« Je suis une ligne simple, je l'ai déjà dit : si je n'invente pas l'histoire, elle n'existe pas. J'applique cependant ce précepte au seul passé, celui qui est dûment avéré et consigné. L'invention du passé est plus intéressante que celle du futur qui n'est que trop prévisible. »
Les dix-neuf nouvelles qui composent ce recueil sont toutes mauvaises. La pire est incontestablement, à l’instar de son titre, Victoire du nazisme : trop longue, larmoyante, nombriliste, décousue et contrefactuelle. Les autres sont heureusement plus courtes.
Un journaliste, mélancolique, désoeuvré, accablé par un deuil, mène l'enquête auprès de ceux qui ont connu Anaïs, jeune fille assassinée. Sur son chemin, il croise des personnages atypiques : Petit Louis, le grand Mao, Toto Beauze, le Légionnaire... Au prétexte d'un meurtre, Lionel-Édouard Martin, auteur d'une vingtaine d'ouvrages, né dans la Vienne en 1956, détourne la notion d'enquête et transgresse toutes les règles du roman policier. Si du genre il conserve la tension caractéristique, c'est pour mieux dire les incertitudes de l'existence et dresser le portrait d'hommes et de femmes aussi singuliers qu'ordinaires.
Des barres d'HLM ponctuent ce large bout de plaine. La géographie locale est comme de la parole qui décroît en force et en signification : les phrases se développent du coeur de la ville, haut juché, bourgeois, vers les berges du Clain ; puis ça remonte, sec et prolétaire, affaibli, vers des coteaux, avant de s'éluder, tout à voix mal audibles, fluettes, vers le pourtour, qui est de plat pierreux. C'est à Poitiers, et ça pourrait bien être ailleurs, avec un autre nom, quelque part en province, un autre cours d'eau, mais la même histoire, les mêmes colline (...)
Tout commence avec l'innocente Marie Granville, servante d'une riche ferme du Cotentin. L'admirable portrait de cette ingénue ouvre un roman gigogne qui se déploie de chapitre en chapitre. C'est ainsi qu'on découvre les Vuillard et les Lamaury, le procureur Darban, l'avocat Laribière et ses réceptions tristes sous l'Occupation.
Au gré des folies de l'adolescence, du jeu sans fin des fiançailles, des petits et grands désastres du mariage bourgeois, on ressort bouleversé par les figures de femmes qui habitent ce roman limpide, construit par bonds et retours fulgurants, comme pour tout saisir de l'appel désespéré du désir, tandis que le bonheur se dérobe comme un rêve d'enfance.
Fresque aux abords feutrés, soudain déchirante, Mai en automne restitue avec une incroyable acuité romanesque l'éclat brut des passions, cette pure énergie qui ébranle les êtres jusque-là suspendus au simple égarement de la vie qui passe.
Un premier roman magistral.
Enfance bruxelloise. L'école où, catatonique d'ennui, je regardais par la fenêtre la pluie tomber. Week-ends à Ostende avec l'ombre d'Ensor toute proche. Ma grand-mère était folle. Hystérique façon Charcot. Mon Tonton, lui, donnait plutôt dans le légèrement psychopathique. Et mon père était prêt à partir n'importe où : Argentine, Amérique... N'importe où, du moment que c'était loin... Foutons le camp, qu'il disait... Tout ce petit monde n'allait pas très bien. Notre médecin de famille était psychiatre, c'est dire... Alors moi, à force, je suis d'abord devenu névrosé, et ensuite, bien plus tard, analyste... Et entre-temps, à l'adolescence fraîche et joyeuse comme la guerre du même nom, j'ai tenté de rejoindre les Tupamaros en Uruguay. J'ai fini sous une tente, dans la montagne, du côté de Briançon...
Enfin, pour faire injure au temps qui passe, et vaincre mes obsessionnelles inhibitions, après mon analyse et grâce à elle, je me suis forcé à écrire. À écrire malgré tout.
Un roman ? Un roman oui, si l'on veut... Mais un roman dont seule la psychanalyse serait alors l'héroïne et la profonde trame.
Dans sa jeunesse, Simon Leys passa deux ans dans une cahute de Hong Kong en compagnie de trois amis, une période bénie où « l'étude et la vie ne formaient plus qu'une seule et même entreprise ». C'est en souvenir de ce gîte régi par l'échange et l'émulation, surnommé « Le Studio de l'inutilité », qu'il a baptisé ce recueil consacré à ses domaines de prédilection : la littérature, la Chine et la mer. Il y éclaire la « belgitude » d'Henri Michaux, dépeint la personnalité de George Orwell, analyse les rouages du génocide cambodgien, épingle les notes de Barthes visitant la Chine maoïste, débrouille les énigmes du « miracle chinois » à la lumière tragique des analyses de Liu Xiaobo, Prix Nobel de la Paix toujours emprisonné. Infligeant de salutaires accrocs à la pensée unique, Leys fait partager ses curiosités et ses admirations, ses enthousiasmes et ses indignations. Ce Studio est une ode au savoir « inutile » et à la quête désintéressée de la vérité.
« On peut très bien vivre dans des zones contaminées : c'est ce que nous assurent les partisans du nucléaire. Pas tout à fait comme avant, certes. Mais quand même. La demi-vie. Une certaine fraction des élites dirigeantes - avec la complicité ou l'indifférence des autres - est en train d'imposer, de manière si évidente qu'elle en devient aveuglante, une entreprise de domestication comme on en a rarement vu depuis l'avènement de l'humanité. »
Christian Beck est né à Verviers (Belgique) en 1879. Homme à facettes multiples, s'affranchissant de toutes contraintes et de tous compromis, il crée l'une des meilleures revues que la Belgique ait connues : Antée. Elle servira de modèle à la NRF.
