvres dans les cimetières goûtant de leur langue rêche la bière répandue sur les tombes.
Une balle tirée d'un point obscur pourrait pénétrer par la fenêtre et m'atteindre à cet instant. C'est une conviction très forte, une évidence en cette nuit des morts : quelqu'un est là, qui me vise le coeur. »
Lire l'article du Monde.fr
Ce florilège des entretiens de Perec permet de suivre le cheminement de l'écrivain à partir de l'automne 1965, où son premier roman publié, Les Choses, obtient le prix Renaudot, jusqu'à l'automne 1981, où - très sollicité depuis La Vie mode d'emploi qui lui a valu le prix Médicis en 1978 et l'a imposé définitivement sur la scène littéraire - Perec effectue plusieurs séjours à l'étranger. Si au tournant des années 80 La Vie mode d'emploi reste au coeur de nombreux échanges, l'heure est souvent aux entretiens thématiques (le jeu, la judéité, le rôle de la mémoire et des contraintes), mais aussi aux bilans et retours en arrière : ses interlocuteurs l'invitent ainsi à jeter un regard rétrospectif sur son oeuvre et à s'interroger sur son évolution. Autre aspect important des propos de cette époque: l'écrivain s'identifie de plus en plus nettement à la cause de l'Ouvroir de littérature potentielle réuni depuis 1960 autour de Raymond Queneau et François Le Lionnais et au sein duquel Perec a été coopté en 1967.
«À treize ans, je perds toute ma famille en quelques semaines. Mon grand frère, parti seul à pied vers notre maison de Phnom Penh. Mon beau-frère médecin, exécuté au bord de la route. Mon père, qui décide de ne plus s'alimenter. Ma mère, qui s'allonge à l'hôpital de Mong, dans le lit où vient de mourir une de ses filles. Mes nièces et neveux. Tous emportés par la cruauté et la folie khmères rouges. J'étais sans famille. J'étais sans nom. J'étais sans visage. Ainsi je suis resté vivant, car je n'étais plus rien.»
Trente ans après la fin du régime de Pol Pot, qui fit 1,7 million de morts, l'enfant est devenu un cinéaste réputé. Il décide de questionner un des grands responsables de ce génocide : Duch, qui n'est ni un homme banal ni un démon, mais un organisateur éduqué, un bourreau qui parle, oublie, ment, explique, travaille à sa légende.
L'élimination est le récit de cette confrontation hors du commun. Un grand livre sur notre histoire, sur la question du mal, dans la lignée de Si c'est un homme de Primo Levi, et de La nuit d'Elie Wiesel.
Le titre du recueil donne déjà le ton de l’ensemble des nouvelles. C’est une invitation déroutante au voyage. On songe à Venise ou Versailles, à des peintres du XVIIIe ou XIXe siècle et l’on se trouve à Tervuren, aux environs de Bruxelles, en compagnie d’ombres inquiétantes, celles de deux artistes célèbres qui scandalisèrent leur temps, l’Angleterre puritaine. Si le décor des autres récits est également bruxellois, tous les personnages sont actuels. Autre point commun entre les personnages principaux du livre : ils sont tous féminins et cultivent l’art de vivre autrement.
Ce fantastique allusif plutôt que spectaculaire se situe dans une certaine tradition anglo-saxonne ou latino-américaine : ainsi s’explique, chez l’auteur, une prédilection marquée pour henry James, Silvina Ocampo et Gabriel Garcia Marquez.
Née à Bruxelles, Anne Richter a enseigné la littérature française. Elle partage actuellement son temps entre la création et la critique. Nouvelliste, essayiste, anthologiste, elle est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages.
C’est à la réalisation d’un faux Condottière, le célèbre tableau du Louvre, peint par Antonello da Messina en 1475, que s’est voué depuis des mois le héros de ce livre. Gaspard Winckler est un peintre faussaire. Maître de ses techniques, il n’est pourtant qu’un simple exécutant d’un commanditaire, Anatole Madera. Comme dans un bon polar, dès la première page du livre, Winckler assassine Madera. Ce roman enquête sur les mobiles de ce meurtre dont l’une des raisons sera l’échec du faussaire à rivaliser avec le peintre de la Renaissance. La question du faux en peinture parcourt toute l’œuvre de Perec, et le personnage de fiction, nommé Gaspard Winckler,
apparaît aussi dans La Vie mode d’emploi et dans W ou le souvenir d’enfance. Quant au dernier roman publié du vivant de Perec, Un cabinet d’amateur (1979, 'La Librairie du XXe siècle'), il a pour sous-titre 'Histoire d’un tableau'. Du Condottière, Georges Perec a dit : il est le 'premier roman abouti que je parvins à écrire'. Dans sa préface, Claude Burgelin, rappelle qu’après le double refus, du Seuil et de Gallimard, de publier ce roman, Perec écrivait le 4 décembre
1960, à un ami : 'Le laisse où il est, pour l’instant du moins. Le reprendrai dans dix ans, époque où ça donnera un chef-d’œuvre ou bien attendrai dans ma tombe qu’un exégète fidèle le retrouve dans une vieille malle…' Plus d’un demi-siècle après, on va pouvoir enfin découvrir ce roman de jeunesse de Georges Perec, égaré puis retrouvé 'dans une vieille malle'.