Un chasseur de lions

Un chasseur de lions
Rolin Olivier
Ed. Seuil/Fiction & Cie

Il y a vingt-cinq ans, dans un livre acheté en Patagonie, je découvrais l'existence d'un pittoresque aventurier français de la fin du XIXe siècle. Trafiquant d'armes, magnétiseur, chercheur de trésors, explorateur, hâbleur, il avait mené en Terre de Feu une expédition qualifiée de «funambulesque». Bien des années plus tard, j'apprenais qu'il était aussi un ami de Manet, et que le peintre d'Olympia avait fait de lui un curieux portrait en chasseur de lions.Voici, romanesque et romancée, leur histoire croisée. On y passe des Grands Boulevards aux rives du détroit de Magellan, on y traverse des révolutions au Pérou, la Commune de Paris et la Semaine sanglante, on y croise Mallarmé, Berthe Morisot, une comtesse pétroleuse, un mutin sanguinaire, une femme sauvage, de supposés cannibales... Au fond du paysage, il y a aussi l'auteur, à la recherche du temps qui a passé : seule chasse où l'on est assuré d'être, au bout, tué par le fauve, seule exploration qui finit toujours sous la dent des anthropophages.  O. R.

L'amant des morts

L'amant des morts
Riboulet Mathieu
Ed. Verdier

Jérôme Alleyrat avait seize ans quand son père prit l'habitude de coucher avec lui, et lui avec son père. La mère a décidé de s'enfuir. Quand il arrive à Paris, un matin de septembre 1991, il a vingt ans.

A cette date, l'épidémie de sida bat son plein. Peu concerné par cet événement, tout entier concentré sur la quête d'un plaisir qui frôle l'anéantissement de soi, Jérôme est arrêté au beau milieu de son accomplissement par l'irruption sous son toit de la maladie, en l'espèce : son voisin de palier qu'il recueillera, soignera, accompagnera jusqu'à la fin.

De cet épisode fondateur découlera l'orientation de sa vie tout entière.

Sa trajectoire remet au centre de notre attention ce qui désormais a disparu derrière le rideau de fumée de la réification triomphante : le goût du sexe, l'élan vers l'autre, la tentation du bien...

Léonard et Machiavel

Léonard et Machiavel
Boucheron Patrick
Ed. Verdier

La scène se passe à Urbino, au palais ducal, à la fin du mois de juin 1502. Dans l'effet de souffle des guerres d'Italie, les petits États tremblent sur leur base ; ils seront à qui s'en emparera hardiment. Insolent et véloce comme la fortune, César Borgia est de ceux-là.

Le fils du pape donne audience à deux visiteurs. Le premier est un vieux maître que l'on nomme Léonard de Vinci, le second un jeune secrétaire de la Chancellerie florentine du nom de Nicolas Machiavel.

De 1502 à 1504, ils ont parcouru les chemins de Romagne, inspecté des forteresses en Toscane, projeté d'endiguer le cours de l'Arno. Un même sentiment d'urgence les fit contemporains. Il ne s'agissait pas seulement de l'Italie : c'est le monde qui, pour eux, était sorti de ses gonds.

Comment raconter cette histoire, éparpillée en quelques bribes ? Léonard ne dit rien de Machiavel et Machiavel tait jusqu'au nom de Léonard. Entre eux deux coule un fleuve. Indifférent aux efforts des hommes pour en contraindre le cours, il va comme la fortune.

Alors il faut le traverser à gué, prenant appui sur ces mots rares et secs jetés dans les archives comme des cailloux sonores.

Suis-je encore vivante ?

Suis-je encore vivante ?
Réal Grisélidis
Ed. Verticales

« La vie en prison continue. Dehors un merveilleux printemps, éblouissant, juteux, se déverse et nous n'en apercevons qu'une goutte à l'intérieur des cellules. Parfois un avion passe dans le carré de ciel et semble briser l'épine dorsale de la maison. »

En février 1963, Grisélidis Réal est incarcérée à la prison pour femmes de Munich où elle demeure sept longs mois. Elle y tient son journal, entre peinture d'une âme en peine et chronique de captivité. Ce document brut, découvert peu après sa mort, constitue le premier texte d'une jeune prostituée se révélant écrivain. Il ajoute un dernier épisode saisissant au récit autobiographique Le noir est une couleur.

