'Elle est notre Tchekhov' Cynthia Ozick
« Sur le quai de la gare, un chat noir croise obliquement leur chemin. Elle déteste les chats. Plus encore les chats noirs. Mais elle ne dit rien et réprime un frisson. Comme pour récompenser cette retenue, il annonce qu’il fera le voyage avec elle jusqu’à Cannes, si elle le veut bien. C’est à peine si elle peut répondre tant elle éprouve de gratitude. »
Les personnages d’Alice Munro courent après le bonheur. Quête vaine, éperdue, étourdissante, mais qu’ils poursuivent sans relâche. Dans ce recueil de nouvelles, on croise une étudiante qui accepte les propositions indécentes d’un vieillard, une mère en deuil qui change d’identité ou une femme affrontant enfin sa part de cruauté. D’une écriture précise et sensible, Alice Munro met en évidence les lignes de force invisibles guidant chaque destin.
Dans l'Espagne des années quarante, le Ballot et le Chinois grandissent ensemble dans l'appartement de leur grand-mère. Les journées des deux cousins, âgés d'une douzaine d'années, passent au rythme des leçons de boxe de Don Rodolfo, des lointains échos de la guerre et des anecdotes rapportées par le voisinage. Jusqu'au jour où Elke, une jeune orpheline de guerre allemande, s'installe deux étages plus bas chez la tante Gloria qui l'a adoptée. Accompagnés par cette complice casse-cou dans leurs équipées, les deux garçons vont se retrouver grandis et tomberont l'un et l'autre sous l'emprise de « l'éternel féminin », comme le dit Don Rodolfo...
Álvaro Pombo déploie ici une galerie de personnages bigarrés, dont chaque membre sera tour à tour dépeint dans ses travers comme dans ses actes héroïques, toujours avec drôlerie.
« Le sens de l'humour déborde de toutes parts d'anecdotes qui, par ailleurs, ne sont pas exemptes de tendresse. » (Leer)
« Une fantastique description du monde de l'enfance, dans un style renversant. » (José Antonio Marina)
Fin des années 1970, quatre adolescentes confrontées à la maternité : Sandy, mariée à un paumé de dix-neuf ans peu concerné par son rôle de père ; Tara, produit d’une famille désunie, seule avec son enfant ; Wanda, toujours fêtarde malgré un bébé de trois mois ; Jill, enceinte, et dans la peur de l’annoncer à ses parents.
Un même amour maternel unit ces jeunes filles : leur bébé, c’est leur seule réussite, l’unique preuve de leur importance. Elles le nourrissent, le dorlotent, le déguisent, jouent avec comme à la poupée, le malmènent, aussi. Sur les marches d’une laverie automatique, leur lieu de rendez-vous favori, elles se racontent leurs histoires et parlent télé, cinéma, magazines… Jusqu’à ce que la venue de deux femmes en quête d’enfants fasse basculer ces vies d’une banalité à la fois touchante et terrifiante.
Avec ce premier roman paru en 1981 aux États-Unis, Joyce Maynard signe un subtil portrait – toujours d’actualité – de l’Amérique profonde.
« J’ai grandi sans beaucoup d’illusions. Nous étions raisonnables, réalistes, prosaïques, sans romantisme, nous avions conscience des problèmes sociaux et étions politisés. Les Kennedy étaient les héros de nos contes de fées, l’intégration, la conquête de l’espace et la Bombe les trames de nos premières années scolaires… »
Lorsqu’elle témoigne ainsi sur sa génération, au tout début des années 1970, Joyce Maynard a dix-huit ans. Un article publié dans le New York Times lui avait valu des tonnes de courrier et l’attention de beaucoup, dont celle d’une légende de la littérature, J.D. Salinger, de trente-cinq ans son aîné.
Paru un an plus tard, Une adolescence américaine en est la conséquence et la suite. À la fois mémoire, histoire culturelle, et critique sociale, cette série de courts essais établit, avec un étrange mélange de maturité et de fraîcheur, la chronique d’une adolescence américaine durant cette période charnière. Avec la crise de Cuba, la guerre du Vietnam, Pete Seeger, Joan Baez, Woodstock, les fleurs dans les cheveux, le Watergate, la minijupe, l’herbe. La très jeune auteure se fait aussi l’expert, avec une autorité parfois désarmante encore qu’irrésistible, des problèmes de son âge : l’anorexie, la minceur et le paraître, le rapport entre les sexes, les premières sorties, le Prince charmant boutonneux et la vierge aux pieds plats. Nous donnant, au final, un texte intemporel qui connut à sa parution un succès prodigieux.