Fervent défenseur de la langue française, il est l'un des précurseurs de ce qui deviendra la francophonie.
Mystique et agnostique, naïf et cynique, romantique et visionnaire, Christian Beck occupe une place à part dans le milieu littéraire de ce début du XXe siècle. Écrivain vagabond à l'instar de Gorki, il parcourt une bonne partie de l'Europe à pied.
L'action du Papillon, paru en 1910, se situe en grande partie en Italie. Sous les traits de Voldemar, son double littéraire, Christian Beck témoigne d'une époque et de ce qui comptait pour cet homme curieux et attachant : les femmes, les voyages, la table, le vin, le jeu, la philosophie et la littérature.
Il s'est éteint en 1916, à trente-sept ans, emporté par la tuberculose. Apprenant sa mort, André Gide écrit : «C'était un esprit foisonnant qui promettait d'avoir beaucoup à dire, et je ne croyais pas possible qu'il nous quittât avant d'avoir parlé.»
Sa fille, Béatrix Beck, obtiendra le prix Goncourt en 1952 pour Léon Morin prêtre.
Le lecteur trouvera au début de la présente édition une double présentation de l'ouvrage et de son auteur, l'une par Raphaël Sorin, l'autre par Béatrice Szapiro, arrière-petite-fille de Christian Beck.
Un soir à Paris, Daniel Mercier, comptable, dîne en solitaire dans une brasserie, quand un illustre convive s'installe à la table voisine : François Mitterrand. Son repas achevé, le Président oublie son chapeau, que notre Français moyen décide de s'approprier en souvenir. Il ignore que son existence va en être bouleversée. Tel un talisman, ce célèbre feutre noir ne tarde pas à transformer le destin du petit employé au sein de son entreprise. Daniel aurait-il percé le mystère du pouvoir suprême ? Hélas, il perd à son tour le précieux objet qui poursuit sur d'autres têtes son voyage atypique au sein de la société française des années 1980.
Cette fable pleine d'esprit et de malice possède comme le fameux chapeau un charme mystérieux - celui de ressusciter une époque et, surtout, de mettre au jour à travers une galerie de personnages notre rêve commun : voir s'accomplir par magie nos désirs les plus secrets.
Sarajevo omnibus propose un portrait de la ville de Sarajevo à travers différents personnages historiques ou lieux emblématiques, qui ont tous un rapport avec la tragédie inaugurale du vingtième siècle : l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand le 28 juin 1914. Ainsi nous rencontrons tour à tour Gavrilo Princip, ce jeune Serbe dont le geste déclencha le cataclysme de la Première Guerre mondiale ; Viktor Artamanov, affairiste russe illuminé, qui finança au nom du tsar l'aventure de la « Main Noire », organisation terroriste vouée à la libération de la Serbie du joug austro-hongrois ; le fondateur de la Main Noire, le colonel Dimitrijevi(...) dit « Apis », qui bâtissait ses théories grand-serbes en buvant de la slivovice dans un fameux bistrot de Belgrade ; Ivo Andri(...), immense écrivain, Prix Nobel, qui appartint un temps à cette mouvance... Mais aussi des personnages oubliés, tels le rabbin Abramovicz, philosophe et poète, qui reçut dans la nuque l'une des cinq balles destinées à l'archiduc, le curé Latinovi(...), fêtard repenti, ou encore l'imam Dizdarevi(...) - seul Bosniaque à avoir peur de sa femme, dit-on. Sans oublier Nikola Barbari(...), grand-père de l'auteur, également présent lors de l'attentat, personnage fantasque qui eut quatre épouses et plusieurs vies. Tous ont assisté à la mort de l'archiduc.
Le récit de Velibor (...)oli(...) n'est jamais pesant ni funèbre, mais vif, précis, surprenant, enjoué. Il considère avec une distance désabusée l'enchaînement de circonstances horribles et comiques qui constitue l'histoire des hommes.
Elle était la reine de Jhansi, un royaume libre du centre de l'Inde. Une jeune veuve de trente ans, impétueuse, fière, et qui n'avait peur de rien ni de personne. Ses sujets l'appelaient Lakshmi Baï et ses proches Chabili, c'est-à-dire la «Chérie». Mais ses ennemis les Anglais la surnommaient Jézabel, ou Jeanne d'Arc, comme la sorcière française.
Elle mourut à la guerre, habillée en garçon, les rênes de son cheval entre les dents, une épée dans chaque main et ses perles au cou. Ce mouvement de libération nationale que l'on connaît sous le nom de «révolte des cipayes» déchira le ventre de l'Inde au milieu du XIXe siècle, lorsque les soldats indigènes à peau sombre qu'on appelait «cipayes» se soulevèrent contre leurs maîtres blancs, surnommés «John Company», en référence à la Compagnie de l'Inde orientale qui rançonnait le pays.
Trop d'humiliations, trop de rajas détrônés, trop d'exploitations, de brimades... Un jour, tout explosa. L'insurrection naquit, irrésistible. La guerre d'indépendance indienne dura deux ans, deux terribles années de victoires et de massacres, largement commentés depuis Londres par deux correspondants de presse, Karl Marx et Friedrich Engels.
Quand sa guerrière mourut, l'Inde cessa d'être libre. Mais encore aujourd'hui, les petits Indiens apprennent à l'école la chanson qui célèbre sa gloire. Un destin fulgurant, chanté par tout un peuple, et raconté avec force par Catherine Clément, qui retrouve ici l'Inde qu'elle connaît si bien.