De loin on dirait une île

De loin on dirait une île
Holder Eric
Ed. Dilettante

On s'en doutait depuis ses débuts comme coursier (Nouvelles du Nord ), mais la chose, là, devient claire : Éric Holder est un héros de western. Manière d'éperonner amoureusement les paysages, de humer la tension d'un village en s'invitant dans ses bars, d'en capter le charme par la voix des femmes, le regard des hommes, de dénicher au repli d'une dune, au recès d'un abribus des figures hors norme, des communautés étranges, de surfer sur la violence d'un lieu, la captant, la déjouant. Sa petite caravane familiale a décidé de se poser en Médoc, à la pointe de la Gascogne, entre Gironde et Atlantique, et tout dès lors de s'organiser selon : aérer le jardin à la faux, mener le fils à l'école, apprivoiser les comptoirs, prendre les natifs au rets d'amitiés vraies, orchestrer les jeux des chats, jouer les paratonnerres souriants (notre homme, parmi d'autres activités, est un grand friseur d'incidents). Holder nous conte les aléas de son implantation pionnière par scènes rapides, à la foulée brève, nourries de dialogues taillés juste. Mais le Médoc est une terre rongée par la mer, placée face à la voracité tranquille de l'océan : le geste des Holder y gagne alors une gravité sourde qui donne au récit un caractère d'éternelle fin d'été. La mort est en terrasse et ne semble sommeiller. Profitons-en.

Vue sur la mère

Vue sur la mère
Almendros Julien
Ed. Dilettante

On connaît l'enfance « vipère au poing » ; on la connaît moins « couleuvre au cou ». C'est en effet la situation du récitant, qui nous vient au monde strangulé par son cordon ombilical : image d'une dépendance et d'une appropriation maternelle reptilienne avec laquelle il va bien falloir ruser. Toute mère est unique, mais l'espèce recèle des variations infinies : oublieuse, farceuse, voleuse, frondeuse ou, comme dans le cas présent, celui de Julien Almendros, dévoreuse. C'est en effet dans un espace aérien redoutablement surveillé qu'évolue un narrateur toujours en vaine de trouées, d'escapades et d'échappatoires ; secondé par un père en majorité fragile et un frère en minorité relative. Reste le chien, enjeu de toutes les conquêtes. La mère : faire avec. Avec ses coups de gueule, de sang, de blues, de poing sur la table, sa manière de traquer les coups bus en douce et les clopes ou les joints grillés sous le manteau. Sa manière surtout d'assaillir les copines. Tant d'électricité accumulée, un jour forcément se résout en éclair : « Connasse ». C'est soudain, sec, spontané, mais ça touche. Cœur de cible. D'un petit mot, Julien, de sa mère, a fait une femme. Plus de mythe, une simple femme, à qui l'on n'a plus rien à dire. Rien. Que du calme, enfin.

Bijoux de famille

Bijoux de famille
Maréchaux Laurent
Ed. Dilettante

Imaginez-les comme les doigts de la main, une paire d'yeux, deux facettes d'une unique pierre, ce tandem héroïque de Bijoux de famille. L'un c'est Ivanov, Sacha; l'autre Bornstein, Victor. Russes tous deux, blancs par destin, ils se taillent à même le XXe deux belles parts de lion qu'ils engouffrent en boulimiques de la vie : révolution rouge d'Octobre qui les coupe de la Mère Patrie, Grande Guerre faite au front d'Orient dans la légion, années folles vécues follement, exil, Résistance, déportation. L'un sauve l'autre; ils vendangent ensemble femmes et souffrances, espoirs et pentes rudes : deux poumons, un même souffle. Et le fils de ressembler à son père : Igor, rejeton de Sacha, espagnol de mère, militaire, mutin de l'Algérie française. Troisième temps de la valse : Léo, fils d'Igor, petit-fils de Sacha. Même trempe avec ceci qu'il effectue un retour aux sources russes, hanté par les racines familiales, avant de globe-trotter partout dans le monde, journaliste. L'arbre des Ivanov, bondé de sève, tresse ses branches à la folie, mêlant ses racines et ses ramures, mères, amantes, père, fils, petit-fils : « Il n'y a pas de hasard, rien que des enchaînements maudits. » Puis, peu à peu, le temps raye les hommes, comme les hommes rayent les jours : d'un trait patient. Meurent les Ivanov, un à un. L'œil avide, Maréchaux et ses troupes descendent le XXe à cheval sur la rampe, dans un grand sifflement heureux; les bagages suivront plus tard.