«La disparition soudaine, complète, totale, de tout son propre poids, accompagnée et même immédiatement suivie, c’est logique, de la conscience aiguë d’avoir perdu ledit poids de manière si subite. S’éloigner rapidement, de plus en plus rapidement, d’un très bref instant de suspension. Mais nous n’avons pas le temps de spéculer sur cela : d’innombrables souvenirs occupent tout notre être. Ils ne se succèdent ni en ordre chronologique ni par ordre d’importance, ils viennent à notre rencontre depuis toutes les directions, en vrac, eux aussi à une vitesse croissante, épisodes significatifs, futiles, très futiles et très significatifs ; femmes, hommes, enfants, animaux, plantes, fleurs, parfums, autres odeurs, saveurs, une vue d’arbres, l’image d’une vipère qui dévore un crapaud, notre père qui rit, notre mère qui rit, pleure, rit de nouveau puis pleure de nouveau ; les yeux d’un homme que nous avons haï et le pourquoi de cette haine ; les mains d’une femme : la droite qui saisit les doigts de la gauche et les courbe vers le haut, regarde comme j’arrive à les courber, fait sa voix, les femmes arrivent toujours à courber leurs doigts d’une façon incroyable, songeons-nous, ce que nous n’avons jamais su et ne saurons jamais faire, nous, car il n’est plus rien que nous saurons faire : nous nous hâtons de quitter tout et tous, toutes les choses et tous les gens ; tout ce qui n’est pas à nous est déjà derrière nous. Tout est suspendu. Nous tombons. Précisément aujourd’hui, précisément maintenant et par surprise. Et, de fait, nous n’avons pas peur : nous sommes surpris. Nous pensions être prêts et nous avons été pris au dépourvu. Nous étions distraits. Nous devions vivre. Jamais été prêts, songeons-nous en tombant, mais jamais eu ni argent ni peur non plus. Et tandis que la simplicité de notre vie, que nous croyions si compliquée, n’en finit pas de nous surprendre, voici que tout notre poids nous est rendu.»
Treize rassemble pour la première fois toutes les nouvelles de Vitaliano Trevisan. Réunies, elles forment un ouvrage singulier, d’une puissance littéraire exceptionnelle, signé par un des auteurs italiens les plus importants aujourd’hui.
A raw, startling, genre-defying novel of friendship, sex, and love in the new millennium—a compulsive read that's like 'spending a day with your new best friend' (Bookforum)
Reeling from a failed marriage, Sheila, a twentysomething playwright, finds herself unsure of how to live and create. When Margaux, a talented painter and free spirit, and Israel, a sexy and depraved artist, enter her life, Sheila hopes that through close—sometimes too close—observation of her new friend, her new lover, and herself, she might regain her footing in art and life.
Using transcribed conversations, real emails, plus heavy doses of fiction, the brilliant and always innovative Sheila Heti crafts a work that is part literary novel, part self-help manual, and part bawdy confessional. It's a totally shameless and dynamic exploration into the way we live now, which breathes fresh wisdom into the eternal questions: What is the sincerest way to love? What kind of person should you be?
Voir sur vimeo un entretien avec Sheila Heti
En 1913, la jeune couturière Marta Haddad quitte Beyrouth pour rejoindre son mari Khalil, parti travailler aux Etats-Unis peu de temps après leur mariage. La traversée est une épreuve, tout comme le séjour en quarantaine à Ellis Island, mais Marta a confiance en l'avenir et en cette terre d'accueil. Le choc est pourtant immense quand elle découvre que son mari vit avec une Américaine en Louisiane et qu'il ne l'attend déjà plus...
Marta se ressaisit, devient d'abord vendeuse itinérante avant d'ouvrir un magasin à Philadelphie. Khalil perd la vie au milieu des troupes américaines pendant la Première Guerre mondiale, elle peut donc se remarier et épouse Ali Jaber. Mais la crise de 1929 frappe de plein fouet, et pour échapper à la misère Marta n'a d'autre choix que de s'installer sur des terres agricoles achetées avant la crise en Californie, avec Ali et leurs quatre enfants. Un nouveau départ - un de plus, dans la vie de Marta, héroïne attachante de cette vaste fresque de l'immigration que constitue Amerika.
Ce quatrième et avant-dernier volume est consacré aux treize nouvelles que Lawrence écrivit dans les années 1924-1928, une période encore fortement marquée par le souvenir de ses séjours au Mexique et au Nouveau-Mexique qui donnèrent également lieu à l’écriture des essais réunis dans Matins mexicains que nous avons publié au printemps dernier.
Les nouvelles de ce recueil, le dernier composé par Lawrence lui-même de son vivant, paru en 1928, reflètent une fois encore les errances de leur auteur, toujours en quête d’un départ plus radical, vers des lieux « où il aurait l’impression de pouvoir se promener sur une crête au bord de l’existence », comme il l’écrit dans une lettre d’octobre 1923.