La domination

La domination
Tuil Karine
Ed. Grasset

«Longtemps j'ai pensé que le jour où je parviendrais à publier un livre sur mon père, je cesserais définitivement d'écrire.»

Ecrire sur son père : tel est le contrat signé par la narratrice avec un grand éditeur. Comment aborder cet homme-caméléon, juif engagé auprès de la cause palestinienne, époux en apparence convenable qui installa sous le toit familial une Russe énigmatique, chirurgien humaniste aux pulsions suicidaires ?

Pour venir à bout de cet ouvrage impossible, la narratrice va se glisser dans la peau d'un personnage fictif, le fils qu'elle a toujours rêvé d'être : Adam. Lui apparaissent alors les secrets d'une vie baignant dans le mensonge et l'illusion, la manipulation des êtres et des mots.

Entre répulsion et domination, érotisme et cruauté, chimère et réalité, masculin et féminin, lumière et ombres, c'est un ballet des sentiments troubles que Karine Tuil chorégraphie dans ce roman virtuose.

Une éducation libertine

Une éducation libertine
Del Amo Jean-Baptiste
Ed. Gallimard/Blanche

« C'est un homme sans vertu, sans conscience. Un libertin, un impie. Il se moque de tout, n'a que faire des conventions, rit de la morale. Ses moeurs sont, dit-on, tout à fait inconvenantes, ses habitudes frivoles, ses inclinations pour les plaisirs n'ont pas de limites. Il convoite les deux sexes. On ne compte plus les mariages détruits par sa faute, pour le simple jeu de la séduction, l'excitation de la victoire. Il est impudique et grivois, vagabond et paillard. Sa réputation le précède. Les mères mettent en garde leurs filles, de peur qu'il ne les dévoie. Il est arrivé, on le soupçonne, que des dames se tuent pour lui. Après les avoir menées aux extases de l'amour, il les méprise soudain car seule la volupté l'attise. On chuchote qu'il aurait perverti des religieuses et précipité bien d'autres dames dans les ordres. Il détournerait les hommes de leurs épouses, même ceux qui jurent de n'être pas sensibles à ces plaisirs-là. Oh, je vous le dis, il faut s'en méfier comme du vice. »

Paris, 1760. Le jeune Gaspard laisse derrière lui Quimper pour la capitale. De l'agitation portuaire du fleuve aux raffinements des salons parisiens, il erre dans les bas-fonds et les bordels de Paris. Roman d'apprentissage, Une éducation libertine retrace l'ascension et la chute d'un homme asservi par la chair.

La route de Tassiga

La route de Tassiga
Piazza Antoine
Ed. Rouergue

Aux confins du monde habité, la petite ville africaine de Tassiga est une cage étouffante, avec son air brûlant, sa poussière, ses blattes énormes et ses nuits noires. En septembre 1980, une centaine d'expatriés y débarque. Employés d'une grande entreprise française de travaux publics, ils sont chargés de construire une route au travers des plantations de mil et d'arachide.

En prévision des vingt mois de chantier, la Compagnie prend possession de la ville. Elle loue les plus belles maisons, organise le ravitaillement des familles, la scolarité des enfants. Les expatries, qui se sont croises sur d'autres chantiers, inventent une société blanche fermée sur elle-même, qui tente de résister a la dureté du travail, de s'accoutumer au déracinement, aux rivalités professionnelles et aux calomnies.

Pour faire revivre cette petite colonie, croquer des dizaines de personnages hors du commun, il fallait la force romanesque d'un Antoine Piazza. Dans son précèdent roman, Les Ronces, il s'inspirait d'une longue immersion dans un village du Haut-Languedoc.

Avec La route de Tassiga, il remonte le temps de sa propre histoire, lorsque, jeune instituteur volontaire du service national, il est affecté sur un chantier de travaux publics, au Niger. Indiffèrent à l'exotisme et aux clichés, Antoine Piazza signe le roman solaire d'un monde perdu.

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