Dans la nouvelle titre du recueil, la femme qui s’enfuit de l’hacienda où elle vit avec son mari et ses enfants pour partir à la rencontre des dieux inconnus des Indiens chilchuis se laissera passivement conduire jusqu’au sacrifice et à cette dissolution dans la mort qui était déjà l’aboutissement de « L’officier prussien » et de « Chère, ô chère Angleterre », dans les deux recueils précédents.
« Soleil », où une jeune femme s’offre au soleil sicilien pour « dissoudre les nuages noirs et froids de ses idées », préfigure L’Amant de lady Chatterley, même si l’héroïne n’osera pas aller jusqu’au bout de ce que son corps réclame pour se donner au paysan sicilien qui l’a surprise nue.
D’une plume devenue de plus en plus vive, impatiente et sarcastique avec le temps, d’autres nouvelles explorent, à travers des portraits à peine transposés de ses amis ou des souvenirs personnels de sa vie avec son épouse Frieda, les difficultés du couple, la jalousie (« Deux oiseaux bleus »), la confrontation de deux classes sociales (« Jimmy et la femme désespérée », reflet d’un retour de l’auteur, en 1924, au pays minier de son enfance). Ce « rire de dérision », qui surgit ainsi dans l’œuvre en général et dans les nouvelles en particulier, n’est autre qu’un des attributs du dieu Pan, symbole « d’une relation vivante entre l’homme et l’univers », auquel, dans ces années-là, Lawrence s’identifie de plus en plus.
Nous assistons ici, sous la plume de Josep Pla, à la genèse d'une écriture capable de dépeindre à la fois l'agitation de la Barcelone la plus avant-gardiste - celle de Gaudí et des cafés littéraires - et la vie quotidienne de Palafrugell, le petit village de la région de l'Empourdan où l'auteur retrouve avec bonheur ses amis d'enfance et la maison familiale. Considéré comme l'un des grands classiques de la littérature catalane du XXe siècle, Le cahier gris est ce livre unique où un homme finit par incarner, sans le savoir, le style et la sensibilité d'une nation et d'une époque. Il met en scène le désoeuvrement d'un jeune étudiant en droit qui rêve de devenir écrivain et dont le journal intime, débuté en 1918 pendant l'épidémie de grippe espagnole, se transforme peu à peu en un laboratoire secret où se forge la meilleure prose du catalan moderne.
Pla accomplit son exploit comme il a vécu : discrètement, avec intelligence et humour, toujours épaulé par une ironie qui nous laisse deviner le fond sensuel et raffiné de sa culture. Si, au fil des pages, sa galerie de portraits nous le montre ainsi comme un observateur hors pair de la comédie humaine, ses maximes, ses commentaires politiques et ses jugements littéraires font de lui un remarquable moraliste et l'un des esprits les plus lucides de sa génération. Cependant, l'essentiel reste pour Pla la création de ce qu'il appelle lui-même une littérature sans fioriture, fondée sur la compréhension, la clarté et la simplicité. Autrement dit, «une littérature pour tout le monde». C'est bien ce qui fait du Cahier gris un classique et une oeuvre qui, à l'image de Barcelone, est en même temps profondément catalane et radicalement cosmopolite.
«À travers l’écriture, je m’approche du moi-même d’il y a cinquante ans, pour un jubilé personnel. L’âge de dix ans ne m’a pas porté à écrire, jusqu’à aujourd‘hui. Il n’a pas la foule intérieure de l’enfance ni la découverte physique du corps adolescent. À dix ans, on est dans une enveloppe contenant toutes les formes futures. On regarde à l’extérieur en adultes présumés, mais à l’étroit dans une taille de souliers plus petite.»
Comme chaque été, l’enfant de la ville qu’était le narrateur descend sur l’île y passer les vacances estivales. Il retrouve cette année le monde des pêcheurs, les plaisirs marins, mais ne peut échapper à la mutation qui a débuté avec son dixième anniversaire. Une fillette fait irruption sur la plage et le pousse à remettre en question son ignorance du verbe aimer que les adultes exagèrent à l’excès selon lui.
Mais il découvre aussi la cruauté et la vengeance lorsque trois garçons jaloux le passent à tabac et l’envoient à l’infirmerie le visage en sang. Conscient de ce risque, il avait volontairement offert son jeune corps aux assaillants, un mal nécessaire pour faire exploser le cocon charnel de l’adulte en puissance, et lui permettre de contempler le monde, sans jamais avoir à fermer les yeux.
Erri De Luca nous offre ici un puissant récit d’initiation où les problématiques de la langue, de la justice, de l’engagement se cristallisent à travers sa plume. Arrivé à l’«âge d’archive», il parvient à saisir avec justesse et nuances la mue de l’enfance, et ainsi explorer au plus profond ce passage fondateur de toute une vie.